Baptiste Madamour – en revenant du cinéma http://enrevenantducinema.fr Fri, 04 Feb 2022 12:53:54 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.0.16 Licorice Pizza de Paul Thomas Anderson http://enrevenantducinema.fr/2022/02/04/licorice-pizza-de-paul-thomas-anderson/ http://enrevenantducinema.fr/2022/02/04/licorice-pizza-de-paul-thomas-anderson/#respond Fri, 04 Feb 2022 12:53:51 +0000 http://enrevenantducinema.fr/?p=2849 Cours, Aluna, cours

Les héros de Licorice Pizza forment un couple dissemblable qui s’énervent lorsqu’ils sont trop proches, se sentent mal dès qu’ils s’éloignent, se cherchent, se griffent, se rapprochent, … Lire la suite...

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Cours, Aluna, cours

Les héros de Licorice Pizza forment un couple dissemblable qui s’énervent lorsqu’ils sont trop proches, se sentent mal dès qu’ils s’éloignent, se cherchent, se griffent, se rapprochent, au début des années 70, aux prémices de la crise pétrolière.
On pourrait, voudrait s’attacher à ce couple mais quelque chose ne fonctionne pas.
Les personnages courent, s’agitent, foncent sans cesse, semblent incapables de rester sur place, avec l’appétit de la jeunesse prêt à affronter le monde. La caméra les suit dans de fréquents longs et brillants plans séquences. L’époque est restituée avec un grand soin, vêtements, musiques, couleurs, avec l’idée d’une insouciance généralisée avant la crise. Tout cela est cohérent esthétiquement.
Paul Thomas Anderson choisit d’éviter toute dramatisation, en enlevant tout enjeu, toute tension, c’est un parti pris mais cela devient vite sans fond ni nécessité. L’histoire est une accumulation de péripéties absurdes sans réels liens entre elles, entre la création d’une entreprise de matelas à eau, la rencontre de vieux acteurs déjantés, le soutien à un politicien, un restaurateur qui fait semblant de comprendre le japonais, etc. tout semble mis sur le même niveau, rien ne semble avoir une quelconque importance. Seul compte l’aspect cool et fun de chaque élément, peut-être en adéquation avec les personnages mais cela renvoie alors à l’idée quand même un peu réac que la jeunesse serait un âge où l’on serait inconséquent, tout en valorisant cela comme une période bénie. Il ne filme d’ailleurs pas une époque mais le fantasme d’une époque, il n’en reste que l’imagerie comme dans cette scène qui pourtant nous sort de la léthargie avec le mari de Barbara Streisand, avec sa coupe et son look d’un chanteur d’Abba, la drogue, le sexe, tout nous renvoie à ce qu’on pense être les années 70 mais il n’y a rien de plus.
Si on décide d’enlever tous les enjeux sexuels, politiques, mélancoliques, historiques ou intimes il ne reste au final pas grand-chose, à part de l’ennui. Ainsi la relation entre les héros est installée dès la première scène et ne variera que très peu. Rien n’est vraiment problématique ni problématisé, la relation entre l’héroïne et sa famille religieuse est posé comme un possible risque de tension qui finalement n’arrivera pas, de même l’arrestation du héros est très vite uniquement vue sous un angle étrange et comique, rien ne se joue, rien ne tranche, l’ensemble est finalement très sage et mignon. L’idée peut être amusante d’éviter tous les clashs possibles, mais ça ne reste qu’une idée. PTA veut faire un film positif, ensoleillé, pourquoi pas mais il faut que quelque chose accroche, qu’il se passe quelque chose, un mouvement émotionnel quelconque, sinon ne transparaît que le décorum et la maîtrise. Il ne suffit pas de mettre des acteurs débutants et non maquillés pour créer de la vie (n’en déplaise au critique des Cahiers du cinéma qui trouve cette idée radicale et lumineuse, comme si PTA était le premier à le faire, revoyons Paranoid Park par exemple de Gus Van Sant, tellement plus troublant), il faut aussi que ces acteurs soient aimés par le cinéaste, qu’on les sente vibrer à l’intérieur. Le film ne semble porté par aucun désir, aucune croyance, aucun regard, juste un exercice de style, une succession d’idées qui peuvent être astucieuses mais qui ne sont pas incarnées.
Plus gênant est l’aspect séduisant de l’ensemble, un film réalisé pour que le spectateur se pâme sur sa mise en scène, pour que l’on se dise à chaque séquence qu’elle a dû être compliqué à chorégraphier, qu’il a fallu une grande préparation. Cette mise en scène est effectivement brillante. Ça se veut virevoltant et léger mais c’est une légèreté volontariste, revendiqué à chaque instant. De plus il n’échappe pas au principe qui veut que lorsqu’une caméra qui bouge beaucoup filme des corps qui bougent beaucoup, cela s’annule et donne une sensation de surplace.
Nous naviguons en surface avec de nombreux signes de coolitude pour attraper le spectateur, de la musique au cabotinage de Sean Penn et Tom Waits, jusqu’au titre qui associe deux éléments qui n’ont aucun rapport, c’est rigolo, malin, ça sonne bien mais ne signifie pas grand-chose.
Cela a marché vu l’accueil critique et publique dithyrambique de ce film à la fois vide et boursouflé. Après Annette et Drive my car, il faut croire que la virtuosité écrasante a l’art d’aveugler les spectateurs et les critiques. Seul compte l’emballage, Licorice pizza est pour le coup vraiment un film en adéquation avec notre époque.
Licorice Pizza de Paul Thomas Anderson, 2022, EU avec Alana Haim, Cooper Hoffman, Bradley Cooper…

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First cow de Kelly Reichardt http://enrevenantducinema.fr/2021/10/27/first-cow-de-kelly-reichardt/ http://enrevenantducinema.fr/2021/10/27/first-cow-de-kelly-reichardt/#respond Wed, 27 Oct 2021 16:03:33 +0000 http://enrevenantducinema.fr/?p=2438 Délicat

L’histoire de First Cow est d’une grande simplicité, dans l’Oregon où se développe un village de trappeurs, deux hommes espèrent s’en sortir en vendant des beignets fait à partir … Lire la suite...

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Délicat

L’histoire de First Cow est d’une grande simplicité, dans l’Oregon où se développe un village de trappeurs, deux hommes espèrent s’en sortir en vendant des beignets fait à partir de lait volé. C’est avant tout l’histoire d’une amitié. Les deux héros, interprétés avec grâce par John Magaro et Orion Lee, sont beaux et touchants, le premier qui semble souvent apeuré par la brutalité humaine mais qui s’illumine au contact des animaux, de la nature ou en cuisinant, et l’autre qui est un voyageur qui paraît plus cultivé, beau parleur, plus conscient du monde qui l’entoure et de sa dureté.
Ce qui se passe entre eux est d’une grande douceur.
C’est un trait qu’on retrouve souvent dans l’œuvre de Kelly Reichardt, la tendresse entre les deux anciens amis de Old joy, celle qui lie Wendy à son chien dans Wendy et Lucy, celle qu’on voit sur le visage de Lily Gladstone dans Certaines femmes (seul dans Night moves pointe un rapport plus cruel et cynique entre les héros et c’est d’ailleurs son film le moins réussi).
On retrouve aussi cet intérêt pour les laissés pour compte qui traverse ses précédents films, ce questionnement sur le capitalisme et l’idée de la frontière qu’on retrouve dans La Dernière piste.
Son travail a une grande cohérence, ainsi ici la douceur que partage les héros se retrouve dans l’extrême attention dans le regard de la cinéaste sur ceux qu’elle filme, sur leurs gestes, leurs hésitations mais aussi sur la nature, sa vibration, sa lumière, le vent qui fait trembler les feuilles, sur les animaux qui la parcourt. Elle prend le temps pour cela et nous fait rentrer dans un rythme qui nous permet de regarder les hommes et la nature autrement. Mais cette douceur n’est jamais mièvre, le monde qu’elle filme est dur, âpre, violent, un monde qui écrase toujours les plus faibles, les plus tendres, les plus inadaptés.
De même la pauvreté et le dépouillement qui caractérisent souvent ses personnages fait échos à cette apparente simplicité de la mise en scène qui paraît frontale, sans artifice, originelle pourtant il doit en falloir du travail pour arriver à faire ressentir tant d’émotions en si peu d’effets. Comme dans cette dernière scène d’une stupéfiante beauté avec cette idée lumineuse de s’arrêter à ce moment précis, de rester dans l’empathie et la fraternité.
Le film parle de l’origine du capitalisme, avec ce facteur chef qui pense qu’on peut quantifier le nombre de coups de fouet nécessaires pour rendre les travailleurs plus efficaces, qui accompagne le mythe du rêve américain, à force de travail et d’abnégation tout le monde peut s’en sortir (mais finalement non, quand tu es en bas, tu as des chances de rester en bas). Si ces thèmes qui restent actuels sont présents comme le côté mortifère de la spéculation capitaliste sur la nature, avec la baisse du nombre de castors parce qu’ils font des vêtements à la mode, cela ne voile pas l’importance des relations humaines, de l’idée de l’entraide, de la fraternité comme une résistance, la seule voie possible pour arriver à survivre.
Cela n’est jamais démonstratif ni discursif, elle nous fait vivre et ressentir cela par petites touches, juste des échanges de regards compréhensifs, une sorte de lézard que le héros remet sur ses pattes pour le laisser s’enfuir, une vache qui risque de confondre en le reconnaissant celui qui lui parle et la traie avec tant de tranquillité, un amérindien faisant une danse à travers la fenêtre, un homme qui s’allonge à côté d’un autre. C’est tout et ça crée une émotion intense.
Et cela prouve encore une fois que Kelly Reichardt est une immense cinéaste *.

