Le Journal d’un Cinéphage – Épisode 1 (Janvier 2018)

 

Cinéphiles, cinéphiles, mes chèr-e-s compatriotes,

Après vous avoir lâchement abandonné-e-s en plein milieu du bilan de l’année dernière, me voici de retour sur cet écran pour une énième tentative de rubrique régulière. Au menu de ce Journal d’un Cinéphage 1, heu… rien de bien original en fait : trois chroniques de films vus dans le mois, en l’occurrence un qui m’a laissé froid, un autre qui m’a réchauffé le cœur et un dernier qui a fait ressurgir, à son corps défendant, de bien vilaines frustrations cinéphiles. Et pour finir en beauté, un peu de placement de produit en lien avec ma plus grosse attente pour un mois de février qui s’annonce foutrement hallucinatoire.

 

Last Flag Flying de Richard Linklater, avec Steve Carell, Bryan Cranston et Laurence Fishburne

Face à Last Flag Flying, deux cas de figure : soit vous avez vu La Dernière corvée (The Last Detail, 1973), soit non. Hélas, j’appartiens à la première catégorie, et impossible d’aborder le nouveau film de Richard Linklater autrement qu’en le comparant à celui d’Hal Ashby. Basés tous deux sur des romans de Darryl Ponicsan, on comprend aisément que le réalisateur de Boyhood ait été attiré par le projet : les deux livres proposent, à 44 ans d’intervalle, une variation sur le même thème, soit trois personnages façonnés par l’armée et la guerre qui traversent les états-unis, mais à des époques différentes ; et si les protagonistes de Last Flag… ne sont pas exactement les même que ceux de The Last Detail, ils leur font écho par leur caractérisation et les années de plus au compteur.
Premier agacement : Dans le film de 1973, pur produit du Nouvel Hollywood, Ashby proposait un contre-champs assez déroutant à la guerre du Vietnam. Le road-movie traversait une Amérique fantomatique, sans repères après la guerre idéologique totale entre conservateurs réactionnaires et utopies libertaires qui s’est cristallisée autour du conflit, laissant au final les deux camps moribonds. Pas très original pour l’époque, me direz-vous ; sauf qu’en empruntant le regard de trois militaires de carrière désabusés qu’on aurait toutes les peines du monde à rattacher à l’un ou l’autre camp, le réalisateur proposait un éclairage pour le moins original. Et plus le film avançait, plus on prenait conscience de l’étendue des dégâts, avec un sentiment désagréable de gâchis et d’impuissance. Las, le film de Linklater a toute les peines du monde à confronter ses personnage à autre chose que la grande supercherie de la chose militaire, qu’ils vont d’ailleurs finir par embrasser à nouveau après l’avoir rejetée viscéralement en revenant du Vietnam. Et si le spectateur ressent à nouveau une impression de gâchis, c’est parce que le réalisateur a choisi de laisser hors-champs l’Amérique de George W. Bush que les personnage traversent sans jamais vraiment s’y confronter.
L’autre problème du film, c’est d’avoir casté Steve Carell. Soyons clairs : je trouve que c’est un acteur de comédie épatant, et je soutiens sans réserve ses incursions dans un registre plus sérieux 2 ; sauf lorsque ces deux aspects se télescopent. La séquence du train, où nos trois vétérans, hilares, partagent leurs souvenirs avec un jeune soldat, m’a fait littéralement décrocher du film. L’espace d’une scène, c’est le personnage débile que l’acteur incarnait avec brio dans les deux Anchorman d’Adam McQuay qui ressurgit, détruisant de fait la crédibilité de son jeu pour le reste du métrage. À côté de ça, même si la performance de Nicholson dans The Last Detail reste inégalée, celles de Bryan Cranston et Laurence Fishburne n’ont pas à rougir de la comparaison.

