Le Nom des gens de Michel Leclerc

La vie est ailleurs

Il y a des films à idées, j’entends par là, un film qui est une juxtaposition d’idées qui ne sont pas forcement mauvaises en soi, mais qui ne font pas un film (les spécialistes en étaient Jeunet et Caro). Ainsi Le Nom des gens fourmille d’idées, parler de la politique aujourd’hui, du racisme, du rapport gauche, droite face à l’histoire et l’origine de chacun, commencer par une biographie des deux protagonistes principaux, le héros qui parle avec lui-même jeune, les noms des personnages, la présence de Jospin, les images qui font super 8, d’autres sur des plateaux d’émission de télé ou radio, l’utilisation des voix off, etc. cette juxtaposition qui voudrait créer un joyeux bordel, au lieu de donner un rythme, une excitation crée de l’ennui parce que nous assistons à la mise en place d’intentions trop visibles, à un film qui affiche sa fantaisie sur un écriteau au lieu d’être réellement fantaisiste.
Par exemple, l’idée d’utiliser la sexualité comme arme politique pourrait être amusante, sauf que c’est affirmé dans le discours de Bahia jouée par Sara Forestier mais ce n’est pas mis en scène. Lorsque Arthur joué par Jacques Gamblin va coucher pour la première fois avec elle, il compare en voix off ses sensations à une explosion atomique mais le dire, le signifier ainsi masque l’incapacité de Michel Leclerc à le filmer, aucune émotion n’émerge, on voit Sara Forestier nue souvent pour illustrer sa liberté, sa joie, etc, mais à aucun moment nous sommes dans la chair, à aucun moment nous la voyons baiser alors que le film est censé parler aussi de ça. La mise en scène évite les embuches, reste sage, utilise le corps comme une jolie image, son habillage et son déshabillage comme une astuce de scénario, cette mise à distance est symbolique du film, on aborde des choses fondamentales mais la pruderie de l’ensemble fait qu’on n’ose rarement s’en approcher réellement.
Les scènes les plus réussies sont les plus casse gueule, celles où enfin on sent qu’il y a une prise de risque, ainsi celles sur le passé de déporté des grands parents, la scène du repas où le sujet est tabou et où Bahia n’utilise, sans le faire exprès, que des mots qui peuvent évoquer les camps d’extermination, ces passages sont plus intéressants que ceux dans l’appartement des parents de Bahia où se croisent tous les voisins de toutes origines pour parler librement de politique, ce qu’on nous dit alors est martelé, que les personnes d’origine immigrées ne constituent pas un bloc monolithique avec une seule vision du monde comme on voudrait nous le faire croire en ces périodes de droite décomplexée triomphante, sauf qu’exposer ainsi, on ne font guère autre chose que conforter les spectateurs dans l’assurance d’être du bon côté.
Pour ne pas froisser ces spectateurs de gauche, on parle de politique mais finalement assez peu des questions sociales, le film est contre le communautarisme, soit, contre le racisme, tant mieux, pour la bâtardise généralisée, on adhère, mais ensuite, c’est juste ça être de gauche ? parler de prolétariat, de lutte des classes, ça devient plus compliqué, pour plaire à une gauche qui est aujourd’hui finalement plus sur des questions morales que sur des questions réellement politiques comme les inégalités sociales et les violences qui en découlent.
Plus gênant encore, c’est un film qui assigne les personnages alors que son discours étendard est à l’opposé, l’immigré ouvrier, artiste contrarié et toujours prêt à aider, la gauchiste baba cool illuminée, le père coincé qui n’ose pas parler des choses importantes, la métisse libre dans son corps, tout le monde est à sa place, a son caractère défini en quelques lignes lors d’une séance de scénario et basta ! On sait qui ils sont et chacun joue sa partition, ces caractérisations faites pour être surprenantes sont données dès le départ et bougent peu ensuite, elles provoquent une impression de surplace. La relation centrale entre Bahia et Arthur en pâtit, une fille libérée qui couche que le premier soir avec un jospiniste coincé, rien d’autre ne fait vivre cette histoire, rien ne permet de sentir pourquoi cette fille serait intéressée par cette homme, c’est une histoire basée sur des trucs de scénario mais qui n’existe pas d’un point de vu émotionnel, elle est illustrée mais n’est pas regardée par le metteur en scène. Si certaines scènes touchent quand même, essentiellement celles avec la mère du héros, elles ont tellement été construites dans ce but là qu’on s’en veut d’être ému, on voit les ficelles utilisées, on voit la manipulation.
Un film qui veut défendre la vie, la joie, le sexe comme solution politique mais qui manque singulièrement de vie parce que trop corseté dans son projet initial.
Le Nom des gens de Michel Leclerc, France, 2010 avec Sara Forestier, Jacques Gamblin, Zinedine Soualem, Michèle Moretti…

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