Twixt de Francis Ford Coppola

Ceux qui rêvent éveillés…*

C’est bien la première fois qu’un film de l’immense Francis Ford Coppola me laisse sur ma faim. Lorsque le générique envahit l’écran au bout d’à peine une heure et demi, la surprise cède rapidement le pas à la frustration, puis à la résignation. Une cruelle déception en regard des indéniables qualités de Twixt.
En prenant des raccourcis que les puristes me pardonneront, on peut ramener la carrière de Coppola à un drame en cinq actes typiquement américain. Ça commence vite et bien, le succès et la reconnaissance sont au rendez-vous et permettent au jeune prodige de fonde
r son propre studio loin des Majors hollywoodiennes. Plus dure sera la chute au début des années 80, symbolisée humainement par le tournage infernal d’Apocalypse Now et financièrement par les dettes colossales d’American Zoetrope. S’en suit une traversée du désert artistique jusque dans les années 90, où il est contraint d’accepter des films de commande afin de rembourser ses créanciers. En 1997, il décide de prendre sa retraite cinématographique et de se consacrer à son autre passion, le vin. Mais on ne change pas sa nature, et depuis le milieu des années 2000 le réalisateur amorce un retour aux affaires aussi inattendu que passionnant, avec trois films qui ont beaucoup en commun : un sujet personnel, un traitement expérimental, une économie de moyens – afin de garder un contrôle total et d’éviter de nouveaux déboires financiers – et des acteurs impliqués. Ce sont L’homme sans âge (2007), le formidable Tetro (2009) et ce déconcertant Twixt (2011).
Pourtant, ce dernier ne manque pas de fulgurances. La première séquence, des plans fixes soulignant l’étrangeté de la petite ville qui va servir de cadre au(x) récit(s), est tout simplement magistrale. La plus belle idée du film, c’est une horloge improbable dont les sept cadrans donnent chacun une heure différente, à l’image d’un scénario complexe, agencement d’histoires qui empruntent le même espace sans forcement avoir de liens logiques entre elles. Fil conducteur de ce récit protéiforme, Hall Baltimore – Val Kilmer, très bon – est un écrivain poussé par son entourage à enchaîner les romans de sorcellerie médiocres mais vendeurs au détriment de velléités artistiques plus personnelles – si ça vous rappelle quelqu’un… En pleine tournée promotionnelle, il décide de rester un moment dans cet étrange village au charme vénéneux afin d’écrire et de démêler les fils d’un passé douloureux qu’il noie consciencieusement dans l’alcool depuis trop longtemps.
Les séquences gothiques, voyages oniriques au cœur de la psyché du personnage, sont magnifiques. Au niveau de la forme déjà, avec l’utilisation du noir et blanc et de la technique de nuit américaine, quelques touches de couleur ajoutant une aura fantastique originale. Sur le fond, c’est l’arc narratif le plus intéressant du scénario ; le plus personnel aussi puisque le personnage et son créateur partagent le même drame humain et le même déchirement artistique. Un film dans le film qui aurait pu se suffire à lui-même.
Le problème de Twixt, c’est que Coppola ne porte pas le même intérêt aux autres segments de son récit qui renvoient en vrac à Stephen King, aux films d’horreur américains des années 70, à Twin Peaks, à Psychose , à la bit-lit et surtout à L’antre de la folie de John Carpenter. Pire, on sent poindre une touche de mépris dans la dernière partie du film, étonnamment bâclée et abrupte. Le spectateur se retrouve avec un arrière goût amer qui rompt le charme, même si le souvenir troublant de « V », vampire lunaire incarnée par une Elle Fanning inspirée, continuera à le hanter bien après la séance.

 * « Ceux qui rêvent éveillés ont conscience de mille choses qui échappent à ceux qui ne rêvent qu’endormis ». Edgar Allan Poe

Twixt de Francis Ford Coppola, EU, 2012 avec Val Kilmer, Bruce Dern, Elle Fanning…

3 commentaires :

  1. Il faudra aussi que je trouve un ciné convenable qui le diffuse 🙂

    • Je comprends bien le problème! A Grenoble, nous avons eu de la chance, il passait dans la plus belle salle d’un cinéma pas franchement réputé pour la qualité de ses projections. Et en numérique, ce qui ne gâche rien (Je dis ça parce que les exploitants n’ayant globalement plus rien à foutre du 35mm, ils n’entretiennent plus les bécanes et massacrent les copies)

  2. J’ai beaucoup aimé, mais pour les parties oniriques. Je suis d’accord, les autres segments semble peu intéresser son auteur. Moins intéressant que Tetro, un chef-d’œuvre. J’ai préféré par contre à L’homme sans âge, à côté duquel je suis complètement passé. Je vais faire un petit tour sur votre site. Et ok pour l’échange de liens 🙂

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