Survival of the dead, de George A. Romero

Devine qui vient dîner ce soir…

J’en entends qui soupirent devant leur écran : « Déjà qu’il écrit un article tous les deux mois, il trouve le moyen de nous parler d’un film de 2009 sorti directement en DVD ! ». Oui, c’est vrai, mais contre toute attente un distributeur s’est décidé à sortir le dernier Romero en 35mm, et il pourrait bien passer dans une salle près de chez vous ! Une occasion à ne pas rater, le réalisateur de Pittsburgh risquant d’avoir du mal à achever sa nouvelle trilogie zombiesque amorcée en 2007 avec le sympathique Diary of the Dead.
Ce dernier nous replongeait dans la nuit originelle, celle où les morts reviennent à la vie avec une furieuse envie de chair humaine. On y suivait un groupe d’étudiants en cinéma et leur professeur alcoolique partis en forêt tourner un film d’horreur en guise de projet de fin d’études. Lorsque les morts se relèvent, un des étudiants décide de documenter l’apocalypse et de diffuser les images sur le net dans la foulée. Au cours de leur fuite désespérée, ils rencontrent plusieurs groupes de survivants dont l’instinct de survie a déjà pris le pas sur le vernis social. Parmi eux, des membres de la Garde Nationale qui, au lieu de les aider, les dépouillent de leurs réserves de vivres et d’essence. Astucieusement, ce sont ces pillards qui deviennent les héros de cette fausse suite.
Qu’on se le dise, ceux qui attendent un brûlot politique ou une critique acerbe de la société en seront pour leurs frais. Romero a rendu les armes après le peu de succès rencontré par ses deux efforts précédents qui dénonçaient le capitalisme (Le territoire des morts, 2005) et la médiatisation à outrance de la vie privée (Diary of the dead). Incapable de retrouver la délicate alchimie qui avait fait de La nuit des morts-vivants (1968), Zombie (1978) et Le jour des morts-vivants (1985) de grands films politiques miroirs de leur époque, il préfère donner à son dernier opus une direction inattendue. Le film-matrice de Survival…, c’est Les grands espaces, un western de 1958 où Gregory Peck, citadin cultivé de la Côté Est, se retrouve au milieu d’un conflit opposant deux clans de cow-boys à l’ancienne qui se haïssent et s’entre-tuent depuis des lustres sans vraiment se rappeler pourquoi. Dans sa relecture du beau film de William Wyler, George A. Romero remplace le personnage central un brin guindé par un groupe de déserteurs commandés par un sergent qui n’est pas sans rappeler le Snake Plissken de John Carpenter*. Les grands espaces de l’ouest font place à une île, et les zombies se substituent aux bêtes à cornes. Nos survivants, pensant trouver un havre de paix, tombent en pleine bataille rangée : d’un côté les Muldoon qui souhaitent garder leurs morts auprès d’eux et tentent de leur faire préférer la chair animale à la chair humaine, de l’autre les O’Flynn pour qui la tranquillité de l’île de Plum passe par l’éradication systématique des morts-vivants. Mais là où le film de Wyler fustigeait à mots couverts la guerre froide, Romero s’en prend à l’incapacité de l’être humain à supporter son voisin, camouflant ce travers primitif derrière l’appartenance à un groupe, qu’il soit racial, géographique, politique ou religieux. Mais si dans ses films précédents on sentait le réalisateur nettement du côté des zombies, il les relègue cette fois en arrière plan afin de se focaliser sur la haine inextinguible qui habite les patriarches des deux clans. Son alter-ego filmique, ce serait plutôt ce sergent accro à la nicotine qui, à l’image de l’homme sans nom de la trilogie des dollars de Sergio Leone, semble détaché de ce qui se passe autour de lui. Si il prend part à l’histoire, c’est par nécessité et non par choix, ses motivations étant simplement d’exister un jour de plus. Le reste, cette civilisation qui s’écroule mais s’accroche malgré tout à ce qu’elle représente, ne le concerne déjà plus.
Et les morts-vivants dans tout ça ? On a l’impression que de ne pas en avoir fait le sujet principal a libéré le réalisateur. Il en profite pour renouer avec la fibre comique qui illuminait la dernière partie de Zombie : des touches d’humour souvent savoureuses parsèment le film, avec une mention spéciale pour la scène de la dynamite et celle du « zombie-briquet ».
Peut-être que cette désinvolture à l’égard de ses créatures a déstabilisé le public. Toujours est-il que le film n’a pas marché. Après un accueil glacial en festival, il a bénéficié d’une sortie symbolique en salle aux Etats-unis et a rejoint la longue liste des films de genre sortis directement en vidéo dans la plupart des autres pays. Dommage, car si Survival of the dead n’est pas exempt de défauts – manque d’ambition artistique et recours à des C.G.I. approximatives –, c’est un film attachant et sincère, mis en scène par un artisan dont la carrière a été étouffé par ces mêmes créatures qui l’avaient rendu célèbre en 1968. Un gars de Pittsburgh qui voulait peut-être juste rendre hommage au cinéma avec lequel il a grandi. Bel et bien mort, celui-là.

 

* Personnage cynique et désabusé interprété par Kurt Russell dans New-York 1997 et sa « suite-remake » Los Angeles 2013.

Survival of the dead de George A. Romero, EU, 2009 avec Alan Van Sprang, Kenneth Welsh, Kathleen Munroe, Richard Fitzpatrick…

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