Ne plus s’excuser
Ce qui impressionne avec Xavier Dolan c’est sa générosité, on pourrait prendre ça pour de l’arrogance mais on sent un cinéaste qui est tellement nourri de cinéma qu’il a une impérieuse nécessité de parler par ce biais là, c’est son langage. On trouve dans Laurence Anyways, ce film sur un homme qui devient une femme et sur son histoire de couple, comme dans ses films précédents, cette idée d’un cinéma qui avale tout, différents courants du cinéma, de la nouvelle vague au cinéma étasunien, des clips, des pubs, des documentaires, pour tout recracher de façon fragmentaire, Xavier Dolan n’est pas dans la pureté de l’image, il travaille sur quelque chose d’impropre, de bancal, ça semble partir dans tous les sens et si certaines scènes sont moins fortes (celles avec la famille Rose par exemple sont parfois appuyées), si certains plans sont foireux (est-ce vraiment nécessaire de faire un plan à travers un verre), ces imperfections font parties de ce cinéma, elles en sont un élément, un film ne se découpe pas en tranche comme un gâteau, n’en déplaise aux critiques réactionnaires du Masque et la Plume*.
L’énergie du cinéaste emporte le film, il ne s’agit pas de faire un effet en soi comme un ralentit, utiliser un filtre coloré, faire pleuvoir des vêtements, c’est que le langage de Xavier Dolan ce sont ces différents niveaux de grammaire cinématographique, tout se mélange, tout est possible, et tout passe parce que le cinéaste est sincère, parce qu’il est insolent, parce qu’il s’en fout des conventions (ce qui est en adéquation avec l’idée du film), il fait penser à des cinéastes comme Christophe Honoré, l’important est dans le geste de filmer, la beauté de ce geste plutôt que dans la volonté de faire un beau petit objet bien léché pour critiques cinéphiles.
Ce n’est pas non plus de la mise en scène pour de la mise en scène, il s’intéresse réellement à ceux qu’il filme, aidé par un Melvil Poupaud simplement magnifique de douceur, de présence et refusant l’idée de la performance, nous ne sommes pas dans la composition, ce n’est pas Sean Penn jouant Harvey Milk, c’est d’autant plus beau qu’on voit autant Melvil Poupaud que le personnage qu’il incarne, on n’est pas là pour assister à un travail d’acteur, mais pour être avec lui, avec ce qu’il vit. Tous les acteurs sont vibrants, de Suzanne Clément, déjà très bien dans J’ai tué ma mère, à Nathalie Baye en mère dépassée, et Monia Chokri, aussi piquante dans un plus petit rôle que dans les Amours imaginaires.
De nombreux plans sidèrent, ainsi ce Melvil Poupaud en femme face aux élèves de sa classe, le silence à ce moment là est d’une puissance simple et la déambulation joyeuse qui suit dans les couloirs du lycée, les échanges de regards, son avancée joyeuse sur une musique entrainante donne envie de se libérer de tout un poids de normes sociales.
Il sait aussi filmer le corps de Suzanne Clément seule dans son appartement, et tous les face-à-face entre elle et Melvil Poupaud sont riches d’émotions, de vies.
Le film est étrange par son rythme, au départ les scènes s’enchaînent avec vivacité, Xavier Dolan sait nous faire ressentir la joie de Laurence d’être maintenant celle qu’elle veut être, mais ce n’est pas un film à thèse, le cinéaste n’est pas là pour illustrer un grand sujet, il ne filme pas un personnage en transition d’homme à femme mais un film d’amour entre deux êtres dont l’un est en transition. Ça change tout. Et le film ralentit, se délite, comme l’amour dans ce couple, malgré toute leur énergie, les deux personnages s’éloignent, et c’est juste déchirant.
Laurence Anyways de Xavier Dolan, Canada, Fr, 2012 avec Melvil Poupaud, Suzanne Clément, Nathalie Baye, Monia Chokri…
* Dans l’émission du 29 juillet 2012, Michel Ciment, Alain Riou… expliquaient que Xavier Dolan avait peut-être du talent mais qu’il faudrait qu’il écoute les techniciens (monteur, scénariste…) pour améliorer son film, revenant à cette idée qu’un film est fait avant tout par une somme de savoir-faire et non dans un geste artistique (quoiqu’en pense de l’œuvre de Xavier Dolan, difficile de nier qu’il a un style, une force…), disant aussi que le film était trop long, qu’il faudrait en couper une heure pour ensuite louer l’artisanat d’un Pierre Jolivet… Bref, pour eux, oublions tout le cinéma moderne et revenons à des vraies valeurs, un bon scénario plus de bon acteurs et un cinéaste là pour illustrer l’ensemble. Non désolé on préférera toujours un film avec de nombreux défauts mais filmé avec un vrai regard au cinéma mort que ces critiques proposent.
De plus en plus le Masque et la plume devient la maison de l’arrière garde des critiques de cinéma (à l’exception évidemment d’un Jean-Marc Lalanne qui doit bien avoir du courage parfois) sous la houlette d’un Jérôme Garcin en admiration devant Michel Ciment qui semble être le véritable animateur de l’émission. C’est dommage, ça nuit aux débats qui permettent de faire vivre le cinéma.