 

Pentagon Papers de Steven Spielberg, avec Meryl Streep et Tom Hanks

Le film se situe dans au début des années 70, mais nous ne sommes pas dupes : un président paranoïaque et roublard, la liberté de la presse menacée, le sempiternel combat entre le droit à l’information et le secret d’état, c’est de l’Amérique contemporaine qu’il s’agit. Avant de plonger au cœur du sujet, permettez-moi une petite digression. J’ai grandi dans les années 80, au milieu des blockbusters réalisés ou produits par Steven Spielberg. Ce qui explique à la fois une affection particulière pour le cinéma populaire étasunien et un rejet viscéral des premières velléités historicistes du réalisateur. Non, définitivement, l’idée saugrenue de filmer la Shoah en utilisant les codes du cinéma d’entertainment, ou la représentation du Débarquement en mode « la guerre comme si vous y étiez », très peu pour moi. Beaucoup d’eau aura coulé sous les ponts avant que je ne me laisse à nouveau séduire par son cinéma, jusqu’à ce que Lincoln enfonce le clou : Steven Spielberg est devenu un grand cinéaste américain, dont le regard compte autant que celui de Clint Eastwood.
Ce qui fascine d’emblée avec Pentagon Papers, c’est que le réalisateur refuse avec malice les codes du film de presse à l’américaine. Point de grandiloquence ici, le Post de Meryl Streep, dirigé par Tom Hanks, démarre la course au scoop avec une bonne longueur de retard, et n’entre réellement dans la danse qu’après les déboires judiciaires du New York Times. Et avec un tout petit peu d’opportunisme, pour ne rien gâcher. Spielberg préfère travailler en marge de son sujet, et s’il représente la contre-culture et les mouvements contestataires sous forme de clichés un tantinet agaçants, il accorde une place essentielle à ses personnages féminins. Évidement, il y a celui de Meryl Streep, qui va devoir s’émanciper de son temps et de son milieu en affrontant les fantômes de son père et de de son mari, leurs encombrantes amitiés politiques et une armada de conseillers mâles qui entendent lui dicter sa conduite. Comme on s’y attend, le personnage de Tom Hanks va l’accompagner dans cette quête, mais pas en la prenant par la main. C’est sa patronne, il travaille pour elle en tant que rédacteur en chef, et cette situation ne lui pose pas le moindre problème tant que chacun tient sa place. Et pour le coup, ce n’est pas l’expression du machisme de l’époque, bien au contraire : son personnage est le seul à ne pas la ramener à sa condition de femme, et s’il est aussi dur avec elle au début du film, c’est seulement qu’elle n’assume pas – encore – son rôle de patronne de presse. On passera sur quelques maladresses, comme cette stagiaire qui l’accompagne dans les couloirs du tribunal et l’admire un peu trop ouvertement, ou sur la haie d’honneur féminine qui l’escorte à sa sortie. Rappelons tout de même que le film a été mis en images plusieurs mois avant que l’affaire Weinstein n’éclate, au cas où des bien mal-pensants souhaiteraient taxer Spielberg d’opportunisme. Et cinématographiquement, quelle riche idée de nous avoir épargné la traditionnelle scène de procès. C’est dans la salle de rédaction que les journalistes apprendront, de la bouche de l’unique rédactrice du journal, le verdict de la Cour Suprême. Une scène magnifique, du même tonneau que la conclusion de Lincoln.

 