*N’en déplaise à Michel Ciment qui ne comprend pas l’engouement actuel pour elle, mais nous sommes heureux de ne pas comprendre le cinéma de la même façon que lui.
Il suffit par exemple de voir la dernière partie de Certaines femmes pour comprendre l’importance de cette cinéaste aujourd’hui, les plans de la balade à cheval sont parmi les plus beaux vus ces dernières années.

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Drive my car de Ryusuke Hamaguchi http://enrevenantducinema.fr/2021/10/08/drive-my-car-de-ryusuke-hamaguchi/ http://enrevenantducinema.fr/2021/10/08/drive-my-car-de-ryusuke-hamaguchi/#respond Fri, 08 Oct 2021 10:58:54 +0000 http://enrevenantducinema.fr/?p=2433 Sur une route balisée

Ce film était un des principaux favoris au festival de Cannes pour la palme d’or, la plupart des critiques l’ont décrit comme un chef-d’œuvre et le … Lire la suite...

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Sur une route balisée

Ce film était un des principaux favoris au festival de Cannes pour la palme d’or, la plupart des critiques l’ont décrit comme un chef-d’œuvre et le public a suivi mais on peut être surpris par cet unanimisme.
La première partie de Drive my car est séduisante dans sa mise en place, ce prologue avec le surgissement de la scène adultérine, la mort soudaine de la femme du héros, et le départ vers Hiroshima. C’est très sec, efficace et traversé d’une étrangeté qui éveille l’attention.
Une fois arrivé à Hiroshima où le héros, Yûsuke Kafuku va mettre en scène Oncle Vania, on devine assez vite où on nous emmène. Le héros va devoir être emmené par une chauffeuse douée et effacée. Si la rencontre avec cette conductrice est plutôt touchante, l’impression de suivre une voie toute tracée s’intensifie au fur et à mesure, on comprend que ces deux personnages renfermés vont finir par se dévoiler, se confier et qu’alors adviendra une émotion forte, etc., tout semble aller dans ce sens. Le cheminement est fléché et le film ne dérogera pas au programme qu’il s’est fixé.
Tout est censé faire sens, aucun élément ne semble là au hasard mais chacun doit signifier quelque chose à un moment ou à un autre, et cela devient étouffant, ainsi que cette caractéristique très à la mode de donner l’impression de peu expliquer tout en soulignant tout.
Deux exemples parmi d’autres. Le premier, Kafuku et sa conductrice sont tous les deux dans la voiture, un rapprochement se fait, il lui permet alors de fumer une cigarette, ce qui lui refusait avant, on voit la voiture de face dans un plan large et tremblant, elle tend son bras par l’ouverture du toit pour que la cigarette n’abîme pas la voiture, il fait de même. Le plan est beau, furtif, comme volé, ça pourrait s’arrêter là, mais dans le plan suivant, on voit les deux mains en gros plan pour ceux qui n’ont pas compris ce qu’on devait ressentir et penser à ce moment-là sur cette complicité qui se construit. Deuxième exemple, dans la même voiture, lorsque le héros parle de l’âge qu’aurait sa fille disparue soit le même que celui de la conductrice (ce qui n’est pas non plus d’une grande subtilité), on nous montre bien son regard dans le rétro pour ceux qui n’auraient pas fait la connexion.
Elle a perdu ses parents, il a perdu sa fille, etc. Dans Hiroshima la ville du deuil, alors qu’il joue une pièce sur la vie, la mort, le temps qui passe, etc. Il a un glaucome après avoir vu sa femme avec un autre homme. Le héros a engagé l’ancien amant de sa femme pour jouer son rôle, et on attend la discussion entre les deux qui est au final qu’un monologue à la fois mystérieux et signifiant. Il ne veut plus jouer Vania suite à la mort de sa femme, mais cette place se libère, va-t-il la reprendre, etc.
Lorsque ces éléments disparates finissent par s’assembler, le film met à nu sa mécanique volontariste.
Ainsi tout devient empesé, jusqu’à la dérive finale entre la conductrice et son passager avec des dialogues qui sont de longues tirades pendant lesquelles ils expliquent leur trauma respectif et, acmé émotionnelle pour faire pleurer dans les festivals, arrive ce moment si peu surprenant où les deux se serrent l’un contre l’autre, acceptant la réalité du deuil et sa part de culpabilité. Dans un paysage enneigé, la neige comme symbole, encore un, de ce qui est enfoui. Cela sonne alors comme plaqué, non vécu, non ressenti. Cela n’existe pas parce qu’on sent l’intention du cinéaste en permanence. Pour finir par ce dernier plan sur cette femme muette jouant en langage des signes avec le héros qui a évidemment choisi de revenir jouer Vania au théâtre. C’est très beau, très élégant, très bien pensé mais ça ne vit pas. C’est fait pour plaire, pour qu’on pense que ce plan est beau, et il faut croire que ça a fonctionné vu les éloges que le film a reçus, c’est un film qui suit des rails, qui le fait très bien, mais qui ne prend pas de risque.
Bien sûr, Hamaguchi a du talent, de nombreux plans sont d’une grande force, ainsi ces plans de neige dans le silence, ces plans de circulation, ces entrées dans les tunnels, la route qui serpente proche de la mer, cet arrêt dans la déchetterie, cette séquence d’audition du jeune Koji , etc. Ainsi que cette séquence de répétition dans un parc avec la conductrice en arrière-plan est belle, comme apaisée. Mais là aussi la scène était annoncée en amont par le désir énoncé de la conductrice de voir les répétitions. Tout est calibré, bien construit, mais pour qu’il y ait une émotion, il faut qu’on soit surpris, qu’il y ait des chemins de traverse, des sorties de route, que ça bifurque, déborde.
Pour être bouleversé par un film sur le deuil, dans le sens aussi d’être bougé, mieux vaut aller voir Serre-moi fort de Mathieu Amalric, mais pour cela il faut accepter de se perdre, d’oublier ses repères. Tout ne paraît pas aussi maîtrisé et cela émeut profondément de ne pas savoir où l’on va.

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90’s de Jonah Hill http://enrevenantducinema.fr/2019/05/16/90s-de-jonah-hill/ http://enrevenantducinema.fr/2019/05/16/90s-de-jonah-hill/#respond Thu, 16 May 2019 13:24:21 +0000 http://enrevenantducinema.fr/?p=2423 Faire face

Jonah Hill est un de ces grands acteurs que la comédie étasunienne des vingt dernières années a révélé (comme Ben Stiller, Owen Wilson, Paul Rudd… parmi tant d’autres) … Lire la suite...

