Drive de Nicolas Winding Refn

Sortie de route

Il existe certains mystères dans l’existence, l’un d’en entre eux est de savoir comment Drive a pu être sélectionné au dernier festival de Cannes et en remporter le prix de la mise en scène. Après tout ce n’est que l’avis d’un jury mais ça reflète ce que certains considèrent comme de la mise en scène.
Cela pourrait être vu comme une très petite série B avec quelques scènes réussies, d’ailleurs ça commence plutôt bien avec un braquage filmé de façon très efficace, une autre scène est assez belle, le héros, joué par Ryan Gosling qui ressemble vaguement à Stan Laurel en moins charismatique, embrasse sa protégée (incarnée par Carey Mulligang) dans un ascenseur avant de tuer le troisième occupant de l’habitacle dans un mouvement plutôt fluide, on peut aussi sauver une fusillade brutale dans un hôtel qui dure peu de temps mais qui surprend.
Sinon nous ne sommes que dans la pose, le réalisateur sait filmer une voiture qui roule, ce qui n’arrive pas si souvent hélas, par contre il ne sait pas comment filmer le reste, les discussions, les engueulades, l’attente, la relation entre un enfant et le héros, les regards amoureux. Il pense que pour faire un plan il faut toujours trouver un truc, faire un effet, il n’abuse pas des mouvements de caméra, c’est un artiste, il est au-dessus de ça, par contre il aime mettre la caméra à un endroit particulier, faire de longs plans fixes très (trop, beaucoup trop) composés ou de légers travellings, il ne semble pas intéressé par les acteurs qui donnent du coup l’impression de s’ennuyer puisque tellement peu désirés.
Nicolas Winding Refn préfère s’amuser avec son joujou, les contre-plongées se multiplient, loin de l’idée d’un Ken Loach filmant à hauteur d’homme, là, il filme au niveau du genou (d’où on regarde le monde est un choix politique). Il cherche sans cesse à placer les corps où les visages en rapport à la ligne des décors, tables, arbres, par exemple un des protagonistes parle, il est filmé en contre plongé comme il se doit, et le réalisateur fait en sorte que sa tête se retrouve à la croisée de deux néons. Lorsqu’il fait jour, le soleil est toujours rasant pour provoquer un joli reflet dans la caméra, il abuse aussi de la profondeur de champ pour rendre impressionnant quelqu’un qui marche dans un couloir et ce qui fait qu’une simple scène dans un supermarché semble totalement artificielle alors qu’il ne se passe rien, n’oublions pas évidemment les ralentis, les flash-forwards, les plans tarabiscotés. Ainsi il filme un affrontement au milieu de miroirs et de femmes, seins nus, qui ne réagissent pas comme si elles étaient des mannequins, les corps nus, la violence, un côté kitch assumé, on sent dans cette scène tout le côté racoleur de la pose arty. Vu qu’il est incapable de filmer le frémissement entre deux personnes qui se rencontrent, l’amour naissant entre les deux personnages est tourné comme dans une publicité pour du shampoing, la mère, l’enfant, le bord de la rivière, le soleil se reflétant dans l’eau, la musique qui enrobe le tout.
Nicolas Winding Refn veut faire le coup de Taxi Driver de Martin Scorcese, le petit film violent et noir, très stylisé qui espère devenir culte, sauf que d’un côté il y a un cinéaste, de l’autre un petit malin avec un petit talent. Tout sonne faux, ça pue la prétention, le jeu des acteurs se doit d’être atone et dévitalisé, ce qui est à la mode, mais n’est pas Kaurismaki qui veut, ce dernier met de l’humanité derrière le masque de ces acteurs, là l’humanité, on s’en fout, l’humanité pour le coup c’est passé de mode, et comme c’est ça qui compte.
La musique est soit de l’indie rock pour bien confirmer que l’auteur a bon goût, soit un son strident parce que quand même il y a une sacrée tension qui se dégage, il ne faudrait pas l’oublier, même si ça fait déjà un certain temps qu’on pense à autre chose et ce ne sont pas les quelques scènes gores qui vont nous réveiller.
La lumière est souvent jaune, la ville est vue d’au-dessus pour donner cette impression de… de quoi déjà ?, une bataille a lieu en ombres chinoises pour créer une sensation de… ou peut-être pour… je cherche, je cherche, celui qui a la réponse peut nous prévenir. Bon n’en jetons plus.
Dire que le jury du festival de Canne et de nombreux critiques se sont fait avoir par ce maniérisme pompier est affligeant. Dire que des cinéastes comme Bonello ou Moretti n’ont pas eu de prix à Cannes, même pas celui de la mise en scène, alors qu’un seul plan de leur derniers film a plus de valeur que les 1h40 de Drive, l’est encore plus.
Drive de Nicolas Winding Refn, EU, 2011 avec Ryan Gosling, Carey Mulligang, Bryan Cranston…

