Talking about the Revolutions
Dans Black Is Beltza* (2018), nous suivions le parcours révolutionnaire de Manex, de Harlem à l’Espagne franquiste en passant par La Havane, Monterrey ou l’Algérie. Vingt ans plus tard, vers la fin des années 80, nous retrouvons sa fille Ainhoa à Cuba. Avec elle s’amorce un nouveau voyage initiatique, sur les traces des magouilles de la CIA depuis les champs de pavot afghans jusqu’aux veines de la jeunesse contestataire basque. Si les trafics d’héroïne et de cocaïne – avec en filigrane l’explosion du sida – offrent un contexte particulièrement sombre à son périple, il sera émaillé d’espoirs révolutionnaires, de rencontres entendues ou improbables, d’élans d’amour, d’accès de rage, d’éclats de rire ou de plaisir. Et de musique, évidement, puisque l’on doit ce beau film d’animation à Fermin Muguruza, chanteur basque des groupes Kortaku puis Negu Gorriak.
Moins bien tenu narrativement que le volet précédent, Black Is Beltza II… gagne en énergie ce qu’il perd en formalisme. Manex voyageait à travers le monde révolutionnaire de la fin des années soixante, de flash-back en flash-back sur la musique soul d’Ottis Reading. Sa fille le fait sur une bande son punk, majoritairement tirée du répertoire de son réalisateur – mais pas que – et avance vaille que vaille sans se laisser engluer par le passé ou la nostalgie. Fermin Muguruza esquive le piège de l’ego-trip que le début du film laissait craindre, entre auto-références et hommage à son frère Iñigo décédé pendant sa conception. Très vite, il s’efface pour laisser la place à Ainhoa, héroïne attachante qui gardera sa part de mystère jusqu’au bout de l’intrigue. Mieux, alors que son père renvoyait l’image d’un révolutionnaire corto-maltesien fantasmé un peu suranné, elle résonne autant avec son époque qu’avec la nôtre : femme, racisée, badass, déterminée, sensible, puissante, elle dresse une passerelle avec les luttes actuelles sans que le trait ne soit forcé ou que cela joue contre le cadre historique.
Le film s’adresse donc autant aux anciens combattants fatigués qu’aux jeunes louves du militantisme. C’est ce qui est ressorti de l’avant-première organisée à Grenoble, en présence du réalisateur et d’une représentante de la société qui distribue le long métrage en France. Alors qu’on nous rebat les oreilles avec les mauvais chiffres de l’exploitation, le cinéma indépendant prouve une fois de plus qu’il ne manque ni de ressources, ni d’intérêt – à défaut d’argent ou d’un soutien digne de ce nom des autorités compétentes. Black Is Beltza II : Ainhoa sort le 16 novembre. Ce sera compliqué de le voir, c’est la dure loi commerciale de notre merveilleuse société capitaliste. Mais je ne doute pas que sa carrière sera plus longue et plus riche que la dernière marvellerie en date, parce que c’est un film d’une immense sincérité. Ça veut aussi dire que c’est à vous de jouer : parlez-en autour de vous, harcelez les salles de cinéma pour qu’elles le projettent, organisez du covoiturage si besoin, mais allez le voir. C’est important, pour le réalisateur, pour la boite de distribution, pour que d’autres films de cet acabit puissent exister.
* Noir se dit Beltza (en langue basque).
Black Is Beltza II : Ainhoa, de Fermin Muguruza, 2022, Espagne.