Adieu au langage
Maps to the stars apparaît d’abord comme une description acerbe de Hollywood avec ses enfants stars insupportables et paumés, son hypocrisie, ses actrices jalouses et vieillissantes, la violence de la concurrence entre les acteurs. C’est un portrait féroce et drôle mais c’est aussi autre chose, c’est une histoire de malédiction et d’inceste, en lien avec ce milieu du cinéma qui paraît incestueux et consanguin, hors du monde. Ce film reprend aussi les thèmes de David Cronenberg, le corps et comment on essaie de le maîtriser en vain, comment il se transforme, plus besoin de passer par les monstres du cinéma fantastique de ses débuts, la monstruosité est là en permanence, prête à surgir, elle s’appelle le temps qui passe, l’angoisse, la survie et transforment les hommes en bêtes.
On retrouve plus spécifiquement autre chose qui intéresse le cinéaste, surtout depuis quelques films, le rapport du corps au langage, thème qui traverse A dangerous method où le discours psychanalytique essaie de contenir la sexualité débordante, qui traverse aussi le beau et incompris Cosmopolis dans lequel le langage économique devient totalement absurde, ne s’accroche plus rien, ne sont que des mots là pour asseoir un pouvoir et non pour signifier quoi que ce soit, ces mots qui s’opposaient au corps sans cesse évalué et devant rester performant du personnage joué par Robert Pattinson. Si dans Cosmopolis cela se passait dans la bulle d’une voiture, on retrouve les mêmes éléments dans Maps to the stars mais dans un endroit ouvert, le langage circule, entre les préceptes bêtifiants du coach personnel, les blagues cyniques des jeunes acteurs, les discours hypocrites des uns et des autres, mais les mots ne veulent là aussi plus rien dire, ainsi le poème d’Eluard est une tentative de s’accrocher à des mots simples qui ont un sens mais ceux-ci paraissent résonner dans le vide, c’est trop tard, l’écart est trop grand. Et cette poésie reprend sens dans un final d’une noirceur absolue.
La mise en scène est élégante, discrète, Cronenberg n’a pas besoin d’être dans la démonstration de force, pourtant la limpidité de cette mise en scène renforce la violence de ce qui est montré, tout est beau, lisse, comme cette maison d’architecte ou tout paraît à sa place, un espace transparent, zen,
Les plans sont caressants, Cronenberg ne cherche pas à en rajouter sur la monstruosité d’une caméra insistante, il ne surplombe pas ses personnages, ne les accable pas, non la mise en scène est presque douce et lumineuse, accompagnée de la musique hypnotique du vieux complice Howard Shore.
Par exemple dans cette très belle scène aussi où la mère pleure seule dans sa baignoire, on la voit au détour d’un plan, avec son mari qui est ailleurs, son fils qui ne voudrait pas entendre. C’est très simple et puissant en même temps. Les mots, les cris, les pleurs ne rencontrent aucun écho, tout semble glisser comme le fait la caméra d’un lieu à un autre, d’une personne à l’autre, seul le passage à l’acte arrête la glissade un moment.
La peur de vieillir, de mourir, de ne plus être aimé, désiré, la perte du sens des choses sont ainsi portés au maximum dans ce monde hollywoodien mais la portée est évidemment universelle et c’est pour cela que ce film dépasse la farce qu’elle paraît être au premier abord. On a vraiment l’impression d’un monde qui se désagrège.
Si Julianne Moore est impressionnante en actrice au narcissisme désespéré et destructeurs, les autres le sont autant dans un registre moins spectaculaire, John Cusack en coach boursouflé et déphasé, arrive à être inquiétant en donnant l’impression de ne rien faire, Olivia Williams joue parfaitement la mère qui semble consciente de l’horreur de ce qui se passe autour d’elle, le fils (Evan Bird) avec un corps étrange, pas fini sait aussi créer quelque chose de troublant. Et Mia Wasikowka qui mériterait un article entier, une actrice découverte entre autres dans la série En traitement ou elle était très émouvante en adolescente perturbée et ce n’est pas pour rien que des cinéastes comme Gus Van Sant ou Jim Jarmusch s’intéressent à elle, son jeu est très moderne, loin des rôles de composition, elle sait être totalement présente et donner en même temps à voir le plaisir de jouer, sans que jamais ça n’empêche d’être touché par ce qu’elle joue. Elle apporte à son personnage de pyromane à la fois une joie mutine et une douceur triste bouleversante. Une lumière émouvante dans ce film désespéré.
Maps to the stars de David Cronenberg, EU, 2014 avec Julianne Moore, Mia Wasikowka, Olivia Williams, John Cusack…