L’Apollonide – souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello

Comment s’échapper

On entre dans ce film par un travelling dans le couloir de la maison close, le ton est ainsi donné, le mouvement est lent, la lumière, le grain de l’image crée une impression onirique, des prostitués passent comme des spectres. On entre dans ce lieu et on en sortira très peu, enfermés dans le film comme ces prostitués recluses.
L’idée d’un film dans un bordel pourrait laisser attendre un film sensuel, ou du moins excitant, pervers, ou alors un film sur une communauté joyeuse malgré la difficulté du métier, il n’en est rien, le film est froid, âpre, malaisant, oppressant. Nous assistons à un processus de dévitalisation, le personnage de Clotilde (superbement incarnée et désincarnée par Céline Sallette mais toutes les actrices sont impressionnantes de Jasmine Trinca à Adèle Haenel) semble en être le fil conducteur, elle se plaint d’être là depuis trop longtemps, rien ne semble plus avoir de sens pour elle, sauf s’extraire de ce monde, elle s’éloigne de ses clients comme elle disparaît du film.
Ainsi le film est moins sur la pulsion sexuelle que sur la pulsion de mort, c’est à dire sur le processus de répétition qui finit par faire baisser la tension, (thématique proche du Crash de David Cronenberg), il n’y a pas vraiment de conflits, tout paraît calme, la vie des pensionnaires et des clients est répétitive, les mêmes jeux, les mêmes scènes de toilettes, les mêmes conversations chuchotées des clients sur l’actualité de l’époque, le même son de l’horloge, les rapports sexuels, tout se répète, tout s’équivaut comme semble le montrer les quelques moments où l’écran se divise en quatre, quelque que soit le corps, quelques soient les actes, tout est sur le même plan, les corps deviennent des pantins, des poupées comme dans cette scène puissante où une prostitué en imite les mouvements heurtés pour satisfaire un fantasme. Seul l’acte barbare d’un client crée une rupture dans le film, une césure. Cela ne se passe pas pour rien à la fin du XIXème siècle, au début du travail à la chaîne, de l’industrie, au début de la mécanisation du corps.
Le dispositif radical pourrait laisser croire à un cinéma très théorique mais nous ne sommes pas dans la réflexion, le dispositif travaille sur la sensation, sur quelque chose d’hypnotique, il ne nous donne pas tant à penser qu’à ressentir.
Bertrand Bonello emmène le film vers le rêve, à la lisière du fantastique, comme si on était dans l’antichambre de la mort, en opposition à la façon très triviale dont il filme le travail des prostitués (la toilette, le médecin, les conseils à une nouvelle venue). L’entrée des prostitués auprès des clients est comme une entrée en scène, et les scènes sexuelles sont filmées soit devant des miroirs, soit devant un fond noir renforçant cette impression de théâtralité froide et distante. Seules la scène renoirienne se passant au bord d’une rivière où les corps nus semblent reprendre un instant vie et les quelques moments d’échanges, de tendresses et d’humour entre les prostitués apportent quelques respirations pour ce corps malade qu’est le film.
Ainsi ce qui se joue n’est pas juste la prostitution mais c’est aussi le jeu de la vie, comme le montre une des scène les plus fortes, suite à la mort d’une des prostitués, ses consœurs dansent et pleurent, tentent de se réconforter les unes, les autres sans se regarder. La scène est très étrange, c’est une tristesse qui ne déborde pas, qui semble intérieure à chacune, nous ne sommes pas dans le drame, la tristesse renvoie chacune à sa propre vie, son propre désarroi par rapport à l’absurdité de la mort. Cette scène rappelle Cindy, the doll is mine, un magnifique court-métrage de Bertrand Bonello, car si ce cinéaste tourne autour d’obsession comme le corps soumis, transformé, la sexualité (comme dans Le pornographe ou Tiresia) la mort, la dilatation du temps (dans De la guerre, nous trouvions déjà des personnages tournant en rond dans un espace restreint en cherchant rien moins que le sens de la vie) c’est ce court-métrage qui semble être la matrice de L’Apollonide. Asia Argento y joue une photographe et son modèle, dans cette hommage à Cindy Sherman, on y voyait une Asia Argento avec une poupée dans les bras et une tristesse qui semblait venir de nulle part, juste de la difficulté d’être.
Ainsi on retrouve dans L’Apollonide cette inquiétante étrangeté qui irrigue toute l’œuvre de ce cinéaste, inquiétante étrangeté qui s’insinue et laisse un profond sentiment de tristesse inexpliquée.
L’Apollonide – souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello, France, 2011 avec Hafsia Herzi, Céline Sallette, Jasmine Trinca, Adèle Haenel, Alice Barnole, Noémie Lvovsky…

3 commentaires :

  1. Ping : La guerre des moutons | en revenant du cinéma

  2. Mon film français préféré de 2011…

    • C’est aussi, pour moi, le film qui m’a le plus marqué en 2011. Je savais après avoir vu le site flaneries cinématographiques qu’on partageait certaines impressions sur le cinéma 🙂

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