Il m’en est arrivé une bien bonne hier, j’vous raconte pas ! Bon, allez si, je vous raconte. Hier après-midi donc, mon frangin et moi avons profité du beau temps pour aller chez nos parents et mener à bien deux missions capitales : récupérer des plans pour le jardin et accomplir notre devoir de fils. Oui, je sais, hier nous avions déjà un jour de retard mais c’était calculé, histoire de marquer notre désaccord avec cette fête pétainiste tout en ménageant notre héritage. Pendant le trajet, en zappant sur la bande FM je tombe sur… un extrait du Cauchemar de Dracula, et en VO s’il vous plaît ! Je me dis : « Merde, ça doit être Culture ou Inter », mais non : la façade indiquait FBI. Pardon, France Bleue Isère pour les non initiés. Je commence alors à m’exciter sur mon siège en poussant des petits cris et en montrant l’autoradio du doigt, sous le regard désolé de mon frère – il est infirmier psychiatrique, il a l’habitude. C’est vrai qu’après le centenaire de la naissance du regretté Peter Cushing dimanche, on fêtait ce lundi les 91 printemps de Sir Christopher Lee, tous deux piliers de la Hammer canal historique. Ah, je sens que nous avons perdu quelques lecteurs en cours de route, et des précisions s’imposent.
La Hammer était une société de production anglaise qui, après avoie œuvré dans le tout venant, se spécialisa dans les films d’épouvante entre 1955 et 1974. Histoire de relancer le filon usé jusqu’à la corde par la Universal dans les années 30 – avec Bela Lugosi en Dracula et Boris Karloff en créature de Frankenstein. Tous les mythes fantastiques y passèrent, en couleur s’il vous plaît, et avec une bonne dose sensualité et d’effets graphiques – ne vous emballez-pas non plus, on parle d’horreur gothique, pas de gore poisseux. Le grand réalisateur du studio fut le prolifique Terence Fisher, qui dirigea à de nombreuses reprises Peter Cushing et Christopher Lee. J’adresse par avance mes plus plates excuses aux puristes pour ce raccourci, pour celles et ceux qui ne voient toujours pas de qui je peux bien parler, Cushing jouait le patron de Dark Vador dans le premier Star Wars, et Lee joue le rôle de Saroumane dans les adaptations de Tolkien par Peter Jackson.
Où en étais-je… ? Ah oui ! FBI et Le cauchemar de Dracula (Terence Fisher, 1958). À peine l’extrait terminé, le présentateur enchaîne avec une voix d’animateur de supermarché : « Alors, pour celles et ceux qui ne comprennent pas l’anglais, on a vu dans ce passage que Dracula, il est très méchant ». Effaré, je tourne lentement la tête vers mon frère qui explose de rire devant ma bobine. Le guignol enchaîne : « Dracula, comme chacun le sait, est à l’origine un personnage de roman… ». Et ça t’écorcherai de dire qu’il a été écrit par Bram Stoker, le roman ?! « On écoute tout de suite un nouvel extrait (…) C’était … euh… Ah oui, Christopher Lee, que vous connaissez tous pour son rôle de méchant dans la trilogie Star Wars. Bon anniversaire, comte Dooku ! ». Mon frère me lance des coups d’œils inquiets. « Ça va Guillaume ? T’as l’air… bizarre… Tu sais, c’est que de la radio, hein ? ». Je prend une grande goulée d’air avant de lui répondre, le plus calmement possible : « Je te préviens, il lui manque encore une fois de respect, je saute de la voiture en marche ». Un silence lourd s’installe dans l’habitacle, ce qui n’empêche pas l’autre baltringue de poursuivre le massacre. « Les vampire, parlons-en un peu. Une question pour vous, chers auditeurs. Les vampire peuvent être détruit par : la lumière du jour… ou la proximité d’ail ? Si vous avez la bonne réponse, appelez-vite au 04.76… pour gagner un magnifique cadeau ». Heureusement qu’avec l’âge, ma mémoire n’est plus ce qu’elle était. Le temps de sortir le téléphone de ma poche, j’ai déjà oublié le numéro du standard… Dommage, j’avais deux trois bricole à lui dire à cet… à cet… à ce triste sire. Je me résous enfin à changer de station lorsqu’une auditrice prend la parole et donne fébrilement sa réponse. Machin laisse planer un suspens insoutenable avant d’exploser : «Bonne réponse, Machinette ! Les vampires meurent si ils sont exposés à la lumière du soleil ! Et en cadeau, attention, FBI vous gâte aujourd’hui : nous vous offrons deux places pour… pour… le prochain spectacle de… Âge Tendre et Tête de Bois ! ».
A partir de là, je ne me rappelle plus grand chose. L’air frais sur mon visage lorsque j’ai ouvert la portière, le visage déformé par la peur du frangin qui tentait de me retenir d’une main et de ne pas nous envoyer dans le décors de l’autre. Et cette satanée ceinture de sécurité qui ne voulait pas se décrocher… Mais aujourd’hui, ça va beaucoup mieux. Les infirmière sont adorables, on gobe des cachets à longueur de journée et le frérot passe me voir dès qu’il a un moment. Comme il travaille dans le bâtiment voisin c’est pratique. Bon, faut que j’y vais, ce soir c’est brandade de morue au menu et après, y a film à la salle commune… D’ailleurs, qu’est-ce qu’ils passent… ? Ah, pour saluer l’anniversaire de l’acteur, W9 va diffuser… QUOI ?!!! Dracula père et fils d’Édouard Molinaro ? Avec… Bernard Menez ?! ARGHHHHHH !
Plus sérieusement, un excellent anniversaire au grand (1’96, tout de même) Christopher Lee qui va sortir très prochainement son second album de… métal (!). Pour en apprendre un peu plus sur cet acteur passionnant, je vous conseille le livre-filmographie que lui a consacré Laurent Aknin, Sir Christopher Lee (éditions Nouveau Monde). Jetez-vous aussi Dans les griffes de la Hammer, où Nicolas Stanzick aborde l’histoire de la société de production sous un angle original : la réception des films par la critique française de l’époque (BDL éditions). Et sur le personnage de Dracula, pourquoi pas le beau livre de Jean Marigny : Vampires, de la légende au mythe moderne (éditions de La Martinière). Ou À la poursuite de Dracula, le récit de voyage concocté par Simon Sanahujas (textes) et Gwenn Dubourthoumieu (photos) partis sur les traces du personnage imaginaire en Roumanie et en Angleterre.