Queen of Earth d’Alex Ross Perry

queenofearth2Un îlot de verdure

Nous étions deux dans la salle ce lundi soir pour la seule projection de la semaine de Queen of earth à Grenoble, après une semaine où le film fut montré deux fois à 14 heures.
C’est symptomatique du fait que ce cinéma indépendant étasunien, qui gravite autour de cette appellation un peu fourre-tout de mumblecore, n’est pas connu, désiré par ici. Pourtant, il vibre depuis une dizaine d’année de Joshua Safdie à Andrew Bujalski, avec des films qui mettent en avant le désir de tourner sans attendre d’avoir l’argent nécessaire, le geste, le mouvement, qui ne cherche pas la belle image, le beau plan démonstratif, la virtuosité technique mais à capter la vie, les errements, les angoisses, les rencontres et tant pis si l’image et le son sont un peu crade, si ces films sont  parfois foutraques du moment que surgissent des plans vibrants. Avec Cassavates et d’autres comme lointains parrains (On pense parfois au très beau Une femme sous influence pour ce Queen of Earth).
Alex Ross Perry poursuit cette veine avec ses personnages qui ont en commun une difficulté à rentrer en contact avec les autres, des losers solitaires de Color of Wheel à l’écrivain arrogant, élitiste et paumé de Listen up Philip, la particularité de ces héros est de passer leur temps à ne pas se faire aimer, ils ne sont pas agréables et il est difficile de s’identifier à eux, ils n’ont pas la névrose ou la dépression amusante ou touchante. Pourtant ils cherchent tous un moyen d’exister, de ressentir dans un monde qui n’est pas fait pour eux, ils ont en commun une difficulté de communication, tous ces personnages ne semblent pas avoir de filtre et s’envoient sans cesse des vérités d’une cruauté nue, comme les deux amies de Queen of earth. Et le cinéma de Perry, cru et direct, est cohérent avec ses personnages.
Ainsi Catherine, en deuil, angoissée, cherchant à se ressourcer avec son amie Virginie dans une maison de campagne mais qui s’enfonce dans le désespoir et la folie. Une histoire d’amitié jalouse, d’incapacité à se porter, à se soutenir. Un film d’une grande tristesse qui donne l’impression que l’intrusion de l’autre est violente, la moindre question, la moindre attention, sont perçues comme une agression.
Alex Ross Perry travaille un rythme très personnel qui donne une impression de flou, on ne sait pas toujours quand on est, avec un montage qui alterne longs moments de discussion et accélérations soudaines, raccords brusques, mélanges du passé et du présent, le tout accompagné d’une musique lancinante qui finit par devenir hypnotique. Il faut accepter de se laisser emmener et de se perdre avec Catherine. Dans cette fragmentation, il y a de la place pour la projection du spectateur. Tout n’est pas donné, rien n’est imposé. La mise en scène arrache de la vie aux personnages, à la lumière de la nature, de l’eau. Ainsi les plans semblent volés, vite faits alors qu’ils sont très beau, la photo est superbe. Cet havre de paix devient le lieu de l’enfermement volontaire, il y a quelque chose de paradoxale entre la splendeur des lieux, le chatoiement de l’eau et ce que ressent Catherine. Le décor naturel en devient lumineux, beaux mais aussi morbide.
Et surtout Alex Ross Perry prend le temps de filmer les visages, comme pour recueillir un chuchotement, des confidences. Elisabeth Moss (tout en fragilité) et Katherine Waterston (douce et violente) sont juste magnifiques, ce qu’elles donnent dans ce film, ce qu’elles nous donnent est impressionnant et mériterait en soi qu’on ne soit pas que deux un lundi soir dans ce cinéma à les regarder. Voir ce genre de films et le faible écho qu’ils ont donne envie de continuer à écrire des critiques mêmes si seules dix personnes les lisent, et continuer le combat avec tant d’autres, minoritaires peut-être mais présents, pour défendre un cinéma vivant.
Queen of Earth d’Alex Ross Perry, États-Unis, 2015 avec Elisabeth Moss, Katherine Waterston, Patrick Fugit…

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