Il y a quelque chose de pourri au royaume des blockbusters
On ne le répétera jamais assez : le cinéma va mal. L’argent ne rentre plus dans les caisses et les majors Hollywoodiennes n’arrivent pas à trouver de parade efficace. Après avoir enfumé son monde avec la 3D à la fin des années 2000*, nous observons un repositionnement stratégique autour de deux types de films : le petit budget et le blockbuster rutilant. Sacrifiant au passage les « films du milieu » pourtant indispensable au renouvellement de la créativité, mais comme diraient les petits gars de Goldman Sachs, pourquoi miser sur l’avenir alors qu’on peut s’assurer des profits à court terme ?
Il existe deux types de petits budgets : les films tourné dans un garage avec les sous de son livret A et les films calibrés pour Sundance, la Mecque du cinéma « indépendant ». Les premiers permettent occasionnellement de lancer une franchise extrêmement rentable – en vantant le budget microscopique… par une promotion gargantuesques (Paranormal Activity). Les seconds, produits et/ou distribués par des filiales, permettent de s’acheter une conscience artistique pour pas grand choses en croisant les doigts pour que leur poulain se transforme en sleeper, un succès que personne n’a vu venir qui assure sa propre publicité grâce au bouche à oreille (Little miss sunshine). Même si ça reste d’agréables bonus, les majors étasuniennes ne peuvent pas se reposer sur ces films pour assurer leurs stabilité financière. Depuis le milieu des années 70, ils se sont tourné vers un autre genre de productions calibrées pour engranger un maximum de dollars : les blockbusters.
Mais au fait, c’est quoi un blockbuster ? Excellente question, je vous remercie de l’avoir posée. C’est un long-métrage conçu pour en mettre plein la vue aux spectateurs – comprendre « doté un budget de production confortable » – dont on va assurer la promotion à coup de millions de dollars pour être bien sûr que les spectateurs sus-cités soient au rendez-vous. Depuis Les dents de la mer (1975), considéré comme le premier de l’histoire, on constate une augmentation exponentielle des budgets qui se base sur un principe discutable : plus le spectateur sera impressionné visuellement, plus il aura envie de revenir. Mouais. Le problème engendré est double : déjà, les studios ont de moins en moins de marge de manoeuvre et misent leur santé financière à chaque sortie. On se rappelle tous le succès colossal de The Dark Knight de Christopher Nolan (2008) qui rapporta à la Warner 1 milliard de dollars pour un budget initial de 185 millions. Bon, d’accord, sans prendre en compte la part de recettes revenant aux exploitants et le budget alloué à la promotion du film mais ça reste malgré tout une très belle opération. Qui a juste permis d’éponger les pertes colossales du Speed Racer des Wachowski sorti quelques mois plus tôt (94 millions de recettes pour un budget de production estimé à 120, ouch). J’en profite pour rappeler qu’Hollywood ne fonctionne pas selon un modèle associatif : c’est une vaste entreprise capitaliste qui doit faire des bénéfices et pas juste rembourser les sommes investies. Autre exemple qui reste dans toutes les mémoires : la MGM qui, même si elle possède les droits de la franchise la plus longue et la plus rentable de l’histoire du cinéma – James Bond – a été plusieurs fois au bord du dépôt de bilan et a failli annuler le tournage de Skyfall. Et je ne parle pas de Disney ! Enfin, je n’en parle pas tout de suite mais nous y reviendrons sûrement.
