Le 21 septembre, environ 1200 écrans se partageaient les deux relectures inutiles de La guerre des boutons. Mille deux cents. En ces temps ou les créneaux du mercredi sont aussi engorgés qu’une rocade à 18h, c’est d’une absurdité sans nom. Cela condamne d’office les films modeste à ne pas rencontrer leur public, écrasés par ces mastodontes aux budgets publicitaires proprement indécents. Mais il y a pire ma bonne dame – ou mon bon monsieur, c’est selon : certains films n’ont même pas la chance de sortir en salle dans notre beau pays, et je ne parle pas du dernier Steven Seagal torché à la va-vite pour une poignée de dollars dans un pays de l’Est. Je parle de vrais films de cinéma, tourné par des auteurs reconnus.
En 2001, c’est un John Carpenter usé qui décide de rendre les armes. Après l’échec commercial du sous-estimé Ghosts of Mars et la difficulté croissante qu’il rencontre pour boucler ses budgets, l’homme préfère se ranger des voitures et profiter de la vie. En bon capitaliste, cela consiste principalement à endosser les gros chèques qu’il reçoit chaque fois qu’un studio entreprend le remake d’un de ses films*. Mais le démon des tournages a vite fait de le reprendre, et il se laisse facilement convaincre par Mick Garris de participer à son anthologie Masters of horror pour la chaîne Showtime. On le comprend : 10 jours de tournage, un budget qui ne doit pas dépasser les 2 millions de dollars pour une heure de film, mais en échange l’assurance que la chaîne ne censurera ni le sujet, ni le produit fini. Si l’un des deux segments qu’il réalise est réussi, le second n’est guère convainquant. Qu’importe, comme pas mal de ses petits camarades, Big John s’est pris au jeu et se dit que ce serait trop con de prendre sa retraite.
Après pas mal de rumeurs et d’incertitudes, le réalisateur prend ses fans à contre-pied en s’attelant à The ward, un thriller fantastique dont il n’a pas écrit le scénario. Si on peut comprendre aisément que le personnage principal l’ait séduit – dans sa filmographie, Carpenter à toujours fait la part belle aux femmes fortes, depuis Laurie Strode (La nuit des masques, 1978) jusqu’à Melanie Ballard (Ghost of Mars, 2001) –, on se demande pourquoi il a choisit de mettre en image cette histoire qui manque cruellement de relief. Le spectateur a l’impression que, comme lui, le réalisateur ne s’est pas senti concerné plus que ça par une trame poussive et des personnages secondaires transparents. Seulement voilà, aussi mineur qu’il soit, The ward est admirable pour deux raisons.
La première, c’est l’actrice principale, la troublante Amber Heard. Après le convainquant Tous les garçons aiment Mandy Lane (Jonathan Levine, 2006**), la jeune actrice, impeccablement dirigée, livre à nouveau une prestation éblouissante. D’une présence et d’une intensité bluffante, elle parvient à incarner avec justesse un personnage complexe et déroutant qui, malgré un twist final à la fois attendu et frustrant, devrait marquer les esprits. L’autre qualité indéniable du film, c’est qu’en s’appuyant sur une mise en scène au cordeau, Carpenter parvient à faire de l’hôpital psychiatrique un personnage à part entière. Les positionnement et les mouvements de caméra transforment le bâtiment en un labyrinthe fantasmatique faisant écho à la psyché tourmentée du personnage d’Amber Heard. Ainsi, le spectateur éprouve une sensation paradoxale de familiarité – il sait toujours dans quelle partie du bâtiment les personnages se trouvent – et de perplexité – il est totalement incapable d’en dresser un plan précis, et surtout d’en déterminer les issues. Cette représentation de l’espace n’est pas sans rappeler le rapport trouble qui existait entre l’hôtel Overloock et Jack Torrance, dans Shining de Stanley Kubrick. Une belle idée, hélas source de frustration vu que le film verse un peu trop souvent dans la facilité.
Inutile de consulter le programme de vos cinémas préférés, The ward n’est pas sorti chez nous. Pas la peine non plus d’écumer les linéaires des supermarchés culturels : aucune sortie vidéo n’est à l’ordre du jour. Les plus courageux se rabattrons sur l’import, mais le DVD et le Blu-ray américains, en plus d’être zonés, ne proposent aucun sous-titres. Les autres feront comme ils peuvent, je leur fais confiance. La semaine prochaine, je vous parlerai d’un autre film que vous ne verrez pas chez nous, mais qui existe en DVD et en Blu-ray, lui… Bon, d’accord, chez nos voisins anglais, mais c’est mieux que rien…
* Citons le décevant Assaut sur le central 13 et le calamiteux The fog, sortis tous deux en 2005. Par contre, les deux volets d’Halloween réalisés par le talentueux Rob Zombie en 2007 et en 2009 sont de vraies réussites. Signalons au passage que le second n’a pas eu les honneurs d’une sortie en salle.
** Qui lui aussi n’a bénéficié que d’une sortie vidéo tardive, y compris aux États-Unis, à cause de la banqueroute du distributeur. Quand ça veut pas…
The ward, de John Carpenter, EU, 2010, avec Amber Heard, Mamie Gummer, Danielle Panabaker…