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Faire face

Jonah Hill est un de ces grands acteurs que la comédie étasunienne des vingt dernières années a révélé (comme Ben Stiller, Owen Wilson, Paul Rudd… parmi tant d’autres) du beau Supergrave aux jouissives reprises de 21 Jump Street en passant par d’autres films importants comme Le Loup de Wall Street. Acteur de la démesure, pouvant être à la fois drôle, tendre et inquiétant, on ne pouvait qu’être curieux de voir le film qu’il réaliserait, surtout qu’il se frotte au film de skate visité par des cinéastes reconnus (Gus Van Sant, Larry Clark…).
Mais si ce sujet est traité, ce qui intéresse vraiment Jonah Hill, c’est de filmer le passage à l’âge adulte comme dans d’autres films et séries qui ont marqué le cinéma étasunien à partir du début des années 80 (Freaks and Geeks ou Breaking Away par exemple). Si en tant qu’acteur, il est souvent confronté au débordement, son film 90’s arpente ce territoire balisé du teen-movie avec minimalisme.
On pourrait craindre un film sociologique édifiant tendance Sundance, avec beau discours humaniste et rédemption, mais ce n’est pas cela qui, heureusement, motive le réalisateur. Si 90’s raconte la vie de jeunes en marge qui trouvent dans le skate une échappatoire, cela apparaît en filigrane, le cinéaste ne cherche pas tant à dire quelque chose qu’à filmer les choses comme elles sont, il regarde avant tout et laisse vivre les plans, c’est l’instantanée d’une époque avec la musique ad hoc (Pixies, Nirvana, Cypress Hill, etc.), rien de plus qu’une tranche de vie. Le film n’est pas le portrait de quelqu’un qui apprend à faire du skate mais quelqu’un qui veut devenir adulte de façon accélérée pour laisser derrière lui une enfance où il est martyrisé et qui pour cela va rencontrer des alter ego qui ont le même but que lui, avec cette idée que l’adolescence c’est avant tout fuir son enfance et les enjeux familiaux qui vont avec. La situation familiale du héros est exposée en peu d’évènements, un homme qui s’en va, les mots d’un frère devant un jeu vidéo, Jonah Hill fait confiance aux spectateurs pour construire ce qui manque et remplir les blancs. De même le background des membres de la bande est défini en quelques phrases par Ray qui suffisent pour comprendre ce que tous recherchent dans ce groupe et cette pratique.
Jonah Hill préfère prendre le temps de filmer ces corps en mouvement, ces adolescents qui cherchent la bonne posture, ces jeunes tout en arrogance factice, l’avachissement, les jambes écartées, les épaules rentrées, la démarche élastique dans des baggys, les visages butés sous des bonnets, la parole flottante et enfumée. Ces corps le plus souvent affalés et dégingandés qui grâce au skate prennent de la vitesse, s’envolent gracieusement, prennent leur envol.
À l’aide de mouvements de caméra fluides, le cinéaste s’attache à tous les détails, aux échanges de regards comme dans ces skatesparks improvisés où tout le monde s’observe, s’étalonne, où ceux qui sont en bas de l’échelle se croisent, se mélangent (latinos, blancs, noirs). La question n’est pas de faire une belle figure de skate mais surtout d’avoir la bonne attitude, de respecter les codes parfois absurdes de la masculinité naissante.
Cette fluidité est heurtée par des accès de violence filmés avec une grande sécheresse, la rage violente du frère, un accident de voiture résumé en un flash sidérant, violence qui sous tend le film même quand il ne se passe rien. La violence n’est pas édulcorée, les coups portent et pourtant le film est exempt de pathos, parce que le héros ne subit pas, il prend les coups, chute et suit son chemin avec une volonté inébranlable et un sourire permanent, et aussi parce que cela est compensé par la bienveillance qui circule entre les différents membres de la bande de skateurs (et il faut être fort pour nous la faire ressentir de façon aussi intense avec une telle économie de mots et de situations). Même si quelques jalousies ou rancœurs émergent, ils ne peuvent que rester ensemble, le monde extérieur ne veut pas vraiment d’eux, le skate leur permet de rencontrer l’altérité, de se faire une place, de prendre territorialement cette place qu’on ne leur donne pas (une école, une dalle devant un tribunal, etc.).
Ainsi la réussite de ce film tient surtout à la justesse du regard du cinéaste qui permet à tous les personnages d’exister en très peu de plans, de la bande au frère mutique et violent, à la mère qui fait ce qu’elle peut (la réconciliation finale n’est pas appuyée, avec cette mère qui réveille Ray d’une pression douce de la main, cela est simple et beau). On oubliera pas facilement les visages de Sunburn, de Fuckshit, de Ray, de Fourth Grade, de Ruben ou du frère violent du héros. Jonah Hill, cinéaste débutant, ne se met jamais en surplomb, il est vraiment avec eux, à la bonne distance, celle qui nous permet de les regarder avec une empathie sincère et de ne pas les oublier.
90’s de Jonah Hill, États-Unis, 2019 avec Sunny Suljic, Na-Kel Smith, Katherine Waterston, Lukas Hedges…

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Mektoub my love : Canto Uno d’Abdellatif Kechiche http://enrevenantducinema.fr/2018/04/24/mektoub-my-love-canto-uno-dabdellatif-kechiche/ http://enrevenantducinema.fr/2018/04/24/mektoub-my-love-canto-uno-dabdellatif-kechiche/#respond Tue, 24 Apr 2018 20:12:53 +0000 http://enrevenantducinema.fr/?p=2408

Tant de choses à voir

Difficile de savoir si Mektoub my love est le film le plus abouti d’Abdellatif Kechiche mais c’est en tout cas celui où il semble se … Lire la suite...

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Tant de choses à voir

Difficile de savoir si Mektoub my love est le film le plus abouti d’Abdellatif Kechiche mais c’est en tout cas celui où il semble se mettre le plus à nu. Il balaie ce qui parfois pouvait être gênant dans son cinéma dans la distance qu’il avait par rapport à ceux et celles qu’il filmait comme par exemple dans la longue scène sexuelle de La Vie d’Adèle où il faisait preuve paradoxalement d’une soudaine pudeur mal placée. Avec le personnage centrale d’Amin photographe timide, évident double du cinéaste, il trouve un relais à l’intérieur du film pour nous faire partager ses obsessions, il nous fait comprendre et ressentir ce qu’il cherche, il semble libéré et nous emmène avec lui en assumant totalement ses désirs, ses questionnements.
On arrive à toucher ce que le cinéaste travaille depuis ses débuts, et ce dès la scène de sexe inaugurale entraperçue par Amin. Tout le film se jouera sur ce positionnement, ce trouble, cette envie et cette gêne de voir, avec la question de qui regarde, le héros, le cinéaste ou nous, spectateurs.
L’histoire se déroule à Sète, on suit un groupe de jeunes hommes et femmes qui se cherchent, se frôlent, boivent, se baignent, dansent, mangent, discutent. Il ne se passe pas grand-chose d’autre et pourtant on a le sentiment d’un mouvement incessant, d’un élan permanent. Peu de cinéastes savent autant filmer la circulation des corps et cela dans des séquences dont il étire la durée pour voir ce que ça peut rendre. Une caméra alerte passe de l’un à l’autre, on se sent immergé dans une ronde, on ne voit pas le travail, pourtant il faut une grande maîtrise pour donner cette impression de légèreté, de fluidité, de foisonnement, prenant sur le vif les émotions furtives. Il filme la peau, les fesses qui bougent, les torses sous le soleil, s’arrête sur les corps charnues, musclés ou voluptueux, comme dans ces plans sur le corps allongé d’Ophélie à une distance qui englobe une partie des fesses, il prend le temps pour cela, insiste, ne détourne pas le regard, en écho à Amin qui semble fasciné par ce qui l’entoure. Amin regarde ce monde avec l’envie d’en faire partie et une incapacité à cela, toutes les personnes qui l’entourent veulent le faire participer à ces échanges multiples (sa mère, ses amis, etc.) mais lui refuse, on le devine secrètement amoureux de son amie, mais ce n’est pas la seule raison, on sent qu’il aime être en bordure, à la fois à l’intérieur et en dehors, il aime avant tout observer.
Il y a au centre de Mektoub my love, une scène comme une métonymie de tout le film, Amin va dans une bergerie pour photographier des agneaux venant de naître. Le héros qui attend le bon moment, c’est aussi Kechiche qui attend, on voit le film qui est en train de se faire, le photographe Amin comme le cinéaste Kechiche doivent patienter, et cette séquence nous met nous aussi dans cette position d’attente. Être là quand quelque chose se passe, la naissance d’un agneau, comme le rouge venant sur les joues de Céline, comme le sourire, les hésitations dans un moment de séduction, attraper ce qui n’est pas prévu, ce qui surgit.
De même, Kechiche a toujours aimé filmer la bouffe, la morve, les pleurs, la sueur, la chair. Cette scène de la bergerie montre que pour lui la vie naît dans cet aspect gluant de l’accouchement avec ces agneaux juste nés nettoyés délicatement par leur mère, la vie est dès le départ en lien avec les fluides corporelles, elle est définie par ça, loin d’un monde qui s’aseptise.
On sent qu’il aimerait aller voir plus loin, sous la peau s’il le pouvait. Voir ce qui se passe, ne pas évacuer une certaine vulgarité par exemple, ainsi dans la scène de la boîte avec alcool à flot, twerk, lap dance, etc., il n’embellit, ni ne juge, la vie déborde et c’est ce qui importe. De la même façon il filme un hédonisme forcené où l’idée de fidélité en prend un coup mais ne cache pas ses aspects machistes et sa cruauté pour ceux et celles qui ne suivent pas le mouvement.
S’il magnifie les corps, leur rapprochement, éloignement, affaissement, il sait saisir la parole avec la même sensualité, les dialogues sont étincelants, d’apparence simples mais souvent à double sens, avec sous-entendus, différents tiroirs, hésitations, mensonges, séductions, hypocrisies, etc. là aussi il y a du jeu et une drôlerie plutôt rare chez Kechiche.
Les acteurs s’emparent de cette matière avec délectation. L’arrivée d’Hafsia Herzi conforte cette sensation de voir un film en train de se faire, elle entre dans le film comme une actrice visitant un endroit qu’elle a déjà parcouru après La Graine et le mulet, cela se ressent dans son jeu, elle semble dire avec grâce et royauté, je reviens sur mon territoire voir ce qu’il est devenu et cette proximité avec le réel renforce le trouble, mais les autres acteurs ne sont pas en reste, de la maladresse d’Amin à la gourmandise d’Ophélie, sans oublier le fanfaron séducteur Tony, ils sont tous magnifiques de présence, se prêtent au jeu, on sent un réel plaisir à bouger, échanger, un réel plaisir à jouer avec ces mots. Ils participent à cette joie, cette soif de vie, qui émerge du film et qui se communique au spectateur.
Mektoub my love : Canto uno d’Abdellatif Kechiche, 2018, France, avec Shaïn Boumedine, Ophélie Bau, Salim Kechiouche, Lou Luttiau, Hafsia Herzi…