Conséquence directe des risques financiers et de la baisse de la fréquentation, la castration artistique des œuvres. Plus le budget d’un film est important, plus il y aura de « costumes-cravates » issus des départements juridiques et financiers du studio sur le tournage, remettant en question le moindre choix du réalisateur en fonction de deux critères : le coût et ce que le public attend. Enfin, ce qu’il est sensé attendre d’après des enquêtes statistiques très poussées. Si les metteurs en scène étasuniens ont l’habitude de travailler dans ces conditions, ce n’est pas le cas des nombreux expatriés accueillis à bras ouvert parce qu’ils ont fait des étincelles dans leurs pays d’origine… et parce qu’ils sont moins chers que leurs homologues américains. On se remémorera les images de la première d’Alien resurrection de notre Jean-Pierre Jeunet national (1997) qui portait toute la misère du monde sur son visage et jurait qu’on ne l’y reprendrait plus. Et je vous conseille fortement Fucking Kassovitz, un documentaire qui revient sans langue de bois sur les déboires du frenchy pendant la production de Babylon A.D. en 2008 (vous trouverez la vidéo ICI mais les passages en anglais ne sont pas sous-titrés).
Autre tendance de plus en plus marquée : le délaissement des histoires originales au profit d’un matériau pré-existant, que ce soit un livre, un comic-book ou… un autre film. Et si en plus on peut en tirer une franchise bien juteuse, c’est top. L’idée sous-jacente est simple : proposer au spectateur potentiel un cadre qu’il connaît, donc rassurant – et faire des économies de promotion au passage. Ceci explique le déferlement de suites, remakes, reboots et adaptations en tout genre qui inondent nos écrans au détriment de ce qu’Hollywood risque de payer très cher ces prochaines années : la créativité. Pire, en souhaitant maximiser le public potentiel, on constate une autocensure assez imbécile qui pousse les blockbusters à ne plus sortir du cadre étriqué du PG-13. Ce n’est pas, comme on pourrait le croire, une interdiction en salle aux mineurs de moins de 13 ans mais un simple avertissement à l’adresse des parents. Pour faire simple, ça veut dire que le film contient quelques gros mots, que des personnages boivent et/ou fument, qu’on peut apercevoir subrepticement un bout de sein ou de fesse, bref pas de quoi brûler un multiplexe sur l’autel de la bienséance. Le problème, c’est qu’on a vu débarquer une flopée de films d’horreur ou d’action à gros budget estampillés PG-13 plus frustrant les uns que les autres avec leur retenue politiquement correcte et leur manque d’ambition graphique. Le virage tragique pris par la carrière de Tim Burton à l’orée des années 2000 en est une parfaite illustration et si Steven Spielberg se pointait aujourd’hui avec le script des Dents de la mer sous le bras, il se ferait gentiment claquer la porte au nez.
Allez, ça sera tout pour aujourd’hui. Dans le prochain épisode, nous reviendrons sur une poignée de blockbusters sortis ces derniers mois, histoire d’illustrer tout ça avec des exemples concrets. D’ici là, n’oubliez-pas d’aller au cinéma, il en a bien besoin…
* Une « révolution » qui, à deux ou trois films près, n’aura servi qu’à trafiquer des résultats déjà mal en point et à priver l’adolescent timide d’un classique de la drague. Celles et ceux qui ont essayé de se galocher avec des lunettes actives sur le nez savent de quoi je parle.
Je regarde rarement les making-of, vu que la plupart du temps, je ne leur trouve pas vraiment d’intérêt, mais celui-ci est passionnant de bout en bout, trouvé-je (j’ai presque envie de voir le film, du coup). Merci Guillaume !
De rien mon cher Gilles. Mais ne te laisse pas berner par fucking Kassovitz, Babylon A.D. reste un sacré mauvais film où il n’y a rien à sauver. Il m’a juste donné envie de lire le roman qui a l’air très bien.
Sacré mauvais film, ça se sait, c’est pour ça que je m’étais abstenu. Mais mon envie (ou presque envie) de le voir tiendrait moins à l’envie de voir un bon film que d’essayer de réaliser de quelle manière s’est traduit dans le produit final tout ce qu’on voit dans le making of. Bref, ne t’inquiète pas pour moi, je ne le regarderai pas.
« […] plus le spectateur sera impressionné visuellement, plus il aura envie de revenir ». Gravity a vraisemblablement été très bien critiqué partout : comme quoi, même les critiques, ces spectateurs avisés, sont trop facilement impressionnables.