La baisse tendancielle du taux de profit
Cloud Atlas se présente comme une expérience, six histoires qui s’entremêlent dans différents lieux, différentes époques, une narration parallèle éclatée, du XIXème siècle à un futur lointain.
Six histoires mais il pourrait y en avoir huit, douze, peu importe, ce qui se joue ici est uniquement une logique d’accumulation. Déjà il a fallu trois cinéastes, les frère et sœur Wachowski se sont alliés au tâcheron Tom Tykwer qui avait commis le calamiteux Cours, Lola cours, ensuite il y a une volonté de faire se croiser différents genres, le film d’aventure en bateau, la farce dans une maison de retraite, le cinéma victorien à la James Ivory, avec homosexualité, rapport de maître à élève, la science fiction qui emprunte au film Soleil Vert, explicitement cité, la série B post-apocalyptique, etc. ça pourrait être ludique, ça pourrait être la preuve d’une grande ambition formelle, ça montre surtout une volonté de puissance, une façon de dire « nous pouvons tout faire, n’importe quel genre, nous pouvons imiter le cinéma de n’importe quel pays, anglais, coréen, nous n’avons pas besoin de vous, nous sommes les maîtres du monde ! »
Les blocs de films se superposent, les uns après les autres sans raison, sans enjeu autre que celui de bâtir la tour la plus haute de la ville, les réalisateurs ne cherchent pas à donner de la vie à ce qu’ils filment, ne cherchent pas à créer de l’émotion, ils espèrent juste écraser le spectateur par la multiplication des images, des signes de reconnaissance, des plans.
Ainsi la mise en scène est peu inspirée pour assembler ces différentes histoires, il faut aller vite, il s’agit de ne pas perdre son temps, donc tout est formaté pour être efficace, ça marche parfois comme par exemple dans les scènes futuristes du Néo-Séoul, c’est souvent de simple champ contre-champ avec des travellings avant sur les visages pour donner une impression de mouvement pour les scènes trop statiques, le tout accompagné d’une musique omniprésente pour créer un semblant d’intensité. Le montage entre les différents époques est souvent simpliste, un démarrage de voiture à telle époque succède à un autre démarrage de voiture à une autre époque, un personnage regarde la vue du haut d’une montagne, suit un personnage surplombant la vue d’une ville, bref nous sommes souvent dans un processus de rime assez facile et peu inventif.
De même la « philosophie » du film, censée donner du sens à l’ensemble, est une accumulation de concepts. L’idée est de montrer la responsabilité des actes de chaque homme par rapport aux autres, ce qui se transmet, avec des correspondances entre les époques et les lieux comme le faisait de façon beaucoup plus limpide et forte Kieslowski (comme dans la Double Vie de Véronique par exemple) mais contrairement à ce dernier le discours ici est suffisamment nébuleux pour ne jamais déplaire ni questionner, est-ce un film de combat politique où il faut se libérer des chaînes qui nous entravent, des rapports de dominations (les personnages d’esclaves dans le passé et le futur, les noirs, les homosexuels, les vieux, etc.) ? Est-ce un film mystique qui parle du cosmos où tout est dans tout, tout est connecté, les êtres vivants sont reliés à travers les époques, avec l’idée de la réincarnation, etc. ? Un film chrétien, avec ces figures christiques, prophétiques à de nombreux moments du film ? Un film qui peut plaire aux romantiques, puisque ce qui relit les hommes avant tout, c’est l’amour ? Ça peut être tout ça à la fois, ou autre chose, le but est que tout le monde s’y retrouve, sans véritable choix. Comme nous sommes dans l’apparence du cinéma, nous sommes dans l’apparence de la pensée, on cite Soljenitsyne et Castaneda mais sans en dire quoi que ce soit, sans rien remettre en cause.
On assiste ainsi à une performance, mais hélas pas au niveau de l’expérimentation, ce qui aurait pu avoir son intérêt mais plutôt dans le sens d’une performance sportive, aller plus loin, plus vite, en faire toujours plus, ce qu’on retrouve dans le fait que chaque acteur incarnent différents personnages. Cela a bien sûr un sens dans l’idée du film, sur ce qui se transmet d’une époque à l’autre, d’une personne à l’autre, mais ça semble surtout un moyen de montrer que ce sont des acteurs qui peuvent tout jouer. Ce ne sont que des signes, des postiches bien collés sur des visages. Tom Hanks est souvent mauvais, en rajoutant des tonnes, les autres, Halle Berry, Doona Bae, Ben Whishaw… apportent plus de convictions à leur jeu, arrivant parfois à donner de la consistance à des personnages peu dessinés, peu désirés. Nous sommes là encore dans la démonstration de force.
Pourtant s’attaquer à l’histoire du cinéma dans une posture post-moderne tout en étant grand public, ça aurait pu être intéressant, en écho à de nombreux films récents plus modestes (en moyen évidemment, pas en talent) du Tabou de Gomes qui revisite le cinéma muet et la mémoire du cinéma à Holly Motors de Leos Carax avec Denis Lavant jouant différents personnages, traversant là aussi des univers variés, mais ces cinéastes y mêlaient une vision personnelle avec une mise en scène, un regard sur le monde et le cinéma, une mélancolie, une réelle cinéphilie.
On en espérait pas tant ici mais on pouvait espérer le mouvement de la grande roue, ou le jeu d’un mindfuck avec twist final foireux qui nous permettrait de tout comprendre autrement, on pouvait au moins espérer le simple plaisir de se laisser emporter par le flot du spectacle comme sait parfois le provoquer les produits de l’industrie hollywoodienne.
La machine tourne à vide, si le film a un intérêt c’est de montrer ainsi, par l’absurde, la logique mortifère d’une accumulation capitaliste en perte totale de sens.
Cloud atlas de Lana et Andy Wachowski et Tom Tykwer, 2013, EU avec Tom Hanks, Halle Berry, Jim Broadbent, Doona Bae…
J’aime bien ta critique, elle est simple, argumentée et sincère. Personnellement, je n’ai vraiment pas apprécié le film ; je trouve que tout est loupé et qu’il ne s’en dégage aucune magie. Je n’ai pas lu le bouquin ; au moins on peut sauter les pages ; mais le discours semble malheureusement le même. Roman et film très surestimés.
Baptiste
Je ne sais pas pour le bouquin, mais le film est en partie surestimé effectivement, j’ai l’impression que les critiques sont assez divisés sur ce film mais je suis surpris par l’accueil très enthousiaste de Libération et des Inrockuptibles par exemple, en lisant leur critique, j’ai l’impression qu’il y a plus ce qu’ils auraient aimé voir que ce qu’on voit vraiment à l’écran, qu’ils ont plus été convaincu par le projet que par le film lui-même.