Loin de la peau
Une femme jeune, Lucy, se prostitue auprès d’hommes proches de la mort, ils paient pour passer une nuit pour coucher avec elle alors qu’elle est endormie. Le film paraît très pensé en amont, une référence aux contes, la maquerelle qui pourrait être une sorcière, les hommes comme des ogres, et l’héroïne qui est entre la belle au bois dormant et le petit chaperon rouge, le film est très pensé aussi dans sa construction, des plans séquences souvent fixes, des couleurs pâles, une lumière froide, comme si cette posture artistique permettait à la cinéaste de trouver la bonne distance par rapport à son sujet sauf que cela lui permet surtout de ne pas se mettre en danger.
Dans les films qui parlent de sexualité, la question du voyeurisme du cinéaste et du spectateur affleure de façon plus acérée, la réponse de la cinéaste Julia Leigh est dans une intellectualisation de son rapport au sujet et au corps mais ce choix pose problème. Bertrand Bonello dans son superbe l’Apollonide ne se posait pas la question de la même façon, dès le départ, il se plaçait du côté des femmes prostituées, il était avec elles et nous l’étions aussi, ainsi à aucun moment, nous étions dans une position surplombante par rapport à elles en tant que personnages et en tant qu’actrices, nous n’étions pas voyeurs de ce qui leur arrivait, sans nous confondre avec elles nous étions à leur niveau, enfermés de la même façon.
Julia Leigh nous place dans une position très gênante et désagréable, elle filme son personnage endormie au prise avec des hommes qui peuvent la regarder, jouer avec elle sans qu’elle s’en rende compte, ainsi elle nous place, nous spectateurs, du côté de ces hommes qui la touchent même si la mise en scène est relativement chaste et ne cherche pas à en rajouter. Lorsqu’ensuite on voit Lucy mettre une culotte pour pouvoir dormir chez elle parce qu’elle ignore ce qui se passe pendant ces nuits, ou quand on la voit troublée en regardant une femme qui dort dans un bus, nous avons un temps d’avance sur elle, nous en savons plus qu’elle. Cela peut être intéressant conceptuellement mais c’est une position morale qu’on est en droit de rejeter.
Julia Leigh par son regard froid et clinique se trouve à faire la même chose que la maquerelle du film, elle isole le corps, le donne en pâture en le regardant de loin, la mise en scène des jeux sexuels métaphorise la mise en scène du film. La cinéaste donne à voir sans se donner elle-même à voir, elle illustre son sujet, parfois très bien (quelques scènes touchent comme celle très belle où l’héroïne choisit d’offrir sa nudité à son ami en mauvaise état, la façon dont elle filme le moment où Lucy enlève sa chemise en pleurant montre que Julia Leigh a du talent), mais sa volonté de contrôle sur le déroulement de son histoire et sur les corps qu’elle filme empêchent toute émotion, et donnent l’impression étrange que le sentiment comme la sexualité sont des choses sales. C’est tout le mérite de l’actrice Emily Browning, vibrante tout du long, de se rebeller contre ça, et le cri de terreur qu’elle pousse à la fin du film est un cri face à la mort mais, sans que cela semble intentionnel, cela peut aussi s’entendre comme un cri contre la réification de son corps par la cinéaste.
Sleeping beauty de Julia Leigh, Australie, 2011, avec Emily Browning, Rachael Blake, Ewen Leslie…
Pas brillant du tout.