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Un Beau soleil intérieur de Claire Denis http://enrevenantducinema.fr/2017/11/03/beau-soleil-interieur-de-claire-denis/ http://enrevenantducinema.fr/2017/11/03/beau-soleil-interieur-de-claire-denis/#respond Fri, 03 Nov 2017 17:13:14 +0000 http://enrevenantducinema.fr/?p=2311 Passages nuageux

Un beau soleil intérieur est le portrait d’une femme, Isabelle, empêtrée dans sa vie sentimentale et sexuelle. On perçoit ce que voulait faire Claire Denis, un film qui … Lire la suite...

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Passages nuageux

Un beau soleil intérieur est le portrait d’une femme, Isabelle, empêtrée dans sa vie sentimentale et sexuelle. On perçoit ce que voulait faire Claire Denis, un film qui travaille la parole, le discours et l’accaparement de ce discours par le pouvoir qu’il soit celui de l’homme et/ou celui de la bourgeoisie. Ainsi on assiste à différents types de paroles, celle brutale d’un banquier ignoble, hésitante d’un acteur ou condescendante d’un ami, etc., et l’héroïne se trouve prise dans ces différents discours sans savoir ce qu’elle veut vraiment, elle hésite, en perd ses mots, prend le discours du pouvoir. Le projet aurait pu être intéressant théoriquement mais le film s’empêtre au diapason de l’héroïne.
Le début est très écrit jusque dans les hésitations surjouées, et puis on se dit que ce côté théâtral est volontaire, que ça travaille le faux, le trop, avec aussi un certain humour, on pense ainsi au personnage incarné par Katerine et au voyage dans le Lot (où sont tournées les meilleurs scènes, où on devine le film, drôle, cruel et absurde, que Claire Denis voulait peut-être faire), on se dit, ok, c’est un jeu de massacre, une farce, alors il aurait fallu aller plus loin dans cette direction mais la cinéaste revient très vite au film démonstratif qu’il était au départ. Claire Denis hésite entre la peinture proche du pamphlet d’un petit milieu, une comédie sentimentale, un film fantaisiste, une démonstration théorique mais ne choisit pas vraiment. On aime les films bancals, flottants, mais le problème est que là, ce non-choix fait que le propos initial se perd voire devient très confus.
Ainsi l’héroïne a différents partenaires sexuels mais veut trouver le grand amour, alors que les hommes, eux, ne pensent qu’à tirer un coup, à profiter d’elle, si on choisit dès le départ, la caricature pour bousculer les clichés, pourquoi pas, mais le fait de vouloir dire quelque chose de plus profond sur le monde tout en gardant aussi un ton badin de comédie donne l’impression d’avaliser cette idée que les hommes ne pensent qu’au sexe et que les femmes sont avant tout sentimentales, ce qui n’est pas le discours le plus transgressif et révolutionnaire qui soit de nos jours. Ce qui est renforcé par le fait qu’Isabelle (incarnée avec intensité, ce qui n’était pas évident, tant le personnage est chargé, par Juliette Binoche) semble toujours triste, toujours la larme à l’œil, victime bringuebalée.
Prenons un exemple, Isabelle a une relation avec un homme au rsa, un pauvre donc, et se retrouve ensuite à discuter avec un ami ou collègue du même monde qu’elle (elle est peintre et appartient à une certaine classe moyenne intellectuelle), ou plutôt elle subit son discours sur le fait qu’il n’est pas possible d’avoir une relation avec quelqu’un d’un autre milieu, mais le discours qu’il tient est tellement simpliste et explicite qu’on ne peut que se demander pourquoi elle ne réagit pas, il faut qu’elle soit quand même bien naïve pour s’y laisser prendre. On entend la critique d’une classe sociale étanche et méprisante sauf que le film redouble cela en ne laissant qu’une petite place à ce personnage de rsaste, qui drague, lui évidemment sans parler, juste par le corps, alors que tous les autres se noient dans les mots (ce qui est, là aussi, très stéréotypé) mais c’est la cinéaste et le scenario qui le dessine ainsi, et pas seulement le discours du personnage joué par Bruno Podalydès, c’est Claire Denis qui le cantonne derrière la porte comme elle cantonne aussi Isabelle dans une posture passive.
Ainsi, ce film s’intéresse à un milieu qui semble être celui de la réalisatrice, un monde culturel arrogant mais si ce milieu est critiqué, on n’en sort pas vraiment et la présence d’acteurs, actrices qui sont aussi souvent réalisateurs qui viennent faire une apparition (comme Valeria Bruni-Tedeschi par exemple) comme des voisins qui passeraient dire bonjour, accentue cette impression d’un entre-soi qui est pourtant censé être brocardé. Il y a alors un écart étrange et gênant entre un propos qui se veut cruel sur la violence symbolique du discours et une façon d’envoyer tout ça promener en se disant que finalement, ce n’est pas si grave comme la dernière tirade de Gérard Depardieu semble le souligner.
On sait que Claire Denis est capable de très beaux films, et justement, de savoir aller explorer différents univers (de Beau Travail à 35 Rhum en passant par White Material), c’est une cinéaste importante mais qui là, même si elle garde tout son talent pour filmer simplement les corps, la peau, etc. nous paraît taper à côté, en donnant l’impression de ne filmer qu’un petit monde mesquin refermé sur lui-même sans avoir grand-chose, finalement, à en dire.
Un Beau soleil intérieur de Claire Denis, France, 2017 avec Juliette Binoche, Xavier Beauvois, Alex Descas…

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Good Time de Ben et Joshua Safdie http://enrevenantducinema.fr/2017/09/27/good-time-de-ben-joshua-safdie/ http://enrevenantducinema.fr/2017/09/27/good-time-de-ben-joshua-safdie/#respond Wed, 27 Sep 2017 15:47:48 +0000 http://enrevenantducinema.fr/?p=2301 En surchauffe

Deux frères, un, Nick dont le cerveau semble au ralentit, au corps massif qui cache une tristesse profonde, l’autre, Connie, qui va trop vite, qui semble toujours en … Lire la suite...

