Quelques tâches rouges
Tout semble dit dès les premières scènes, une fille filmée en plan fixe qui apprend, d’un opticien qu’on ne voit pas, qu’elle va devoir mettre des lunettes alors que nous apprenons qu’elle ne va pas à l’école, puis le plan suivant, une longue route balayée par le vent et le froid où marchent cette fille et son père, un policier s’arrête et s’inquiète, le père lui répond de s’occuper de ses affaires. Peu de temps après la fille dit qu’elle aime faire les magasins pour voir le monde.
Un père protège sa fille d’un extérieur qui lui fait peur, l’empêche de rencontrer des gens parce que lui-même s’en méfie, incapable de communiquer sa douleur. Il la séquestre en douceur dans sa maison. La maison est aussi le nom de la cible au curling, maison que les joueurs doivent protéger en ne laissant pas les pierres adverses y rentrer, c’est ce que veut faire ce père mais ça ne marche pas, ça ne peut pas marcher, l’extérieur, l’autre finit toujours par rentrer même si c’est en contournant.
Des lignes droites, de la neige, une mise en scène lente qui prend son temps pour capter un corps dans le paysage. Denis Côté travaille une luminosité blanche, des nuances de gris, de jaunes pâles, une dominance de couleurs froides sauf que d’autres couleurs vont teinter les plans, le rouge d’une chevelure, du sang sur un drap, le vert des vêtements d’un enfant. Ainsi la mise en scène très pensée correspond à la thématique du film.
On frôle parfois l’affectation dans la composition de certains plans où dans la façon de les commencer en ne dévoilant qu’une partie, laissant un temps avant de comprendre ce qu’on voit dans son ensemble mais ce ne sont pas que des effets cela crée aussi une étrangeté renforcée par des ellipses sèches qui fait qu’on ne sait pas toujours où on est et ce qu’on voit, des interlocuteurs qui restent hors-champs, nous plongeant dans la vision de ce drôle de couple qui ne voit plus le monde et ce qui s’y joue.
Denis Côté évite l’exercice de style en s’intéressant à ceux qu’il filme sans les juger, en prenant le temps qu’il faut pour qu’on concentre notre attention sur ces personnages qui ne sont pas que des blocs monolithiques même s’ils gardent à la fin du film une grande part de leur opacité. On pense parfois à Aki Kaurismaki pas du fait de la neige, du froid mais dans le travail sur les plans fixes, les à-plats de couleur et aussi dans ce regard sur ces hommes et femmes taiseux même si le cinéaste finlandais est moins sec et y rajoute un humour humaniste et désespéré.
L’interprétation d’Emmanuel et Philomène Bilodeau apportent beaucoup de douceurs à leur personnages aux frontières de la folie, les autres acteurs Roc LaFortune et Sophie Desmarais par leur vitalité empêchent le film d’être trop suffocant.
Curling de Denis Côté, Canada, 2010 avec Emmanuel Bilodeau, Philomène Bilodeau, RocLafortune, Sophie Desmarais…