Fireworks, d’Akiyuki Shimbo et Nobuyuki Takeuchi

Tiens, puisque je parlais plus haut de découvrir un film à travers le prisme d’un autre, la sortie française de Fireworks résume assez bien le chemin de croix de l’amateur de cinéma japonais contemporain. Entendons-nous bien : je n’ai rien ni contre le film d’Akiyuki Shimbo et Nobuyuki Takeuchi, ni contre son distributeur, la société Eurozoom qui a toujours été un grand défricheur dans ce domaine. Le problème, c’est qu’ils doivent se sentir bien seuls. Très à la mode au mitan des années 90, avec en fer de lance les œuvres de Kitano et du studio Ghibli, on constate, vingt et quelques années plus tard, que le vent a tourné. Le cinéma Coréen l’a progressivement supplanté dans le cœur des distributeurs – et donc, des spectateurs –, et aujourd’hui, on se retrouve dans une situation pour le moins embarrassante : le seul cinéma japonnais qu’on peut voir sur grand écran est totalement déconnecté de ce qui se passe là-bas. Pour limiter les risques, les distributeurs misent sur les vieilles gloires festivalières qui, à l’exception du prolifique Kiyoshi Kurosawa, n’ont plus grand-chose d’intéressant à dire sur leur époque et leur pays. Vous trouvez que j’exagère ? Sérieusement, Naomi Kawase a-t-elle fait un bon film depuis l’envoûtant Shara ? Le nombrilisme kitanienne intéresse encore quelqu’un ? Doit-on réduire l’animation japonaise au moralisme takahatien, qui, depuis quelques années, a contaminé le cinéma de son coreligionnaire et celui des « héritiers » du studio Ghibli, Mamoru Hosoda en tête ?
Vous allez me dire, c’est la dure loi de la distribution : si on met de côté les cinématographies qui rapportent (en gros, le francophone européen et l’étasunien), le nombre de créneaux qui restent pour le tiers-monde du septième art (Amérique du sud, Asie, Afrique, Europe) est sacrément limité et incite à la prudence. Résultat des courses, la poignée de doux-dingues qui s’intéresse au cinéma japonais d’aujourd’hui n’a plus qu’à se tourner vers le marché de la vidéo. Mouais, sauf que là aussi, c’est un peu la misère. À l’exception des pachydermes sus-cités, peu de films originaux sortent chez-nous, et pas forcément dans les meilleures conditions. Non, franchement, pour avoir une idée de la production récente, il vaut mieux sortir son dico et traverser la Manche ou – et dieu sait que ça me fait mal de le dire – se rabattre sur le téléchargement illégal.
Mais revenons à nos moutons. À ma grande surprise, j’ai découvert dans Les Cahiers du Cinéma 3 que Fireworks était en fait le remake d’un téléfilm des années 90, encore très populaire au pays du soleil levant. Mieux, la séquence centrale du métrage, celle de la gare où les rêves adolescents viennent se fracasser sur la réalité du monde adulte, est une reprise plan par plan de l’original. Voilà. Comment, c’est tout ? Oui, sauf que ce n’est pas la première fois : il y a deux ans, j’ai découvert que le très sympathique Hana et Alice mènent l’enquête de Shunji Iwai, distribué par… Eurozoom, évidement, était en fait le prequel d’un film live de 2004, les deux actrices d’origine prêtant leurs voix aux doubles animés de leurs personnages. Inutile de préciser qu’il n’est jamais sorti chez nous, du moins légalement, et qu’il apporte un éclairage et une profondeur essentiels au film de 2016.
Sinon, bien qu’un cran en dessous de Your Name, Fireworks travaille avec bonheur les même thématiques, celles de la confrontation du temps réel aux « autres temps », qu’ils surgissent du passés ou, comme ici, qu’ils appartiennent aux chemins non empruntés du présent. Et croyez-moi, c’est autrement plus passionnant que la nostalgie réactionnaire du dernier Miyazaki 4.

Un peu de merchandising :

Connaissez-vous les univers joyeusement vénéneux de Bertrand Mandico ? En attendant avec une impatience folle la sortie en salle de son premier long-métrage le mois prochain (voir bande-annonce ci-dessous), et d’ici à ce qu’un éditeur nous propose une belle édition d’Hormona que j’ai lamentablement raté il y a deux ans, c’est le moment idéal pour se plonger dans ses premières œuvres. Pour une somme modique, vous pouvez acquérir un double DVD malicieusement appelé Mandico in the Box qui renferme, sinon son âme, au moins quelques aspects de sa personnalité déjantée. Les courts-métrages du réalisateurs sont d’une beauté proprement foudroyante et ouvrent tout un tas de portes dérobées sur l’autoroute de la cinéphilie mainstream. Bref, Mandico in the Box, c’est indispensable – et toujours disponible chez l’éditeur, Malavida, ce qui ne saurait durer !

Prochainement sur cet écran :

 

1 Toute ressemblance avec un fanzine moribond consacré au cinéma de genre n’est bien évidement pas fortuite pour un sou.
2 Il est épatant dans le Foxcatcher de Benett Miller, aux côtés de Channing Tatum et Mark Ruffalo.
3 Les Cahiers du Cinéma n°740 – janvier 2018, p.43. Sur le foisonnement du jeune cinéma japonais, on se reportera à l’état des lieux dressé par Stéphane du Mesnildot dans le n°715 (octobre 2015).
4 C’est ce qu’on appelle l’art de se faire des ami-e-s !

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