En commun
On retrouve pour Septembre sans attendre, le réalisateur du beau et languide Eva en août, Jonás Trueba, son actrice Itsaso Arana (elle aussi réalisatrice sur d’autres projets) et son acteur Vito Sanz, tous trois scénaristes sur ce film. Et ce n’est pas un hasard qu’il ait été pensé à plusieurs.
Le récit part d’une double proposition, un couple (Ale et Alex) décide de se séparer et veut faire une fête pour célébrer cette séparation. Ils se disent aussi que cela pourrait faire un sujet de film. Film qu’on devine pouvant être celui qu’on voit.
Ainsi on suit les deux héros qui rencontrent et annoncent à leur entourage leurs intentions. Le récit joue alors avec le principe de répétition qui lui donne un aspect comique avec le dévoilement de la décision de séparation suivi d’une rassurante dénégation « mais tout va bien ». Une façon de mettre l’émotion de côté. Mais peut-on se séparer simplement, joyeusement.
C’est aussi à une sorte de jeu que se livre ce couple. En suivant ce projet d’imaginer une fête inédite, de l’annoncer, de guetter les réactions autour, ils partagent et retrouvent une complicité qu’on imaginait endormie, et cela par petites touches discrètes. On voit dans le même mouvement quelque chose qui se défait et quelque chose qui se refait dans le plaisir de construire un récit à deux, le plaisir de la controverse, des désaccords, des accords, des souvenirs communs. La mise en scène épouse ces mouvements, avec ces plans d’intérieur où ils se retrouvent seuls, ou à deux, les split screen, les jump cut, ces changements d’axe brusques, on perçoit toute une hésitation sur comment habiter un espace, un appartement, une ville, quand on est un couple ou quand on se sépare, et ses effets reflètent comment cette nouvelle vie peut être un brouillon, quelque chose qui cherche à se construire sous nos yeux.
L’héroïne du film est réalisatrice et son compagnon est acteur. Ils tournent ensemble, et on les voit dans ce film en train de se faire, se regarder bouger, marcher, s’éloigner, se voir avec un nouvel angle, en faisant un pas de côté. Ils se découvrent à nouveau, et ce sont les plus beaux moments du film, parce que par cette intermédiaire l’émotion peut affleurer et nuancer ce mantra « tout va bien » . Comme dans cette scène magnifique où elle le filme pour répéter une scène et l’intimité peut se dire par cette voie détournée.
Le film dans le film permet aussi de commenter de l’intérieur à la fois le film auquel on assiste et la séparation, et si on s’amuse avec les références cinéphiliques (La fille du vendredi de Hawks, Woody Allen, Bergman…), ça rentre dans cette idée de jeu. Ces citations de Stanley Cavell indiquent-elles que nous sommes dans une comédie de remariage et que les protagonistes vont se remettre ensemble ou sont-elles juste des références communes.
Un ami des héros développe le concept de film cercle, ou de film droite (dans une amusante scène de critique du film de l’héroïne qui pourrait être une critique de Septembre sans attendre). Le premier étant un film qui illustre un discours et le second un film qui suit son chemin sans qu’on sache où il va, qui se construit au fur et à mesure. Septembre sans attendre est un film droite qui tâtonne, aime les détours, les instants volés, comme ce moment où Alex regarde Ale avec tendresse pendant qu’elle fait un cauchemar.
Toutes ces mises en abyme pourraient n’être que d’amusants et vains exercices de style si elles n’étaient pas en cohérence avec le propos du film, cette idée que ce qui fait vivre une relation c’est le jeu, à la fois dans ses répétitions, ses variations, ses distances et ses rapprochements.
Ainsi ce film bercé par une douce mélancolie arrive à être à la fois euphorisant et triste, vivant et touchant. Peu importe ce qui se passe ensuite, ils se sont retrouvés, ils ont retrouvé leur complicité.
Septembre sans attendre, Volveréis, 2024, Espagne de Jonás Trueba avec Itsaso Arana, Vito Sanz…