Vivement l’atterrissage
Des a-plats de couleurs vives, une musique entraînante, le générique des Amants passagers nous plonge dans la période movida du cinéma d’Almodòvar. Il revient à ses premiers amours pour participer aux débats qui agitent son pays en crise. Ce film semble avoir été tourné avec la nécessité de réagir à la situation politique et sociale espagnole.
Les métaphores sont claires, entre les passagers de la classe économique qui somnolent drogués par les membres de l’équipage comme le peuple qu’on a trop longtemps endormis, l’avion qui ne peut se poser comme image de l’Espagne, la dominatrice qui dit avoir des vidéos compromettantes de tous les puissants du pays, l’homme qui travaille comme conseiller en sécurité mais qui est aussi tueur à gage (comme le dit un passager, « c’est toujours comme ça ») jusqu’à ce héros, Joserra, qui ne peut s’empêcher de tout répéter qui pourrait être un double du cinéaste avec cette idée qu’on ne peut plus rien cacher, que tout est visible, que le roi est nu. La charge est féroce et souvent drôle.
L’ensemble se veut joyeux et c’est réjouissant de voir ces personnages qui à l’annonce de la catastrophe, se drogue encore plus, baise les uns avec les autres, dans un élan libertaire libérateur, une ode à l’amour libre, à toutes les sexualités, ce n’est pas parce que la situation est pourrie, que la fin est proche qu’on va cesser de vivre et de profiter de la vie et de ses vices. Cette façon d’être à la fois critique tout en refusant de se laisser à la déprime est plutôt bienvenue.
Tout est là pour qu’on applaudisse.
Mais cette joie paraît forcée. La mise en scène est souvent volontariste, essaie de créer du mouvement, du délire mais l’ensemble manque de rythme, on sent que le film a été fait en vitesse et Almodòvar paraît ne pas trop savoir quoi faire dans cette avion, son style est bridé, le huis-clos semble l’étouffer, du coup il ne fait qu’illustrer des dialogues enlevés, on a parfois l’impression d’assister à une retransmission de café théâtre. Quelques scènes sont mêmes totalement ratées comme celle, tire-larmes, où Norma pousse au rapprochement entre un père et sa fille. Le cinéaste cherche à retrouver son premier cinéma, fait à l’arrache, provocant et sexuel, mais d’un côté cet aspect de libération sexuelle, même si toujours nécessaire, n’a plus la même force provocante qu’à la sortie du franquisme, d’un autre côté, on sait aujourd’hui ce dont est capable ce cinéaste. On sait qu’il peut être un très grand styliste, en quelques plans à l’extérieur il nous le rappelle, en filmant une femme prête à sauter d’un pont qui reçoit un appel téléphonique de son amant, il nous montre que par sa seule mise en scène, il peut créer une situation troublante, poétique et dramatique dans le même mouvement.
Le clin d’œil du début est, à cet égard, cruel, en filmant quelques minutes Penélope Cruz et Antonio Banderas provoquant l’avarie dont sera victime l’avion avant de disparaître de l’histoire, il filme ses acteurs fétiches et on ne peut s’empêcher de penser à d’autres œuvres du cinéaste. On ne peut s’empêcher de se souvenir des plans magnifiques des Étreintes brisées, par exemple ceux où le personnage puissamment incarné par Penélope Cruz baise avec son vieux mari sous un drap blanc qui les recouvre entièrement avant d’aller vomir dans les toilettes, on ne peut s’empêcher de se souvenir que ce cinéaste a tourné des films majeurs comme ces Étreintes brisées, En Chair et en os ou La Mauvaise éducation qui volaient tellement au-dessus de ces Amants passagers.
Mais peut-être que le fond du film est là, dans cette incapacité, ainsi cette danse des stewards sur I’m so excited, qui semble devoir être une sorte d’acmé du film, et qui fait clip surjoué, là pour faire plaisir aux spectateurs. Comme le dit ensuite le héros dans un aveu d’impuissance, avant ça marchait, aujourd’hui ça ne marche plus, on ne peut plus distraire la masse ainsi. De même que ces plans simples et beaux à la fin du film sur cet aéroport désert nous rappelle que les choses ne sont pas aussi roses, dommage qu’Almodòvar n’ait pas suivi cette piste plus sombre qui lui va mieux, dommage qu’il ait oublié son cinéma en s’enfermant dans cette avion.
Les Amants passagers (Los amantes passajero) de Pedro Almodòvar, Espagne, 2013 avec Javier Càmara, Carlos Areces, Raùl Arévalo, Lola Dueñas…
Lu, ici, en Espagne:
« Quand un jeune et vétéran metteur en scène, de moins de 65 ans, fait un film hommage à tous ses films, de manière métaphorique ou métonymique, à tous ses acteurs, et à quelques uns de ses morts et vivants… que pouvons-nous penser : ou il pense (inconsciemment) à sa propre mort ou il est déprimé ou il est malade suite à une dépression qui n’a pas été traitée… cela coûte moins cher de demander une consultation avec un psychanalyste. Et si c’est un nouveau pas dans sa création artistique sans psychanalyse il ne pourra inclure la poésie de l’humain. »
Je peux être d’accord sur le début du message, effectivement, une angoisse est présente dans ce film. Mais je ne vois pas pourquoi il y aurait une obligation de passer par la psychanalyse pour inclure la poésie de l’humain. Il n’y a jamais qu’une seule voie pour cela. Et quand je vois un film, je m’en fous un peu de savoir l’état psychique du cinéaste, ce qui m’importe c’est l’œuvre qu’il crée, c’est sur cette œuvre que s’exerce ma critique, le reste ne me concerne pas. Après le lien entre création et analyse est un débat qui peut être intéressant mais qui est autre.