5 commentaires :

  1. Je n’ai pas aimé du tout Taxi Driver que je trouve maniéré et vain (en plus d’être terriblement redondant). Ce n’est pas pour autant que j’en viens à autant de mauvaise foi. Je pourrais pourtant… Je pense qu’on peut ne pas apprécier un film comme Drive, qui a une trame plutôt classique. Toutefois, ne pas reconnaître l’élégance et la maîtrise évidente de la mise en scène, je trouve que là c’est manquer d’objectivité. Dommage, mais je comprends ça m’est déjà arrivé de me dire « je suis le seul à ne pas avoir aimé ce film? » ^^
    Bonne journée !

    • J’assume avoir parfois une certaine mauvaise foi, et je sais ne pas être tendre avec ce film (tant mieux si ça crée des réactions oppposées) mais si le début m’a plutôt intrigué : le braquage, l’attrait pour les détails, les gants, le volant, la montre, et l’efficacité de la poursuite qui suit, ensuite j’avoue rester perplexe, Il a une bonne maîtrise pour les scènes d’action mais elles sont au final très rares dans ce film, je continue de trouver qu’il ne sait pas quoi faire avec le reste, alors il fait n’importe quoi, on l’imagine composer son plan pour que ce soit jolie, intriguant mais il semble en même temps se désintéresser de ce qu’il filme, est-ce qu’il est capable de générer une autre émotion que : oh tu as vu comme ce plan est malin ? Est-ce qu’on est touché par l’ébauche d’histoire d’amour ? Est-ce qu’on tremble un tant soit peu pour le héros ? Est-ce qu’on est troublé à un moment dans ce film ? Personnellement, je me suis surtout beaucoup ennuyé. On peut apprècier mais ce n’est pas trop ma vision du cinéma.
      Bonne journée et au plaisir !

      • Salut,
        Ton commentaire est déjà bien plus nuancé, c’est plus agréable. Dans ces cas-là, je trouve tes remarques plus acceptables même si je ne les partage pas du tout. Nous avons eu finalement des réactions radicalement opposées face à Drive (et Taxi Driver) et certainement une sensibilité différente. Je comprends que tu l’on puisse passer à côté d’un film, ne pas accrocher, c’est tout à fait recevable. Mais ton article était bien plus malhonnête (sûrement écrit sous le coup de la colère ? ^^). Content que tu aies mis de l’eau dans ton vin. En tout cas, merci pour cette réponse !

  2. Il fallait bien que ça arrive un jour… Je n’ai pas encore vu le film, mais je sais déjà que je ne suis pas d’accord avec toi : NWR est un des réalisateurs les plus intéressant qui œuvre dans le cinéma de genre à l’heure actuelle, humainement – il a des choses intéressantes à dire – et formellement – son Guerrier Silencieux, film quasi muet à la limite de l’expérimental, est sublime. Dire que c’est un petit malin, c’est le mettre au niveau d’un Zack Snyder ou d’un David Fincher, c’est considérer qu’il fait du cinéma pour se mettre en avant et faire du pognon dans un système qui l’accueil à bras ouvert parce que c’est tendance. Le cinéma de NWR n’a jamais été tendance, il a jusqu’ici systématiquement cherché à innover dans les franges du cinéma dît commercial, ce qu’il a payé très cher par le passé – voir son retour non désiré à son film le plus rentable, Pusher, avec deux suites enchaînées pour rembourser son échec précédent alors qu’il ne voulait plus en entendre parler. Et le pire, c’est qu’il en fait deux bons films…
    Tout ce que tu reproches au film, je pourrai le mettre à son crédit je pense. Ce qui l’intéresse dans le cinéma, c’est de faire ressortir l’essence de l’être humain et son rapport à la spiritualité en réduisant les personnages et leurs rapports à leur plus simple expression, mais en les incarnant dans l’environnement où ils évoluent, que ce soient un gang mafieux, une prison, le Nouveau Monde où une ville.
    Encore une fois, je n’ai pas encore vu Drive, et peut-être que l’alchimie ne fonctionne pas. Mais je te trouve particulièrement dur avec un réalisateur qui a toujours travaillé dans la même direction, souvent à contre-courant de ce qui se vend, sans jamais céder à la facilité. Quant à Cannes, tu sais comme moi que c’est la sélection qui compte plus que les prix. Qu’un film comme Drive soit sélectionné au même niveau que Moretti ou Bonello, c’est le sortir du ghetto des films de genre et lui permettre de toucher un public plus large. Et Cannes est à ma connaissance le seul festival généraliste de cette importance qui le fasse. C’était donc pour moi la plus belle surprise du palmarès. Comme tu le dis si bien, c’est politique et dans ce cas c’est une bonne chose.

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