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En surchauffe

Deux frères, un, Nick dont le cerveau semble au ralentit, au corps massif qui cache une tristesse profonde, l’autre, Connie, qui va trop vite, qui semble toujours en mouvement, aux aguets, en colère. L’alliance de ces deux êtres qui s’aiment et se soutiennent va les entraîner dans le mur.
Connie, en bon adepte du rêve américain comme il se découvre dans un discours énervé sur les losers, veut quitter la misère, il essaie de s’en sortir en s’activant mais plus il s’active, plus il s’enfonce comme pris dans des sables mouvants. Il y a un certain humour dans cette plongée dans la mouise, un humour grinçant mais jamais cynique, on ne rit (nerveusement) pas contre les personnages, on est avec eux. Connie ne semble pas comprendre ce qui lui arrive et finira hébété comme les spectateurs. Il pensait pouvoir réussir mais il reste un loser, il n’y a pas d’issue. Les héros de Good Time sont pour la plupart des marginaux, ça se passe la nuit au milieu des perdants d’une société violente et inégalitaire. Le monde est poisseux, dur, ça se bat, ça gratte, ça palpite, ça gueule, ça cogne, ça saigne, ça s’aime. Les héros sont dans une logique de survie, et ceux qu’ils croisent sont dans la même logique, ça se débrouille, deale, vole. Il n’y a pas de jugement, tout le monde fait ce qu’il peut. Peu de cinéastes savent filmer la rue et ses marges avec autant de justesse et de puissance que les Safdie, ils filment la pauvreté, la démerde, sans jamais chercher à l’embellir ni à la mépriser, sans discours moral surplombant, sans humanisme rassurant, ni complaisance, ni condescendance, on est juste là où ça se passe, où ça vibre, on est juste là en empathie avec les personnages (comme avec l’héroïne voleuse de The Pleasure of Being Robbed, avec le père perdu de Lenny and the Kids où les amoureux drogués et autodestructeur de Mad Love in New York, les précédents films indispensables des cinéastes) et de prendre des acteurs célèbres comme Robert Pattinson ou Jennifer Jason Leigh, comme le fait de se coltiner au genre du film de braquage, ne change rien à leur regard sur le lumpenproletariat. Ils regardent ce monde avec suffisamment d’amour pour ces paumés magnifiques pour qu’on soit profondément touché par ce qui leur arrive.
Parfois le filmage à l’arrache, à l’épaule tient lieu d’unique choix de mise en scène pour certains cinéastes peu imaginatifs voulant faire du cinéma coup de poing, tripale, ce n’est pas le cas ici, la mise en scène paraît au premier abord brute, rêche, au plus près des corps, des visages, toujours en mouvement mais il y a beaucoup plus que ça, il y a un travail sur les couleurs, sur leur saturation, sur le trop qui correspond à ce qui se passe dans la tête de Connie, où tout semble toujours aller trop vite, des couleurs primaires vives, du rouge, du jaune, du bleu, en aplat, des couleurs baveuses et pimpantes dans la noirceur d’une nuit qu’on ne quitte qu’à quelques instants, le travail sur la lumière est vraiment très beau, des reflets venant des téléviseurs, des feux rouges, la peinture qui éclate dans une voiture, des vitraux apparaissant en arrière-fond d’un couloir d’hôpital, ou les néons d’un parc d’attraction, etc, il y a une vraie recherche picturale qui n’est jamais ostentatoire. Le travail sur le son est tout aussi impressionnant, une musique omniprésente qui n’accompagne pas le film mais qui est une partie aussi importante que la partie visuelle, une musique stridente, qui crée une tension permanente et qui s’arrête parfois et là aussi la captation des sons, comme ceux des machines d’un hôpital par exemple, est très précise.
Le montage est tendu, on est comme en apnée, on a du mal à respirer au diapason d’un héros en surchauffe, qui semble fourmiller d’idées, on sent une pulsation dans le corps des acteurs (tous justes et intenses), on la sent presque physiquement. Les Safdie savent jouer sur les ruptures de rythme, tourner une première partie sous la forme d’un thriller sous amphétamine, ultra efficace pour ensuite prendre des chemins de traverse où la vie explose de partout, comme dans cette appartement où le héros se réfugie, il en faut peu par exemple pour faire exister ce personnage d’adolescente fataliste, on pourrait parler aussi de ce mini film (qui semble en vitesse accéléré) dans le film quand une personne rencontrée (de façon accidentelle) raconte comment il s’est retrouvé à l’hôpital. Et la dernière scène emporte tout, en écho à la toute première, elle est déchirante, ce retour au calme suite à la course folle de Connie est d’une tristesse et d’une noirceur infinie, tout est rentré dans l’ordre, tout le monde est à sa place, les désirs sont entravés, doit-on s’en réjouir ? Cette scène finale alors que le générique défile et que la voix d’Iggy Pop nous bouleverse, aurait pu mériter à elle-seule qu’on donne la palme d’or à Good Time, mais tant mieux, ils n’ont pas besoin de ce genre de distinction pour être aujourd’hui des cinéastes majeurs.
Oui, les frères Safdie sont bien les enfants bâtards de Cassavetes (comme tous les cinéastes étiquetés comme mumblecore) et Scorcese (on pense parfois à After hours entre autres), on peut trouver pire comme parrains. Ce ne sont pas les seuls rejetons de ces cinéastes mais ils en sont, assurément, les plus talentueux, tant ces influences évidentes ne les empêchent pas d’avoir un univers et un style très personnel qui nous foudroient.
Good Times de Joshua et Ben Safdie, EU, 2017 avec Robert Pattinson, Ben Safdie, Jennifer Jason Leigh, Taliah Webster, Buddy Duress…

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Les Fantômes d’Ismaël d’Arnaud Desplechin http://enrevenantducinema.fr/2017/05/25/les-fantomes-dismael-darnaud-desplechin/ http://enrevenantducinema.fr/2017/05/25/les-fantomes-dismael-darnaud-desplechin/#respond Thu, 25 May 2017 18:27:30 +0000 http://enrevenantducinema.fr/?p=2297

Plutôt la vie

Les Fantômes d’Ismaël entrelace plusieurs histoires pour ensuite les faire exploser en puzzle.
On entre sans avoir le temps de respirer dans un film d’espionnage avec un … Lire la suite...

