L’enfer c’est les autres
Sous l’élégante mise en scène de L’art d’aimer et de ses différentes histoires entremêlées de façon très fluide se cachent des partis pris cinématographiques forts, de la musique classique (Mozart, Brahms, Schubert…), des intérieurs bourgeois qui se ressemblent tous, quelques plans de natures et de rues, des dialogues très écrits, une voix off très présente et explicative qui joue sur la redondance, des panneaux noirs avec une phrase pour introduire les différentes histoires, un scenario qui se centre sur l’amour, le couple, le désir… il est sûr qu’Emmanuel Mouret ne cherche pas à courir derrière une modernité tapageuse, il ne cherche pas le réalisme, ni à être ancré dans notre époque, en cela son cinéma est beaucoup plus subversif qu’il n’y paraît en cette période où la mode est à la mise en scène voyante, au cinéma coup de poing, à l’originalité obligatoire bref loin des doux échanges qui sont filmés ici.
Le film existe par ce qui ne se voit pas, par ce qui est en creux, la tension vient que le désir, le sexe est partout mais sans cesse contraints, empêchés par l’autre, retardés par la parole, etc, de façon directe pour la succession de scènes où se croisent François Cluzet et Frédérique Bel mais il en est de même pour tous les personnages. Tout passe par le mot, l’explication, et pourtant à force d’en parler, de ne parler que de ça, tout devient érotisé, une bretelle qui tombe de l’épaule d’Élodie Navarre, le torse nu de Gaspard Ulliel (tous deux très touchants dans les scènes les plus fortes du film), les regards, les hésitations, tout se résume à l’envie de toucher l’autre et d’être touché par l’autre physiquement. C’est un cinéaste qui sait être très sensuel (comme l’avait montré son plus beau et étrange film Vénus et fleur) mais avec une mise en scène en adéquation avec le thème, c’est à dire comment sous une apparence lisse, un discours policé qui ne veut pas « embarrasser » se cachent des désirs forts et perturbants.
On pense bien sûr à Éric Rohmer (pour toute la filmographie d’Emmanuel Mouret mais là plus particulièrement) par ces mises en jeu d’une question morale, par le phrasé délicat et artificiel, par une mise en scène très étudiée mais qui reste discrète.
Emmanuel Mouret filme ses acteurs (tous très biens) en plein doute, il les filme souvent de face, sans jamais les juger et ce sont les situations, les logiques intrinsèques mais jamais ridicules de chacun qui crée un humour léger.
Comme dans tout film à sketchs, tous ne sont pas du même niveau, et la dernier qui emprunte à une mécanique de vaudeville est moins fort que les précédents parce que plus attendu, trop lisible dans ses intentions, on retrouve alors ce qui faisait la faiblesse de ses précédents films Un baiser s’il vous plait et Fais-moi plaisir ! quelque chose de trop démonstratif, Emmanuel Mouret s’éloignant de cette façon très douce qu’il a de filmer les visages, les corps, la parole pour loucher vers le burlesque, le comique de situation qui lui vont moins bien, il est d’autant plus drôle qu’il ne cherche pas à l’être, il est d’autant plus profond qu’il va vers la simplicité, l’épure, lorsqu’il filme cette mélancolie qui vient de l’impossibilité de concilier la fidélité à ses désirs, la fidélité à ses convictions et la fidélité à l’autre.
L’art d’aimer d’Emmanuel Mouret, France, 2011 avec Judith Godrèche, Julie Depardieu, François Cluzet, Frédérique Bel, Gaspard Ulliel, Elodie Navarre…
ah c’est interessant comme angle …
la complexité et les contradictions de « ce qui fait » désir, plus généralement…
Ca peut être le désir empêché ou ça peut être aussi l’empêchement qui crée le désir comme dans les scènes avec Cluzet et Bel. Ce que j’aime bien dans le cinéma de Mouret, suivant en cela celui de Rohmer c’est qu’il laisse beaucoup de place au spectateur, dans le sens où celui-ci peut vraiment appréhender le film suivant son humeur du moment et le voir sous tel ou tel angle.
Je n’aurais pas dit qu’Emmanuel Mouret ne cherche pas le réalisme, au contraire. Je pense que les questions qu’il aborde sont des questions qui font écho en nous. Certes il les poétise à souhait et fait danser les mots alors que dans la vrai vie ils sont souvent plus abruptes. Sa vison de l’amour et du désir, tellement vrai et juste, pour moi, ancre son film dans notre époque car se sont des questionnements qui peuvent se poser maintenant.
Je suis d’accord, on peut parler d’un réalisme des sentiments, de l’émotion… Je parlais plutôt en opposition à ceux qui, sortant d’un film, disent « ça ne fait pas vrai, ça ne se passe pas comme ça dans la vraie vie », parce que le phrasé n’est pas celui de tous les jours par exemple… Alors que le cinéma se doit d’être juste dans son regard, sans obligatoirement singer le réel (à quoi ça servirait d’aller au cinéma sinon…)
Assez d’accord avec cet avis et sur l’irrégularité entre les « sketchs ». Le dernier segment est en effet le plus faible.
Ce qui est dommage, c’est que ce dernier segment est le plus long, j’aurais aimé rester plus longtemps avec Elodie Navarre et Gaspard Ulliel et voir plus loin ce qui se joue entre eux. Mais l’ensemble m’a semblé intéressant…