J’ai (très) mal au Cinéma…
Cinquante-cinq jours depuis mon dernier post, et plus de sept mois depuis ma dernière critique de film. La flemme et l’angoisse de la page blanche n’expliquent pas tout : je suis en pleine dépression cinéphilique. Au point d’avoir lancé au cours d’une discussion un péremptoire : « De toute façon, le cinéma est mort avec Kubrick et la critique avec Serge Daney » 1. Chronique d’une descente aux enfers.
Déjà, si vous êtes cinéphile, ne travaillez jamais dans un cinéma. A cause des horaires, qui vous privent des meilleurs créneaux pour… aller voir des films, et parce qu’à moins d’être programmateur d’une cinémathèque, vous allez rapidement vous retrouvez devant un choix cornélien. Vendre votre âme à un établissement commercial, avec à la clef ulcères à l’estomac et dégoût de soi, ou travailler dans le cinéma de vos rêves, sans vraiment en profiter parce que… vous y travaillez. A tout prendre, j’ai opté pour une troisième voie, un mono-écran excentré qui passe un peu de tout. Ça permet de garder un œil sur le tout venant (et d’être incollable sur les fins de films) et de savourer quelques merveilles sur grand écran à l’occasion de soirées spéciales. De quoi compenser les tortures que vous inflige cette saloperie de conscience professionnelle lorsque d’innocents spectateurs vous demandent si le dernier Lelouch est bien ou ce que vous pensez de Dany Boon parce que eux, ils a-do-re-nt. Croyez moi, ça n’est pas facile tous les jours… Autre problème, je suis aux premières loges pour constater les ravages de la crise qui secoue le milieu depuis plusieurs années. Les entrées qui baissent inexorablement, la raréfaction des films qui marchent, le vieillissement du public. Et les recettes foireuses concoctées par des producteurs frileux pour tenter de sauver les meubles, à grands coups de statistiques et d’études de marché. Si t’es étasunien, mise tout sur un blockbuster de super-héros ou un film d’animation familial. En 3D tant qu’à faire, ça rapporte plus. Et si t’es français, choisis la différence – mais en restant dans le politiquement correct, hein ? – traitée sur le mode de la comédie, avec une fin positive et un casting calculé pour toucher un maximum de spectateurs. En ce moment, les gens ont besoin d’être rassuré et de positiver. Si en plus on peut leur donner bonne conscience, c’est parfait. L’intolérance, c’est mal, mais au fond, l’intolérant est un gars sympa, et comme un accroc à la cigarette, il peut arrêter quand il veut. Ce qui ne l’empêchera pas de vous insulter parce qu’il ne reste plus que des places devant ou que vous refusez de prendre son abonnement périmé depuis deux ans en caisse. Si le public ne se déplace en masse que pour plébisciter des films comme Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu, c’est peut-être qu’on a le cinéma qu’on mérite.
Donc, c’est décidé, j’arrête de fréquenter les salles obscures. Dans une société qui prône l’individualisme et la sociabilité à distance, autant rester le cul vissé sur un canapé devant mon téléviseur plasma de 139 cm. Sauf que là aussi, c’est le marasme absolu. Il n’y a quasiment plus de créneaux dédiés au Septième Art sur les chaînes gratuites 2, le marché du DVD et du Blu-ray est moribond, la dématérialisation ne décolle pas et tout ça serait la faute des méchants téléchargeurs, ces vils fossoyeurs de la création artistique. Donc, malgré l’acquittement de ma redevance télé, malgré mes étagères remplies de DVD, ça serait de ma faute si tout se casse la gueule. Parce que figurez-vous que je télécharge. Et pas qu’un peu. Ah, maudite culpabilité judéo-chrétienne ! Cette fois, c’est décidé, j’arrête définitivement le cinéma et j’anesthésie ma dépression à coup de séries télé. D’après les médias, elles sont de plus en plus cinématographiques, alors…
(A SUIVRE…)
1 Ce à quoi mon interlocuteur à eu l’intelligence de répondre que je pouvais être vraiment très con quand je m’y mettais. Merci Benjamin pour cette remise en place salutaire.
2 Ah, cruelle ironie ! Il y a vingt ans, je maudissais la télévision française qui méprisaient les séries étasuniennes (VF exclusivement, diffusion au compte goutte, dans le désordre et à des horaires indécents, les amateurs de Law & Order à l’époque où elle s’appelait New York District savent de quoi je parle !), Aujourd’hui, comme ça coûte moins cher, elles sont programmées en prime time par tranches de trois ou quatre épisodes, au détriment des films qui sont réduits à la portion congrue. Si Dieu existe, il a un sacré sens de l’humour…