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Plutôt la vie

Les Fantômes d’Ismaël entrelace plusieurs histoires pour ensuite les faire exploser en puzzle.
On entre sans avoir le temps de respirer dans un film d’espionnage avec un montage très brut, des ellipses rapides, donnant une impression de mouvement qui nous perd de suite. Des hommes en costard parlent d’un personnage s’appelant Dedalus, (jamais aussi bien nommé que par rapport à ce film), dont le passé semble obscur. On découvre vite que cette histoire d’espionnage est un film que tente d’écrire Ismaël (joué avec fièvre par Mathieu Amalric, le double récurrent d’Arnaud Desplechin), on suit alors ce réalisateur dans une maison au bord d’une plage, où revient un être aimé pensé disparu, on change alors de ton, le film se fait ostensiblement théâtral, puis ensuite sèchement, on passe à autre chose.
Le cinéaste est très fort pour nous désorienter, à chaque fois qu’on croit savoir vers quoi va le film, il prend une tangente rapide pour nous emmener ailleurs. À cette narration labyrinthique se rajoute un film truffé de références, parce que c’est avant tout un film sur le cinéma en général (même si on y trouve des références à d’autres arts, théâtre, peinture, etc), et sur le cinéma de Desplechin en particulier ou plutôt sur un double de Desplechin utilisant le cinéma pour combattre ses fantômes.
On trouve des références évidentes à Hitchcock (de Vertigo à Rebecca), on pense aussi à Bergman dans le discours final (qui n’est pas la meilleur partie du film) avec des réminiscences de Saraband, on pense au Woody Allen de Harry dans tous ses états dont la thématique est assez proche, etc.
En parallèle, ça abonde de référence à la propre œuvre du cinéaste, avec comme souvent des noms et prénoms qu’on trouve dans ses précédents films, de Dedalus évidemment à Sylvia, Esther, Ismaël, Ivan, etc. Il fait aussi jouer des acteurs qui semblent reprendre de précédents rôles, de l’Hippolyte Girardot de Rois et reine au Bruno Todeschini de La Sentinelle en passant par Laszlo Szabo figure paternel dans nombre de ses films, là aussi, les références se multiplient et finissent par nous engloutir.
On a parfois l’impression de plonger dans un délire obsessionnel dont le film Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle) (film générationnel pour de nombreux cinéphiles dont il a déjà fait un préquel avec Trois souvenirs de ma jeunesse) serait la pierre angulaire (de sa filmographie, de sa vie?).
Tout cela pourrait être vain si ces références n’étaient pas en même temps le sujet du film, Carlotta, incarnée par Marion Cotillard revient après avoir disparu 21 ans soit, grosso modo la période qui sépare Comment je me suis disputé donc (où l’actrice apparaît brièvement) et ce film, comme si hors de son cinéma elle disparaissait, comme si pour le cinéaste, ses films étaient une tentative de tisser une continuité, une cohérence, comme si son malheur était l’impossibilité de vivre hors de ce monde qu’il a lui-même crée, ce monde dont il a l’impression d’avoir la maîtrise.
C’est ainsi le portrait d’un cinéaste qui peuple son film de fantômes (un frère absent entre autres), de souvenirs pour accepter la vie avec son lot de perte, de séparation, de deuil. L’œuvre qu’il crée devient son unique réalité, que ce soit les personnages qu’il invente, les acteurs et actrices qui jouent pour lui, ou les références qui le nourrissent.
Ça mélange ainsi cette idée que le cinéma c’est essayer d’arrêter le temps, de vouloir que rien ne bouge, vouloir fixer les souvenirs et en même temps c’est être confronté à cette impossibilité, « le présent c’est de la merde » dit Ismaël.
C’est brillant, foisonnant, superbement filmé mais, et c’est déjà ce qu’on pouvait ressentir dans d’autres films récents de ce cinéaste, on a parfois l’impression qu’il se laisse envahir par cette intellectualité, que ce foisonnement référentiel, auto-référentiel, théorique, ces mises en abîmes successives camouflent une difficulté de plus en plus importante à laisser vivre une histoire, des personnages, des rencontres.
On objectera que c’est justement ça le thème, un cinéaste qui n’arrive pas à finir son film parce qu’il n’arrive pas se confronter au deuil, parce que ça le terrifie mais là ça va vite, trop vite d’un sujet, d’une idée à l’autre.
Quand on aime ce cinéaste, on se souvient de l’émotion intense dans la magnifique dernière heure d’Esther Khan, on se souvient encore et toujours de nombreuses scènes de Comment je me suis disputé (le coup de téléphone final pouvait arracher des larmes), ou on pouvait se sentir atteint par la violence du père de Rois et reine par exemple.
Si on ne retrouve pas cette émotion, de nombreuses scènes excitent quand même notre imaginaire, celles où Ismaël raconte à son producteur exécutif le film en train de se faire sont les plus belles, Desplechin arrive alors à nous faire ressentir la passion de la création, avec un montage entre des scènes filmées et des scènes où Ismaël nous raconte à l’aide d’objets divers ce qu’il imagine, c’est très fort, on reconstruit nous-mêmes, comme si on les voyait, les scènes manquantes.
Sont trop courtes hélas les scènes dans le train emmenant Ismaël dans le Roubaix de son enfance, on sent alors une tristesse qui affleure, on aimerait qu’il s’y arrête plus (même si le thème était déjà traité dans Conte de noël), là aussi, on a l’impression d’approcher quelque chose de touchant, mais le cinéaste s’en désintéresse.
Ainsi Les Fantômes d’Ismaël est ludique, intelligent, impressionnant mais juste on aimerait qu’Arnaud Desplechin se remettre à croire à la vie qui peut surgir d’une scène et pas seulement à la puissance narrative de son imagination et à la fluidité évidente de sa mise en scène, on aimerait parfois qu’il aille au cœur des choses, qu’il ne conçoive pas chaque scène en imaginant comment on peut la structurer, la déstructurer, la désosser ou l’orner de différentes références (ainsi par exemple la scène de sexe entre Carlotta et Ismaël manque singulièrement de sensualité parce que trop pensé, ne vivant pas par elle-même). Le cinéaste est lucide sur cette inflation intellectuelle, quand on voit Ismaël travaillant sur un projet de film sur la naissance de la perspective dans la peinture, (comme le héros du Spider de Cronenberg) tissant des fils entre des peintures, il semble alors en plein délire.
Il est évident qu’Arnaud Desplechin est un grand metteur en scène, que Les Fantômes d’Ismaël mériterait plusieurs visions pour voir tout ce qui est caché, que chaque tiroir qu’on ouvrirait révélerait quelque chose de neuf. Mais on voudrait lui dire comme on voudrait le dire à son héros, ralentis, respire, laisse advenir ce qu’il y a à advenir.
Les Fantômes d’Ismaël d’Arnaud Desplechin, France, 2017 avec Mathieu Amalric, Charlotte Gainsbourg, Marion Cotillard, Hippolyte Girardot, Laszlo Szabo…

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The Fits d’Anna Rose Holmer http://enrevenantducinema.fr/2017/02/04/the-fites-danna-rose-holmer/ http://enrevenantducinema.fr/2017/02/04/the-fites-danna-rose-holmer/#respond Sat, 04 Feb 2017 17:03:09 +0000 http://enrevenantducinema.fr/?p=2204 Convulsions

Dès les premiers plans de The Fits, on comprend qu’on assiste à la naissance d’une nouvelle cinéaste qui va devenir importante.
L’histoire paraît simple, une fille (Toni incarnée … Lire la suite...

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thefitsConvulsions

Dès les premiers plans de The Fits, on comprend qu’on assiste à la naissance d’une nouvelle cinéaste qui va devenir importante.
L’histoire paraît simple, une fille (Toni incarnée avec intensité par Royalty Hightower) s’entraîne à la boxe dans un centre sportif avec son frère mais veut intégrer un groupe de danseuses qui répète dans une autre salle. Est-ce qu’elle va réussir à s’adapter, est-ce qu’elle va devoir quitter la complicité qu’elle partage avec son frère, on présuppose un récit d’initiation, ça pourrait être le sujet du film, c’est un peu ça mais ce n’est pas vraiment ça parce que justement ce n’est pas un film à sujet et heureusement. On est plutôt en empathie avec une héroïne qui observe un nouveau terrain de jeu, qui observe les autres filles et aussi son propre comportement par rapport à elles, comment elle s’approprie un nouvel espace, des nouveaux codes et comment son corps rentre en interaction avec cet espace et ces codes. Mais là aussi, la cinéaste ne donne pas toutes les clés, on ne sait pas trop si elle s’adapte ou reste extérieur, ou si elle explore sa propre voie.
Nous sommes dans une bulle, les parents restent en retrait, l’aspect social apparaît en filigrane.
La cinéaste ouvre de nombreuses pistes d’interprétations possibles (est-ce que c’est un film sur la séparation genrée, sur l’appartenance à un groupe, sur les rituels de passage, la cinéaste ne tranche pas) tout en étant très physique, très ancré dans des lieux (une salle de sport, une cité), dans des pratiques (la boxe, la danse avec à chaque fois une précision dans les gestes et leur captation), surtout elle est au plus proche de son héroïne, on ressent les choses à sa hauteur. Il y a une sûreté dans le regard d’Anna Rose Holmer, elle impose très vite une respiration personnelle, une fluidité, elle prend le temps de filmer l’inscription des corps dans l’espace, de filmer les regards, la peau, le trouble, les interrogations, il y a peu de dialogues, on est tout de suite au plus près de Toni et on ne va plus la lâcher. Et les événements étranges qui vont apparaître résonnent avec le sentiment d’étrangeté que Toni ressent face à un nouvel univers, ce nouveau ring qu’elle va explorer.
La cinéaste échappe à l’exercice de style par le regard attentif qu’elle porte sur ceux et celles qu’elle filme. Elle insuffle une force, un souffle, une énergie à ces personnages (et aussi à nous, spectateurs) et les plus beaux moments sont ceux où les corps se libèrent comme dans la danse finale magnifique (et casse-gueule par sa soudaine magie) ou dans cette visite du centre sportif la nuit par Toni et Beezy habillées d’uniformes scintillants. Le travail sur le rythme, sur la pulsation est impressionnant. Le film alterne des moments de stase avec de brusques accélérations comme ces plans en légère contre-plongée qui semblent aspirer par les corps qui se mettent soudainement en mouvement, comme si on avait un léger retard sur eux avant de les rattraper. La réalisatrice suit le tempo d’un entraînement, entre moments de détente, de repos et moments où l’on agit, danse, répète, les danseuses répètent les pas comme la cinéaste répète des motifs, revient sur les mêmes endroits, un pont, la façade d’un immeuble, un escalier, là aussi, on est dans l’épure, pas besoin de grand-chose pour faire exister ces lieux. L’ensemble peut paraître minimaliste mais ouvre tellement de lignes de fuite qu’on ressent une densité à chaque instant.
On peut l’affirmer ici, Anna Rose Holmer va devenir une grande cinéaste, de celles dont on va attendre les prochaines propositions avec impatience et curiosité.
The Fits d’Anna Rose Holmer, 2016, EU avec Royalty Hightower, Alexis Neblett, Da’Sean Minor…

