Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant…
Holly motors marque le retour de Leos Carax, ce qui est une bonne nouvelle pour ceux dont Boys meet girls et Mauvais sang ont marqué les débuts cinéphiliques, ceux pour qui écouter Modern Love de David Bowie donne envie de courir en se frappant le ventre.
Il faut une certaine prétention pour réaliser un film monstre comme Hollly motors, un film qui contient de nombreux films, dont les films précédents de Carax, un film qui voudrait embrasser toute l’histoire du cinéma, mais ne faut-il pas une certaine prétention pour devenir artiste, pour se montrer ainsi aux gens. Carax assume aujourd’hui son statut de cinéaste poète maudit, joue avec lui, et vient face à nous, nu.
Ce pourrait être un film à sketchs mais il a une grande cohérence, derrière un film qui porterait un discours sur les nouvelles images, la virtualité, la disparition des machines et de l’homme, en apparaît un autre plus intéressant qui donne envie de faire un pas de côté pour voir (et lorsqu’on dit voir on veut dire voir et entendre) le monde autrement mais aussi le cinéma autrement et aussi sa propre vie autrement, il laisse suffisamment d’espace au spectateur pour qu’il projette sur les morceaux de vie montrés (avec une capacité impressionnante à nous plonger dans ces vies dont nous ne connaissons rien du passé, du futur ni rien des personnages en présence) ses propres souvenirs personnels et cinéphiliques. Chacun ainsi pourra être touché par une scène plus que par une autre mais il ne pourra qu’être surpris par toutes.
Carax travaille sur le déjà vu, et le glissement vers autre chose. Les scènes semblent familières par la façon qu’il a de filmer des routes, une banlieue pavillonnaire, l’intérieur d’un cinéma, la motion capture, une vieille mendiante sur un pont, etc. Scènes déjà vues parce que déjà vécues, soit par expérience soit parce que vues dans tel ou tel film, lues dans tel roman, etc. mais dont le déroulement est perturbé à chaque fois. Tout semble alors mouvant.
Ainsi la dernière incarnation de monsieur Oscar est en cela exemplaire, cet homme qui rentre du travail dans une ville où toutes les maisons se ressemblent, cet homme fatigué qui rentre dans son foyer, ouvre la porte en disant « c’est moi », cette scène d’une grande banalité, déchirante par sa banalité même, est accompagnée par la chanson Revivre de Manset qui élargit la scène et sa signification, la rendant encore plus universelle. Ensuite nous découvrons que sa famille est composée de grands singes mais ce petit détail n’empêche pas la scène d’être classique, Oscar monte à l’étage de sa maison et regarde le dehors par la fenêtre avec les autres membres de sa famille, ce petit changement nous interroge sur ce que l’on voit, est-ce que c’est différent ou non pour autant ?, la présence des singes changent-elles quelque chose ?
De même dans une voiture un père parle avec sa fille qui sort de sa première fête, on imagine la fille inventant un mensonge parce que n’assumant pas sa timidité, n’assumant pas ce qu’elle est. Nous sommes alors dans un film réaliste français, sur la complicité père fille, pourtant le comportement du père diffère, alors qu’on pensait se retrouver face à un père compréhensif et aimant, il se trouve d’une dureté sèche, comme si la question n’était plus ce qui se passe à ce moment précis, mais une vision plus large des rapports humains où la punition d’une jeune adolescente sera d’être elle-même.
Ce sont ces décalages qui créent une excitation permanente, pendant tout le film on n’est jamais sûr de ce que l’on voit, ainsi Carax nous pousse à nous interroger sur notre regard, à considérer que la réalité de ce que l’on voit n’existe que par notre perception construite, et qu’il pourrait être libérateur et révolutionnaire de prendre le temps de regarder le monde différemment.
Holly motors de Leos Carax, Fr, 2012 avec Denis Lavant, Edith Scob, Eva Mendes, Kylie Minogue, Elise Lhomeau…