Moonrise Kingdom, de Wes Anderson

Coup de foudre à New Penzance

Il y a des films qu’on déteste et d’autre qui nous laissent indifférents. Il y a ceux qu’on voudrait aimer et ceux qui nous ouvrent les yeux sur le monde. Et au dessus de tout cela, il y a « ces films qui vous regardent grandir », comme les appelait le regretté Serge Daney. Moonrise Kingdom appartient sans conteste à cette dernière catégorie.
Une idée sous-tend l’ensemble du cinéma de Wes Anderson : le pouvoir de la singularité contre le conformisme de la société. Dans ses films, cette dernière est systématiquement ramenée à un modèle réduit, que ce soit la famille (La famille Tenenbaum, Fantastic Mr Fox), une école (Rushmore) ou un train (À bord du Darjeeling Limited). Dans Moonrise Kingdom, ce sont une multitude de micro-mondes qui vont se heurter aux aspirations des deux jeunes héros : la famille – on y revient toujours – de la jeune Suzy, enfant « difficile » que ses parents, un couple d’avocats au bord de la rupture (Bill Muray et Frances McDormand, parfaits) ne comprennent pas. Pour Sam, deux fois orphelin (ses parents sont décédés et sa famille d’accueil refuse qu’il revienne chez eux après l’été), c’est une troupe de scouts dirigée par le surprenant Edward Norton. L’aventure se déroule sur une île au large de la Nouvelle Angleterre, où un policier au regard triste, incarné avec beaucoup de justesse par l’impeccable Bruce Willis, représente sans trop y croire l’autorité. Comme dans chaque film du réalisateur, les gens jouent le rôle que la vie leur a donné avec résignation. Les parents de Suzy ne se parlent plus qu’en termes juridiques, et l’aventure extraconjugale que sa mère entretient avec le policier est d’une platitude affligeante. Au camp scout, les camarades de Sam le persécutent par principe, parce qu’il est différent, parce qu’il faut bien une tête de turc mais sans chercher à le connaître ou à le haïr plus que ça. Au milieu de ces microcosmes dépassionnés, Sam et Suzy refusent de se laisser écraser par le poids de la prédestination et préparent secrètement leur fuite depuis un an. Un beau jour, ils rassemblent leurs effets personnels et disparaissent, prenant tout le monde de court et amorçant une réaction en chaîne dont personne ne sortira indemne.
Du haut de leurs douze ans, ils se sont reconnus dès qu’ils se sont vus: deux âmes sœur rejetées par leurs entourages respectifs parce qu’ils ont soif de d’émotions, d’expériences, de changement. Il dessine, elle lit, il sait se débrouiller en pleine nature, elle est impitoyable lorsqu’on menace leur liberté. Et ils s’aiment, avec une innocence, une détermination et une telle intensité qu’ils vont finir par faire bouger les lignes. Petit à petit, les différentes communautés vont se rallier à leur cause et faire bloc contre les services sociaux – représentation ultime d’une société déshumanisée – qui veulent enfermer Sam dans un centre pour jeune délinquant. En sauvant l’enfant, chacun a la possibilité de redonner un sens à son existence.
Le scénario, particulièrement intelligent, n’oublie jamais qu’un conte comporte immanquablement une part de tragédie. Si les élans comiques du film, jouant sur le décalage et systématiquement empreints de mélancolie, sont essentiellement assurés par les personnages adultes, le parcours de Sam et Suzy est jonché de situations dramatiques. Et même si le spectateur comprend vite que tout finira forcément bien, ses nerfs seront mis à rude épreuve à plusieurs reprises. Autre idée brillante: faire un parallèle entre leur passion amoureuse et les incidents climatiques qui émaillent le long-métrage. La vie est une succession d’événements cataclysmiques, mais contrairement à ce qu’on pourrait penser, ils se révèlent souvent être une bonne chose. Une tempête, un torrent en crue et même un coup de foudre – quelle idée géniale ! –, ça fiche la trouille mais ça permet de ressentir, de grandir, d’avancer.
Moonrise Kingdom
est d’une telle richesse qu’il faudrait bien plus d’un simple article pour en faire le tour. Ce film est tout simplement magistral, et je croise les doigts pour que le jury de Nanni Moretti lui rende les honneur qui lui sont dû.
Moonrise Kingdon
, de Wes Anderson, EU, 2012. Avec Jared Gilman, Kara Hayward, Bruce Willis, Bill Murray, Frances McDormand, Edward Norton, Jason Schwartzman…

4 commentaires :

  1. « Moonrise Kingdom est d’une telle richesse qu’il faudrait bien plus d’un simple article pour en faire le tour ». Une petite merveille qui rappelle l’enfance, l’aventure, les rêves, l’amour, la famille, bref… la vie.

  2. Un très beau film, qui confirme tout le bien que je pensais de The Darjeeling Limited !

  3. Bonsoir, et oui le film est superbe et non il n’a rien reçu à Cannes et c’est dommage. C’est le premier film de Wes Anderson que je voyais: ce fut une révélation. Bonne soirée.

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