Reçue avec mention
Cette fois, c’est sûr : le cinéma est au plus mal. Entre la baisse globale de la fréquentation, l’effondrement du marché de la vidéo, le piratage… C’est bien simple, on n’a jamais été si proche de la catastrophe économique. Résultat des courses, les financeurs serrent les fesses et s’accrochent aux vieilles recettes pour limiter la casse. Principales victimes, le spectateur bien sûr, et ce cinéma du milieu cher à tous les cinéphiles. Entre les gros budgets formatés et les films d’auteurs intimistes – de plus en plus formatés eux aussi –, il y a de moins en moins de place pour d’autres propositions artistiques.
Heureusement, le cinéma n’est pas une industrie comme les autres, et il arrive que le public plébiscite des films qui ne rentrent pas dans les cases évoquées ci-dessus. Leur point commun ? Ils jettent une passerelle entre le drame auteurisant et la comédie populaire, s’amusant à aborder des sujets sérieux avec un ton détaché et des ressorts qu’on pensait réservés à cette dernière. Et pour enfoncer le clou, ce cinéma n’oublie pas d’où il vient et s’évertue à tisser des liens entre les générations au delà de l’hommage de complaisance.
Dernier succès en date de ce courant, Camille redouble de Noémie Lvovsky, où l’actrice-réalisatrice s’appuie sur le concept de Peggy Sue s’est mariée pour faire revivre à la Camille du titre son adolescence dans les années 80, période ayant lourdement conditionné ses drames de quarantenaire alcoolique. Contrairement aux comédies américaine des années 2 000, le film ne tombe jamais dans le piège du « c’était mieux avant »1: les personnages ne sont pas des adolescents attardés qui s’efforcent de raviver la flamme des années lycées dans leur condition d’adulte : Camille – Noémie Lvovsky – se retrouve littéralement propulsée dans le corps de ses 16 ans, sachant pertinemment tout ce qui va lui arriver après. Elle va s’efforcer d’échapper à un destin pourtant inéluctable, que ce soit la rencontre avec l’amour de sa vie qui la quittera 24 ans plus tard ou la mort de sa mère d’une rupture d’anévrisme peu après son seizième anniversaire. Mais là où le film emporte le morceau, c’est que comme dans le très bon Les beaux gosses de Riad Sattouf, le regard qu’elle porte sur son adolescence est sans complaisance. A côté des grandes tragédies qui vont façonner sa vie, il y a cette guerre permanente contre les vicissitudes de l’âge ingrat qui, pour une fille de 16 ans, paraissent au moins aussi insurmontable : le fossé infranchissable avec les adultes, la violence des premiers émois sexuels, le regard impitoyable de l’autre et celui, peut-être pire encore, que l’on porte sur soi-même. Cette volonté de ne jamais tricher avec la réalité – l’actrice incarne elle-même le personnage à 16 ans sans que cela ne fasse tiquer le spectateur – explique sans doutes l’engouement du public et de la critique pour le film.
Au delà de ses qualités purement cinématographiques, le long-métrage n’oublie jamais d’où il vient, et son casting exemplaire dessine une carte de ce cinéma du milieu que d’aucuns voudraient enterrer avant l’heure. Il s’inscrit dans le passé, avec des cameos savoureux de Jean-Pierre Léaud – héraut de la Nouvelle Vague – et de Mathieu Amalric – qui renvoie forcément au cinéma de Despléchin et d’Assayas 2. Mais il s’inscrit également dans le présent, et si l’on cherche un dénominateur commun à l’expression contemporaine de ce cinéma français à la fois intéressant, populaire et rentable, c’est du côté de Noémie Lvovsky elle-même et de ses rôles récents qu’il faut le chercher. Consciente de ce qui se joue autour d’elle, il n’est pas étonnant de la voir intégrer dans son casting Les beaux gosses – Vincent Lacoste et Anthony Sonigo, mais aussi Riad Sattouf en réalisateur de film d’horreur – ainsi que Samir Guesmi, Michel Vuillermoz et l’incontournable Denis Podalydès tout droit sortis d’Adieu Berthe. La guerre est déclarée n’est pas loin non plus, dans la manière de s’appuyer sur le vécu pour conter une histoire, et la volonté de proposer au spectateur de sortir des sentiers (re)battus de la codification des genres qui voudraient qu’on ne traite les sujets graves que gravement et les sujets légers avec désinvolture.
La particularité de tous ces films, et Camille redouble en est l’exemple parfait, c’est qu’en s’appuyant sur le réel des situations et/ou des personnages, ils renvoient le spectateur vers son propre vécu. Sans oublier de lui raconter une histoire qui, aussi fantastique qu’elle puisse être – ce n’est pas un rêve, Camille voyage vraiment dans le temps – s’appuie sur des morceaux de vie qui font écho à la sienne. Et cette honnêteté fait un bien fou.
Camille redouble, de Noémie Lvovsky, France, 2012, avec Noémie Lvovsky, Samir Guesmi, Denis Podalydès, Vincent Lacoste…
1 L’exception notable étant le Supergrave de Greg Mottola.
2 Et à ce mouvement amorcé par Un monde sans pitié en 1989 qui posait un regard transversal et doux-amer sur le rapport de l’individu aux normes sociétales.
Sympathique et nostalgique mais pas exceptionnel.
Bon dimanche.
Je te trouve un peu dur. On est d’accord, ce n’est pas le chef d’oeuvre de la décennie, mais au milieu de tous ces films plombants comme A perdre la raison, Quelques heures de printemps, et Amour qui va débarquer, je trouve que ça fait du bien d’aborder un sujet sérieux – la rupture avec l’amour de sa vie, tout de même – sur un ton léger. Bon lundi !