Bird People de Pascale Ferran

birdpeople2Se nettoyer les yeux

Bird People suit deux personnages, Audrey, femme de ménage d’un hôtel d’aéroport où se trouve Gary, étasunien au bord du burn out. L’histoire importe peu, elle est résumable en quelques lignes, ce qui importe c’est le regard, ce film est un travail sur comment regarder autrement ce qui nous entoure.
Pascale Ferran nous plonge dans un monde avec ses signes de modernité, écran, mp3, sources lumineuses en tout genre, slogans publicitaires avec des injonctions absurdes, bâtiments froids, hôtel vide, couloirs d’aéroport, le métro le soir, soit tous les signes de l’ultra moderne solitude. Ça ne serait que ça, une critique de nos sociétés contemporaines où le touché est compliqué, où la vitesse, les stimulations permanentes nous connectent et nous déconnectent dans le même mouvement, où les inégalités sociales sont là mais disparaissent parce que les regards ne se croisent plus, ça serait peut-être intéressant mais limité.
La question est plutôt que ce monde existe, il est là, comment faire avec, comment le regarder, comment apprendre à respirer, comment s’arrêter de courir.
La cohérence du film est de travailler ça avec le spectateur sans poser un discours théorique, Pascale Ferran commence par installer un rythme particulier, joue sur la durée, une première partie où elle nous oblige à être attentif, à écouter les différentes pensées, les musiques qui s’échappent des casques, à observer les mouvements des corps, sans nous introduire clairement dans une histoire.
Puis il y a ces deux parties, chacune dévolue à un personnage. Deux parties qui ont, en apparence, peu à voir, à part le lieu mais qui sont connectées par cette sensation qu’il faut se poser, appréhender les choses autrement. Faire un pas de côté. Deux parties qui se répondent un peu comme dans le Tropical Malady de Weerasethakul (la deuxième partie comme la version animale de la première). Deux parties au rythme très différent, une qui suit une rupture par écrans interposés, essentiellement en champs, contre-champs plutôt statiques, une qui suit la transformation d’une femme de ménage en oiseau, souvent en caméra subjective, qui nous donne la sensation de voler, qui essaie de nous faire ressentir le plaisir de se découvrir volatile. Et qui transforme ce lieu froid qu’est l’aéroport en un espace poétique et beau. Très belle scène de la rencontre de l’oiseau avec un peintre asiatique, ça pourrait être ridicule mais Pascale Ferran trouve la bonne distance, la simplicité et la grâce nécessaire pour que ça devienne touchant.
Parce que ce film est un travail sur la naïveté, sur l’idée de se laisser porter, sans essayer de contrôler, de commenter, et enlever cette voix ricanante si présente dans notre société contemporaine. Ce film est presque l’illustration du discours que tient un des personnages à la fin de L’Âge des possibles, un des précédents films de Pascale Ferran.
« Frederic : (…) Je veux pouvoir penser à un truc même si c’est utopique et pas me dire que je n’y arriverais jamais, ou que : à quoi bon. Parce que si tu y réfléchis deux secondes, nous, tout ce qu’on a le droit de faire en ce moment, c’est assister à la faillite générale. (…) Donc regarder à droite, à gauche, et choisir. Ou trouver une autre voie. En tout cas, pas faire semblant. Croire à un truc et y travailler, même si c’est naïf, même si c’est utopique. D’ailleurs, c’est ça mon programme, j’en vois pas d’autres, je propose : la naïveté, voilà. »
Bird People montre que Pascale Ferran n’a pas changé son programme et c’est tant mieux.
Bird People de Pascale Ferran avec Anaïs Demoustier, Josh Charles, Roschdy Zem, Camelia Jordana…

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