Du haut de ma potence, je regarde la France
Les Chants de Mandrin est le quatrième film de Rabah Ameur-Zaïmeche, ce qui est déjà en soi un événement, tant Wesh-Wesh, Bled number one et le Dernier Maquis, ses précédentes œuvres ont laissé le souvenir d’un cinéma libre et personnel.
Il en est de même pour ce film décrivant la vie d’un groupe de contrebandiers après la mort de Mandrin. Il est rare de voir un film aussi cohérent dans son projet, cet hommage à la contrebande peut être lu à différents niveaux. Le film lui-même semble être fait en contrebande, une économie de moyen, quelques soldats figurent une armée, peu de personnages, des décors naturels, le tout produit par la boite de production de Rabah Ameur-Zaïmeche en toute indépendance (et qui a mis du temps à sortir en salle malgré son prix Jean Vigo).
Un film aussi de contrebandiers tant il semble loin d’une certaine tendance du cinéma actuel soutenue par certains critiques qui met en avant les films coups de poing, les films qui en mettent plein la vue, qui cherchent le plan parfait, bien léché*, le cinéma de Rabah Ameur-Zaïmeche est un antidote à ces purs objets plastiques, vides de narcissisme qui veulent écraser, épater plutôt que de permettre au spectateur de se sentir libres de projeter sur le film son propre regard, ici on ouvre le champ, on s’attarde sur des visages, le cinéaste cherche la respiration de la scène, il cherche à filmer la vie et ce qui circule entre des corps. Les acteurs (tous bouleversants de présence) jouent et cherchent leur jeu en même temps, certaines scènes donnent l’impression d’être improvisées, le cinéaste s’intéresse ainsi aux hésitations dans les mouvements, dans les paroles, il s’intéresse à ce qui s’échappe, nous ramenant ainsi à la contrebande.
Car les Chants de Mandrin est aussi un grand film politique et si le film l’est ce n’est pas tant par un discours plaqué pour convaincre les déjà convaincus mais par cette idée que la politique c’est l’action collective, c’est se mettre en branle, c’est ce que font ces contrebandiers, construire une barricade, déserter, se mettre hors-la-loi, vivre dans la nature près d’un feu, combattre, c’est aussi produire et diffuser un livre, et qu’est-ce qu’un film sinon une œuvre collective ? Rabah Ameur-Zaïmeche donne à voir un film qui se construit, une troupe qui crée, invente.
Mais cela n’en fait pas un objet théorique froid et rébarbatif, au contraire, le travail est précis, attentif pour voler des moments de vie, pour capter la beauté d’une étoffe lorsque le vent souffle, pour filmer la brusquerie d’un cheval, pour filmer aussi une nature d’autant plus belle qu’on ne cherche pas à la magnifier. Ainsi de nombreuses scènes sont de purs moments de grâce qui semblent arrachés à l’instant, que ce soit des cavaliers en ombres chinoises, une attaque silencieuse d’un lieu ou cette scène finale dans laquelle Jacques Nolot magnifique récite la Complainte de Mandrin, une scène de joie, de force qui en dit beaucoup plus qu’il n’y paraît sur la société d’aujourd’hui et sur la nécessité de reprendre le combat.
* Lire à ce sujet le compte-rendu du dernier festival de Cannes dans les Cahiers du cinéma de juin 2012 et le très intéressant article Les experts (de la poudre aux yeux) dans les Cahiers du cinéma de mai 2012 qui donnent de bons arguments théoriques pour ceux qui défendent un cinéma qui ne soit pas qu’une performance esthétique vaine.
Les Chants de Mandrin de Rabah Ameur-Zaïmeche, 2011, avec Rabah Ameur-Zaïmeche, Jacques Nolot, Christian Milla-Darmezin, Kenji Levan, Jean-Luc Nancy…
Belle chronique!Elle a le mérite de me donner l’envie de découvrir ce film .Surtout que les films précédents de ce réalisateur ne m’ont pas beaucoup plus.