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Juste la fin du monde de Xavier Dolan http://enrevenantducinema.fr/2016/09/29/fin-monde-de-xavier-dolan/ http://enrevenantducinema.fr/2016/09/29/fin-monde-de-xavier-dolan/#respond Thu, 29 Sep 2016 13:49:40 +0000 http://enrevenantducinema.fr/?p=2153 Au plus près

Un dramaturge revient dans sa famille qu’il n’a pas vue depuis plus de dix ans pour leur annoncer sa mort prochaine.
Juste la fin du monde présente … Lire la suite...

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juste-la-fin-du-monde

Au plus près

Un dramaturge revient dans sa famille qu’il n’a pas vue depuis plus de dix ans pour leur annoncer sa mort prochaine.
Juste la fin du monde présente plusieurs similitudes avec Tom à la ferme du même Xavier Dolan, la structure est assez proche, une famille refermée sur elle, un père absent, un frère travaillé par de la violence, tout se passe dans et autour de la demeure familiale, les deux films sont tirés de textes théâtraux, et les deux sortent après un film qui paraît plus ample et ambitieux (Laurence anyways et Mummy). Mais Juste la fin du monde intègre d’une façon différente le texte dont il est issu.
L’idée est de prendre la famille pour ce qu’elle est, un théâtre où chacun joue son rôle de façon caricaturale et ne peut en sortir. Xavier Dolan dirige des acteurs, stars, dont l’image est forte qui sont assignés à des rôles comme chacun l’est dans sa famille. Marion Cotillard en épouse réservée, Vincent Cassel tout en violence blessé, Léa Seydoux en post-adolescente en colère, etc. Chacun est dans son emploi, tous jouent une participation qu’ils ont déjà jouée, qu’ils sont fatigués de jouer, ce qui est en adéquation avec ces personnages qui semblent répéter sans cesse les mêmes rituels, comme cette description des dimanches que la mère raconte pour la énième fois.
Le héros, Louis, est le spectateur, il vient voir une pièce qui se joue sans lui depuis longtemps et son regard va renvoyer les autres à leur manque. Dolan ne cherche pas à gommer la théâtralité du texte, dans les longs dialogues, les hésitations, etc. Il y a ainsi et dès le départ une artificialité volontaire, au début du film, les personnages s’apprêtent avant l’entrée en scène.
Le choix de l’échelle de plans travaille ce matériel théâtral, le cinéaste refuse les plans larges qui permettrait d’englober tous les personnages comme s’ils étaient sur une scène, il fait le choix inverse d’utiliser de façon quasi exclusive des gros plans qui les isolent, les déconnectent les uns des autres. Ainsi chacun joue seul, dit son texte mais le dit vers le spectateur plutôt que vers quelqu’un qui partagerait le plan.
Xavier Dolan est un des cinéastes qui travaillent de la façon la plus systématique le rapport du corps au cadre, et ici plus spécifiquement du visage. Dans presque tous ses films, ses héros ne cessent d’être enfermés dans le plan comme ils le sont d’une famille, des normes sociales, ou de leur propre violence. Ils ont toujours du mal à respirer, essaient de s’échapper.
Les choix radicaux de mis en scène ne sont pas des afféteries, ils sont en cohérence avec ce qu’il cherche à obtenir, c’est-à-dire observer comment les membres de cette famille vont essayer d’exister malgré les carcans. On les voit en gros plan aussi parce qu’ils sont tous trop près les uns des autres, le regard est intrusif, tout le monde commente et critique ce que l’autre fait, ont peut deviner que c’est ce qui a poussé Louis à partir.
De même les souvenirs sont filmés comme un clip ou des pubs, parce qu’on ne peut plus les revivre, on ne peut pas retrouver ce qui est passé.
Ces choix de mise en scènes sont forts mais jamais le cinéaste n’oublie ni ne méprise ceux qu’il filme, jamais il ne sacrifie l’émotion que portent les personnages sur l’autel de l’esthétisme. Et c’est beau la façon dont Louis qui porte le rôle du metteur en scène, s’efface dans son projet de vouloir dire quelque chose pour laisser la place aux autres, et surtout à son frère, même si c’est trop tard et qu’il ne pourra pas mettre un peu d’harmonie dans l’ensemble, qu’il ne pourra voir que le vide qu’il a laissé.
Ça éclate parce que Xavier Dolan n’a pas peur de l’émotion, du trop, de ce qui déborde, et ce dès le départ, il y a de la générosité dans ce torrent, dans le fait de prendre le risque du ridicule, du too-much, ce qui arrive parfois mais ce n’est pas grave, la perfection n’est-elle pas « obscène » ?
À une époque où les films jouent souvent du non-dit, travaillent la glaciation, il oppose le bruit, l’émotion, la colère, les pleurs, mais au moins il y a de la vie même dans cette famille figée dans une répétition mortifère.
Juste la fin du monde de Xavier Dolan, Canada, France, 2016 avec Gaspard Ulliel, Nathalie Baye, Vincent Cassel, Léa Seydoux, Marion Cotillard…

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Nocturama de Bertrand Bonello http://enrevenantducinema.fr/2016/09/16/nocturama-de-bertrand-bonello/ http://enrevenantducinema.fr/2016/09/16/nocturama-de-bertrand-bonello/#respond Fri, 16 Sep 2016 17:01:15 +0000 http://enrevenantducinema.fr/?p=2149 Une jeunesse que personne n’écoute

Quand on considère Bertrand Bonello comme un cinéaste important, qu’on chérie L’Apollonide et le court-métrage Cindy the doll is mine comme des œuvres majeurs, on … Lire la suite...

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nocturamaUne jeunesse que personne n’écoute

