First cow de Kelly Reichardt

Délicat

L’histoire de First Cow est d’une grande simplicité, dans l’Oregon où se développe un village de trappeurs, deux hommes espèrent s’en sortir en vendant des beignets fait à partir de lait volé. C’est avant tout l’histoire d’une amitié. Les deux héros, interprétés avec grâce par John Magaro et Orion Lee, sont beaux et touchants, le premier qui semble souvent apeuré par la brutalité humaine mais qui s’illumine au contact des animaux, de la nature ou en cuisinant, et l’autre qui est un voyageur qui paraît plus cultivé, beau parleur, plus conscient du monde qui l’entoure et de sa dureté.
Ce qui se passe entre eux est d’une grande douceur.
C’est un trait qu’on retrouve souvent dans l’œuvre de Kelly Reichardt, la tendresse entre les deux anciens amis de Old joy, celle qui lie Wendy à son chien dans Wendy et Lucy, celle qu’on voit sur le visage de Lily Gladstone dans Certaines femmes (seul dans Night moves pointe un rapport plus cruel et cynique entre les héros et c’est d’ailleurs son film le moins réussi).
On retrouve aussi cet intérêt pour les laissés pour compte qui traverse ses précédents films, ce questionnement sur le capitalisme et l’idée de la frontière qu’on retrouve dans La Dernière piste.
Son travail a une grande cohérence, ainsi ici la douceur que partage les héros se retrouve dans l’extrême attention dans le regard de la cinéaste sur ceux qu’elle filme, sur leurs gestes, leurs hésitations mais aussi sur la nature, sa vibration, sa lumière, le vent qui fait trembler les feuilles, sur les animaux qui la parcourt. Elle prend le temps pour cela et nous fait rentrer dans un rythme qui nous permet de regarder les hommes et la nature autrement. Mais cette douceur n’est jamais mièvre, le monde qu’elle filme est dur, âpre, violent, un monde qui écrase toujours les plus faibles, les plus tendres, les plus inadaptés.
De même la pauvreté et le dépouillement qui caractérisent souvent ses personnages fait échos à cette apparente simplicité de la mise en scène qui paraît frontale, sans artifice, originelle pourtant il doit en falloir du travail pour arriver à faire ressentir tant d’émotions en si peu d’effets. Comme dans cette dernière scène d’une stupéfiante beauté avec cette idée lumineuse de s’arrêter à ce moment précis, de rester dans l’empathie et la fraternité.
Le film parle de l’origine du capitalisme, avec ce facteur chef qui pense qu’on peut quantifier le nombre de coups de fouet nécessaires pour rendre les travailleurs plus efficaces, qui accompagne le mythe du rêve américain, à force de travail et d’abnégation tout le monde peut s’en sortir (mais finalement non, quand tu es en bas, tu as des chances de rester en bas). Si ces thèmes qui restent actuels sont présents comme le côté mortifère de la spéculation capitaliste sur la nature, avec la baisse du nombre de castors parce qu’ils font des vêtements à la mode, cela ne voile pas l’importance des relations humaines, de l’idée de l’entraide, de la fraternité comme une résistance, la seule voie possible pour arriver à survivre.
Cela n’est jamais démonstratif ni discursif, elle nous fait vivre et ressentir cela par petites touches, juste des échanges de regards compréhensifs, une sorte de lézard que le héros remet sur ses pattes pour le laisser s’enfuir, une vache qui risque de confondre en le reconnaissant celui qui lui parle et la traie avec tant de tranquillité, un amérindien faisant une danse à travers la fenêtre, un homme qui s’allonge à côté d’un autre. C’est tout et ça crée une émotion intense.
Et cela prouve encore une fois que Kelly Reichardt est une immense cinéaste *.

*N’en déplaise à Michel Ciment qui ne comprend pas l’engouement actuel pour elle, mais nous sommes heureux de ne pas comprendre le cinéma de la même façon que lui.
Il suffit par exemple de voir la dernière partie de Certaines femmes pour comprendre l’importance de cette cinéaste aujourd’hui, les plans de la balade à cheval sont parmi les plus beaux vus ces dernières années.

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