Une insondable tristesse
Un homme, musicien et chanteur, revient vivre quelques mois chez son père dans la ville de Tonnerre, il rencontre une jeune femme, il tombe amoureux. Une histoire simple d’apparence.
Le film tourne autour de ces trois personnages, avec en contrepoint celui du footballeur, presque hors champ pendant tout le film.
Tonnerre, ce sont d’abord des acteurs que Guillaume Brac observe avec patience, tendresse. Vincent Macaigne incarne Maxime, ça pourrait être le personnage d’Un Monde sans femme le précédent moyen métrage du cinéaste, ça pourrait être aussi celui qu’il jouait dans La Bataille de Solférino de JustineTriet, avec ce mélange de timidité, ses yeux tristes mais aussi quelque chose d’oppressant, de violent qui semble pouvoir surgir n’importe quand, un corps qui semble toujours en trop, qui ne semble jamais à sa place dans le cadre, qui s’excuse presque d’être là mais qui peut être très intrusif, gênant. On trouve dans ce film de très beaux plans de son visage qui semble fatigué d’avoir vécu de nombreuses vies, comme s’il était un survivant, il en est de même pour celui de Mélodie incarnée par Soléne Rigot, une révélation immédiate, qui sait jouer l’innocence de la jeunesse et aussi une inquiétude plus profonde, plus lointaine face à la possessivité masculine. Bernard Ménez et Jonas Bloquet apportent aussi une forte présence à leur personnage.
Il y a quelque chose de très frontale et réaliste dans la façon dont le cinéaste filme cette ville de Tonnerre, ses entraînements de foot, son cours de danse country, ses bars, sa devanture de cinéma, ses rues. La ville existe fortement, le film est ancré dans un paysage, une vie locale, une atmosphère. Pourtant ça cloche, ce rythme flottant, ces personnages croisés qui ont un discours direct qui, lui, ne sonne pas réaliste, ce vendeur qui demande à brûle-pourpoint si Maxime et Mélodie ont baisé ensemble, cet homme qui raconte ses envies suicidaires, apparaissent comme des troués, quelque chose est prêt à dérailler, et effectivement quelque chose déraille. Ça bascule vers le fantastique, avec cette fontaine, la nuit, cette forêt enneigé, ce chalet isolé. On dévie vers le conte, la belle et la bête, l’ogre et la belle endormie, ça pourrait être juste un banal fait divers mais cet aspect fantastique transforme le sordide en douceur, jusqu’à ces gendarmes qui se révèle étrangement compatissants face à ces écorchés vifs.
Tout n’est pas forcément réussi, la discussion père fils sur la mère absente semble presque plaquée, un peu trop explicative, « une scène à faire » où l’on sent l’intention de l’auteur, alors que c’est l’incertitude du film, sa fragilité qui en fait sa force particulière. C’est cette tension entre un lieu filmé avec précision, et des échappées vers autre chose, la folie, la monstruosité qui en crée l’inquiétante étrangeté.
Tonnerre de Guillaume Brac, France, 2014 avec Vincent Macaigne, Solène Rigot, Bernard Ménez, Jonas Bloquet…