Retour en grâce ?
Après l’inutile Cars 2 et le disneyen Rebelle, on pensait la singularité de Pixar définitivement perdue, phagocytée par la firme aux grandes oreilles. Et c’est exactement ce que Dan Scalon nous fait croire pendant une bonne partie de ce film qui relate la rencontre entre les deux héros du sympathique Monstre et Compagnie (2001). On déroule le cahier des charges : Jacques « Sulli » Sullivan est fainéant mais il fait peur alors que Bob Razowski est un bosseur sans la moindre prédisposition naturelle. Leurs disputes incessantes finissent par les faire virer du cours pour devenir « terreur d’élite » et ils doivent s’associer aux pires étudiants du campus pour être réintégré, en gagnant un concours opposant différentes fraternités. Ils apprennent à travailler ensemble, deviennent potes et finissent par remporter l’ultime épreuve qui entérine leur retour en grâce. C’est bien fait, techniquement et narrativement mais comment dire… on nous l’a servi tellement de fois,cette histoire ! Trois grains de sable vont heureusement venir gripper la machine.
En arrière, toute. Le film s’ouvre sur un magnifique court-métrage en forme de mea-culpa, Le parapluie bleu de Saschka Unseld qui renoue avec les fondamentaux du studio : manipuler la réalité pour raconter des histoires aux enfants. On y retrouve avec bonheur la simplicité de Luxo Jr (1986), cette petite lampe de bureau qui devint la mascotte du studio, en suivant les aventures de deux parapluies qui tombent amoureux. La maîtrise technique est époustouflante mais a l’intelligence de se faire oublier pour mettre en avant l’émotion. Et surtout ça s’adresse autant aux enfants qu’aux adultes.
Revenons à Monstres Academy. Bob découvre que Sulli a trafiqué la dernière épreuve du concours pour que son équipe l’emporte. Oh, pas de manière égoïste, il a compris la leçon, mais pour que son pote ne se ridiculise pas. Poussé à bout dans l’engueulade qui suit, il lâche que quoi qu’il fasse Bob ne sera jamais une terreur parce qu’il n’en a pas les qualités nécessaires. Et à ce moment du film les spectateurs savent que c’est vrai. L’entendre ne lui suffit pas et Razowski doit s’en rendre compte par lui-même. Pas par orgueil mais parce que depuis l’école maternelle, atteindre cet objectif est toute sa vie. Il franchit alors une porte vers le monde des humains et c’est la catastrophe attendue : non seulement il ne fait pas peur, mais il éveille la curiosité d’une troupe de scouts qui risquent de découvrir le secret des monstres. Par dessus tout, il se rend compte que quoiqu’il fasse il ne pourra jamais devenir ce dont il rêve. Poursuivi par les humains, il se réfugie au bord d’un lac, rejoint bientôt par Sulli qui va s’efforcer de convaincre son ami – et c’est seulement à partir de ce moment qu’il est question d’amitié entre les deux personnages – que devenir adulte c’est adapter ses rêves d’enfant à la réalité du monde. Le réalisateur emporte le morceau avec cette séquence doublement introspective, comme si à travers leurs personnages les petits gars de Pixar faisaient amende honorable auprès des spectateurs. Cerise sur le gâteau, la représentation du paysage nocturne est une prouesse technique sans précédent mais elle passe totalement au second plan par rapport à l’histoire racontée. S’ensuit un clin d’oeil canaille qui renoue avec l’impertinence originelle du studio. Un camp de vacance au bord d’un lac, ça ne vous rappelle rien ? Eh oui, Scalon a le toupet de se la jouer Vendredi 13 pour un cours magistral de cinéma d’épouvante où Sulli suit scrupuleusement les indications de son comparse pour terroriser les humains et rentrer chez eux. A défaut de faire peur, Bob se révèle un tacticien hors-pair. Si vous cherchez à expliquer le rôle d’un réalisateur à votre môme, c’est le moment !
Et le film de se terminer sur un coup de génie, une véritable déclaration d’amour au public. Oui, Monstres Academy est un prequel qui utilise des personnages et un univers déjà porté à l’écran, incarnant en cela l’incapacité d’Hollywood à se renouveler. Sauf que dans un ultime pied de nez, alors que tout le monde s’attend à ce que les personnages réintègrent la fac après leur exploit, ils se font virer irrémédiablement. Qu’importe, s’ils ne peuvent pas rentrer à la Monstres, Inc par la grande porte ce sera par la petite, en commençant comme simple agents d’entretien. J’en aurai presque pleuré devant l’écran, tiens. Malheureusement, les spectateurs ont boudé le film, lui préférant l’attendu – dans tous les sens du terme – Moi, moche et méchant 2. Mauvaise pioche, les mioches ! J’espère sincèrement que Pixar continuera sur cette voie et que Monstres Academy inaugure une réelle remise en question du studio qui reste, quoi qu’on en dise, ce qui se fait de mieux en animation étasunienne à gros budget.
Monstres Academy, de Dan Scanlon, EU, 2013 avec les voix de Billy Crystal et John Goodman (en vo, of course !)