Cours, Aluna, cours
Les héros de Licorice Pizza forment un couple dissemblable qui s’énervent lorsqu’ils sont trop proches, se sentent mal dès qu’ils s’éloignent, se cherchent, se griffent, se rapprochent, au début des années 70, aux prémices de la crise pétrolière.
On pourrait, voudrait s’attacher à ce couple mais quelque chose ne fonctionne pas.
Les personnages courent, s’agitent, foncent sans cesse, semblent incapables de rester sur place, avec l’appétit de la jeunesse prêt à affronter le monde. La caméra les suit dans de fréquents longs et brillants plans séquences. L’époque est restituée avec un grand soin, vêtements, musiques, couleurs, avec l’idée d’une insouciance généralisée avant la crise. Tout cela est cohérent esthétiquement.
Paul Thomas Anderson choisit d’éviter toute dramatisation, en enlevant tout enjeu, toute tension, c’est un parti pris mais cela devient vite sans fond ni nécessité. L’histoire est une accumulation de péripéties absurdes sans réels liens entre elles, entre la création d’une entreprise de matelas à eau, la rencontre de vieux acteurs déjantés, le soutien à un politicien, un restaurateur qui fait semblant de comprendre le japonais, etc. tout semble mis sur le même niveau, rien ne semble avoir une quelconque importance. Seul compte l’aspect cool et fun de chaque élément, peut-être en adéquation avec les personnages mais cela renvoie alors à l’idée quand même un peu réac que la jeunesse serait un âge où l’on serait inconséquent, tout en valorisant cela comme une période bénie. Il ne filme d’ailleurs pas une époque mais le fantasme d’une époque, il n’en reste que l’imagerie comme dans cette scène qui pourtant nous sort de la léthargie avec le mari de Barbara Streisand, avec sa coupe et son look d’un chanteur d’Abba, la drogue, le sexe, tout nous renvoie à ce qu’on pense être les années 70 mais il n’y a rien de plus.
Si on décide d’enlever tous les enjeux sexuels, politiques, mélancoliques, historiques ou intimes il ne reste au final pas grand-chose, à part de l’ennui. Ainsi la relation entre les héros est installée dès la première scène et ne variera que très peu. Rien n’est vraiment problématique ni problématisé, la relation entre l’héroïne et sa famille religieuse est posé comme un possible risque de tension qui finalement n’arrivera pas, de même l’arrestation du héros est très vite uniquement vue sous un angle étrange et comique, rien ne se joue, rien ne tranche, l’ensemble est finalement très sage et mignon. L’idée peut être amusante d’éviter tous les clashs possibles, mais ça ne reste qu’une idée. PTA veut faire un film positif, ensoleillé, pourquoi pas mais il faut que quelque chose accroche, qu’il se passe quelque chose, un mouvement émotionnel quelconque, sinon ne transparaît que le décorum et la maîtrise. Il ne suffit pas de mettre des acteurs débutants et non maquillés pour créer de la vie (n’en déplaise au critique des Cahiers du cinéma qui trouve cette idée radicale et lumineuse, comme si PTA était le premier à le faire, revoyons Paranoid Park par exemple de Gus Van Sant, tellement plus troublant), il faut aussi que ces acteurs soient aimés par le cinéaste, qu’on les sente vibrer à l’intérieur. Le film ne semble porté par aucun désir, aucune croyance, aucun regard, juste un exercice de style, une succession d’idées qui peuvent être astucieuses mais qui ne sont pas incarnées.
Plus gênant est l’aspect séduisant de l’ensemble, un film réalisé pour que le spectateur se pâme sur sa mise en scène, pour que l’on se dise à chaque séquence qu’elle a dû être compliqué à chorégraphier, qu’il a fallu une grande préparation. Cette mise en scène est effectivement brillante. Ça se veut virevoltant et léger mais c’est une légèreté volontariste, revendiqué à chaque instant. De plus il n’échappe pas au principe qui veut que lorsqu’une caméra qui bouge beaucoup filme des corps qui bougent beaucoup, cela s’annule et donne une sensation de surplace.
Nous naviguons en surface avec de nombreux signes de coolitude pour attraper le spectateur, de la musique au cabotinage de Sean Penn et Tom Waits, jusqu’au titre qui associe deux éléments qui n’ont aucun rapport, c’est rigolo, malin, ça sonne bien mais ne signifie pas grand-chose.
Cela a marché vu l’accueil critique et publique dithyrambique de ce film à la fois vide et boursouflé. Après Annette et Drive my car, il faut croire que la virtuosité écrasante a l’art d’aveugler les spectateurs et les critiques. Seul compte l’emballage, Licorice pizza est pour le coup vraiment un film en adéquation avec notre époque.
Licorice Pizza de Paul Thomas Anderson, 2022, EU avec Alana Haim, Cooper Hoffman, Bradley Cooper…