Cyclone à la Jamaïque d’Alexander Mackendrick

Le vieil homme et l’enfant

XIXème siècle. Face aux cyclones qui balayent la Jamaïque, un couple de planteurs organise le rapatriement de leurs enfants en Angleterre. Mais le bateau qui les transporte est arraisonné par des pirates qui, sans le savoir, embarquent les enfants avec le butin.

Amateurs de flibustiers séduisants et d’abordages épiques, passez votre chemin. Les pirates d’Alexander Mackendrick tiennent plus du truand à la petite semaine que du bandit magnifique, ce qui ancre d’emblée le récit dans un réalisme bienvenu. Par exemple, lorsqu’ils veulent faire avouer au capitaine anglais où il cache son argent, une fois que les menaces ont échouées, ils entreprennent de lui griller la plante des pieds. Pas de grandeur d’âme non plus chez les « civilisés » : ce même capitaine refuse de parler quand Chavez, le chef des pirates, ordonne à ses hommes de tirer sur la cambuse où les enfants sont enfermés. L’imagerie aventureuse qu’on associe habituellement à ce genre cinéma n’existe en fait qu’à travers le regard des enfants qui, oh joie! se comportent comme tel. Trop souvent, le cinéma nous les présente comme des adultes en miniatures, éludant leur spontanéité et leur cruauté. Mackendrick ne tombe pas dans ce travers, et même si il regrette de n’avoir pu aller au bout de son idée, à savoir raconter l’histoire exclusivement du point de vue des enfants, il donne à leur vision des choses une place au moins aussi importante qu’à celle des adultes.
L’autre tour de force du film, c’est de ne jamais passer sous silence les tensions sexuelles qui ne manquent pas d’apparaître. Parmi les otages, une adolescente, dans un premier temps inconsciente du désir qu’elle suscite, va entraîner une successions de réactions de plus en plus violentes chez l’équipage, atteignant son paroxysme dans la scène décrite plus bas. Mais très vite le réalisateur délaisse ce personnage pour se concentrer sur la relation trouble qui nait entre Sanchez et Emily – qui, elle, n’est encore qu’une enfant. Cela donne lieu à deux scènes particulièrement éprouvantes : la première nous montre l’équipage ivre mort descendre dans la cale où dorment les enfants. Le capitaine tente d’amadouer l’adolescente en espagnol*, et il n’y a aucune ambiguïté possible sur ses intentions. C’est finalement Emily qui, sentant la tension monter, mettra fin au coup de sang des marins en leur demandant de les laisser dormir. Sanchez jette alors un regard plein de de désir sur l’enfant et lui caresse la joue dans un geste là encore sans équivoque. Emily, réagissant instinctivement – elle ressent plus qu’elle ne comprend – mord violemment le marin qui dessaoule instantanément. Passe alors dans le regard du très bon Anthony Quinn un sentiment d’horreur et de dégoût de soi. Si le comportement de Sanchez peut être mis sur le compte de l’alcool, Mackendrick va plus loin dans une scène ultérieure : alors que les enfants, pensant que tout ceci n’est qu’un jeu, multiplient les farces au dépend du capitaine, ce dernier explose de colère et menace physiquement l’un des garçons. Emily s’interpose en frappant le marin qui la saisit et la plaque sur le pont. Passe à nouveau dans son regard la même pulsion sexuelle que lors de la scène décrite plus haut, sauf que cette fois il est à jeun, et la jeune fille se rend un peu plus compte de ce qui se passe. Le capitaine passera le reste du film à expier ce désir interdit en sur-protégeant les enfants en général et la petite Emily en particulier. Quitte à provoquer une mutinerie, puis à finir pendu pour sauver ce qui reste d’innocence en elle, endossant la responsabilité d’un meurtre qu’elle a  commis sous l’emprise de la fièvre et dont elle ne se souvient que partiellement.

Ce film, remarquable pour ce traitement honnête et rigoureux des personnages, est d’un modernisme étonnant. Inutile de dire que le réalisateur le paya très cher : En 1965, Hollywood était particulièrement conservatrice et puritaine, totalement sourde à la libéralisation des mœurs qui commençait à ébranler la société américaine.

* Avec beaucoup d’intelligence, les nombreux dialogues en espagnol du film ne sont pas sous-titrés, ce qui place le spectateur non-hispanophone dans la même situation que les enfants.

Cyclone à la Jamaïque (A high wind in Jamaica) d’Alexander Mackendrick, GB/EU, 1965 avec Anthony Quinn, Deborah Baxter, James Coburn…

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