Quand on considère Bertrand Bonello comme un cinéaste important, qu’on chérie L’Apollonide et le court-métrage Cindy the doll is mine comme des œuvres majeurs, on est embarrassé face au ratage que représente Nocturama.
Pourtant le film est séduisant, comme une variation sur Elephant de Gus Van Sant, avec un sujet qui présente des similitudes, des jeunes passant à l’acte violent, mais aussi par le travail sur la temporalité, une même scène vue par différents personnages sous différents angles, les marches le long de longs couloirs, jusqu’au tee-shirt avec une tête d’animal, référence au célèbre tee-shirt à tête de taureau du film fondateur de Van Sant. On pourrait penser qu’il n’y a rien à voir entre la violence de Colombine et ce dont parle Nocturama, mais finalement pas tant que ça, ce qui est un des problème que pose le film.
Ça commence dans le métro que Bonello filme avec virtuosité, des jeunes qui marchent sans parler, se croisent, regards concentrés ou regards vides, on sait qu’il va se passer quelque chose et on est happé par leur déambulation, comme une sorte de chorégraphie abstraite, scandée par un décompte horaire.
De même, on sait le talent du cinéaste pour filmer des lieux, sa fluidité est étincelante pour faire exister l’espace du magasin où se réfugient les personnages, ainsi la façon dont il utilise la lumière, le choix des morceaux de musique, le travail sur la répétition, est impressionnant. Le cinéaste pourrait choisir de ne faire qu’un film qui avance par rimes poétiques, pulsations, sensations, cherchant la confrontation visuelle et en rester là, sauf qu’il veut dire quelque chose et c’est là où ça coince, Bonello veut faire un film politique, il veut transmettre quelque chose de l’époque dans laquelle on vit, de la jeunesse de notre pays, ainsi Adèle Haenel disant « ça devait arriver » mais sans préciser quoi ni pourquoi ni comment, etc., il ancre le film dans le monde d’aujourd’hui avec cette télévision d’info continue qui cite Valls, par exemple. Le cinéaste se méfie des discours, du didactisme, il ne veut pas nous faire des leçons et c’est tant mieux mais le problème est qu’il veut dire des choses sans les dire, par des images, des symboles. Ça devient à la fois très théorique, sur comment on est rattrapé par le spectacle, la consommation, et en même temps très simpliste.
Le film ne dit rien politiquement.
Des jeunes font des attentats dans une sorte de gauchisme nihiliste assez flou, avec un personnage d’étudiant en science po qu’on pourrait vaguement imaginer comme un potentiel rédacteur de l’Insurrection qui vient (qui a déjà infusé les plus pertinents Le Grand jeu de Nicolas Pariser et L’Avenir de Mia-Hansen Løve, de nombreux échos pour un livre qui n’en mérite pas tant mais qui a pu intéresser Bonello par son romantisme). On les présente d’abord comme très préparés et ensuite ils se retrouvent par une astuce scénaristique dans ce grand magasin, la dichotomie entre l’action réfléchie du début et la stase consumériste de la deuxième partie est artificielle. Une jeunesse prête à s’engager radicalement qui, plongée dans un endroit où tout est disponible, se perd. En une nuit quelqu’un qui fait une action violente pour changer le monde, se rêve d’un coup en costard, ça n’a pas de sens, c’est prendre les personnages pour des imbéciles.
De même on nous montre un groupe qui semble tout faire pour ne pas être identifié, puis un des héros invite un SDF à les rejoindre, comment peut-on croire à ça ? On adhère volontiers à un cinéma qui fuit le réalisme mais là, ça devient juste une idée théorique (le lumpen prolétariat en victime collatéral, un truc du genre) qui va contre ceux qu’il filme, transforme ces militants en des crétins. Bonello a le droit de penser que la jeunesse est dans une grande confusion politique, qu’elle a une colère, une rage (pour reprendre la terminologie insurrectionnaliste) sans savoir quoi en faire mais de là à dire qu’elle n’a aucune pensée, ça ne peut qu’être exagéré et méprisant.
Ainsi ce qui est vraiment gênant c’est le regard sur ces personnages. Ce sont des pantins, ils sont interchangeables, correspondent à des stéréotypes comme s’ils était un panel représentatif d’une jeunesse sacrifiée. Ils ne se passent pas grand-chose entre eux. Quand un des héros voit un mannequin habillé comme lui, comme s’il était son double, on peut y voir une critique de la société de consommation qui annihile l’individu, sauf que c’est le cinéaste lui-même qui les transforme ainsi, c’est son regard qui les réifie, c’est lui qui décide qu’ils n’aient aucun discours politique un tant soit peu élaboré. La jeunesse serait si stupide ?
Dans L’Apollonide, le dispositif formel est transcendé par l’empathie qu’on a pour ce groupe de femmes prostituées, dès le départ Bonello est avec elles, et nous aussi, nous sommes avec elles, de leurs côtés, nous sommes émus par ce qu’elles vivent sans que l’auteur ne cède sur ses choix esthétiques. De même dans Le Pornographe, il y avait une tendre ironie dans le regard de Jean-Pierre Léaud sur de jeunes révoltés. Là, le regard sur ces jeunes manque singulièrement d’empathie, il ne s’agit pas d’être ou non en adéquation avec eux, avec leurs actes, mais de les regarder, de les écouter, de les aimer un minimum. On les voit juste jouer, se grimer, se donner en spectacle comme des coquilles vides. Ainsi quand ils meurent, ils restent ce qu’ils ont toujours été, des mannequins en polystyrène, comme semble le signifier ce plan en bas de l’escalier, où le couple gît. Vivants ou morts, ils ne sont là que pour faire de beaux plans, rien ne palpite. On est glacé par la froideur des exécutions mais presque indifférent à leur sort, tant cela est esthétisé. C’est dommage parce que les acteurs sont plutôt bons et arrivent à donner malgré tout une parcelle d’humanité. La mort du SDF provoque la même sensation d’une idée de mise en scène qui va contre ce qu’il est censé dénoncé. C’est Bonello qui fait de cette mort un spectacle et lui seul.
On est surpris qu’un cinéaste si talentueux ne se rende pas compte en construisant son film qu’il répète avec ses personnages ce que le monde, la société fait avec cette jeunesse. Il ne les regarde pas, leur dénie la parole. La dernière phrase « aidez-moi » s’adresse peut-être à la société mais elle pourrait autant s’adresser à un cinéaste qui a force de « vouloir-dire », de visions poétiques en oublie ceux qu’il filme.
Nocturama de Bertrand Bonello, France, 2016 avec Finnegan Oldfield, Hamza Meziani, Manal Issa…

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Rester vertical d’Alain Guiraudie http://enrevenantducinema.fr/2016/09/05/2144/ http://enrevenantducinema.fr/2016/09/05/2144/#respond Mon, 05 Sep 2016 15:55:34 +0000 http://enrevenantducinema.fr/?p=2144 Un pas de côté

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Un pas de côté

Rester vertical raconte l’histoire d’un scénariste qui a perdu son inspiration et se retrouve dans une impasse, il est permis de penser qu’on y trouve une part autobiographique. Rester vertical semble avoir été fait contre le film précédent d’Alain Guiraudie, le très beau et puissant L’inconnu du lac, film d’une grande maîtrise formelle liant le désir et la mort autour d’un lac qui devient un espace confiné et étouffant avec un jeu impressionnant sur la répétition. Alain Guiraudie, après ce film majeur, ne pouvait que se trouver dans une situation délicate, refaire le même film ou retourner à ses films précédents, plus foutraques et fantaisistes avec toujours des éclats magiques, il semble avoir décidé de se mettre en danger, de remettre son inspiration en jeu.
Ainsi on suit Léo qui ne semble savoir où il va et on a l’impression de regarder un film qui ne sait pas non plus où il va, ce qui en fait la beauté et la fragilité. C’est comme une profession de foi contre un cinéma formaté et prévisible, comme l’atteste cette scène au milieu du film où le producteur s’emporte sur le fait qu’il n’y a pas de scenario. Un film construit, ultra-scénarisé qui plairait à tous, ce n’est pas le genre du cinéaste.
C’est sûrement le film le plus dépressif de l’auteur, si ses films précédents se paraient de moments d’angoisse, il y avait toujours un désir qui bouleversait tout, quitte à aller dans le mur mais au moins ça valait le coup d’essayer, le héros semble ici se prendre des coups sans trop comprendre pourquoi, il ne se rebelle pas vraiment, essaie juste de bien faire, ce qui va précipiter sa chute, il va de rencontre en rencontre mais il semble déconnecté, passif, en retrait, s’accrochant à son bébé comme à une bouée et Damien Bonnard est très fort pour rendre intense ce personnage buté et dépassé, par ce qu’il vit mais aussi par le monde et sa violence. L’espace est éclaté entre différents lieux, Cévennes, Brest, etc. et le héros passe de l’un à l’autre comme s’ils étaient à côté, il donne l’impression de tourner en rond avec ces lieux qui reviennent, comme ce virage de montagne, cette rue traversée des rails du tram, il ne trouve pas d’échappatoires, comme si le film faisait du surplace.
Ainsi ce film sur l’inhibition semble un peu en deçà mais son projet contenait déjà cet en deçà.
Guiraudie n’a pas perdu pour autant sa mise en scène, les plans de la Causse sous la nuit, de Brest ou des corps que l’on rencontre sont toujours d’une beauté évidente, qui d’autres sait aussi bien capter les sons de la nature, par exemple ? Il y a toujours des moments magnifiques, un sexe qu’on caresse, une sodomie euthanasiante, un enfant appât dans la nuit, une rencontre avec des loups ou ces gueules de brebis dans une bergerie nous interrogeant du regard, pourtant l’ensemble laisse un goût déceptif, il manque le souffle supplémentaire qui emportait tout dans ses précédents films mais cela semble nécessaire à l’auteur de prendre ce chemin de traverse pour retrouver sa verve et son désir.
Quand Alain Guiraudie se perd, on est prêt à le suivre tant il est, aujourd’hui, un cinéaste important, même s’il doit batailler pour rester vertical.
Rester vertical d’Alain Guiraudie, France, 2016 avec Damien Bonnard, India Hair, Raphaël Thiéry…

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