Un chien qui se fait trancher la gorge
Le générique annonce que Pietà est le 18ème film de Kim Ki-duk, un cinéaste que je ne connais que de réputation. 1h40 après, une fois la purge finie, je ne peux que plaindre ceux qui ont vu toute sa filmographie. Rarement un film ne m’a paru d’une telle nullité, et pourtant il a reçu le Lion d’or à Venise.
Donc un homme travaille pour un usurier, il estropie ceux qui ne peuvent le rembourser (avec de nombreuses scènes où des parties de corps sont écrasées par des machines, attention : symbole !), une femme se fait passer pour la mère de cet homme pour l’approcher, le soumettre et ainsi venger son fils. On apprend que cet homme sadique et abandonné a un petit cœur qui bat, que la soumission à l’argent, c’est mal, que l’amour peut sauver les hommes. On pourrait faire une bonne histoire avec ça si tout n’était pas si lourd, répétitif, à la fois sentencieux et stupide.
Les acteurs sont dans la pose, en font des tonnes, sont tous aussi mauvais les uns que les autres. La mise en scène n’a pas de sens, Kim Ki-duk semble ne jamais savoir où mettre sa caméra, de temps en temps pour faire croire qu’il a un style, il fait une contre-plongée (règle de base : toujours se méfier des cinéastes qui abusent des plongées et contre-plongées), beaucoup de gros plans, des images qui se veulent décalées, le héros filmé assis et on voit seulement ses jambes pliés, beaucoup de plans dans des couloirs, des escaliers, pour structurer l’espace facilement, un montage lourdingue, une lumière très laide, on ne peut vraiment rien sauver. Le filmage vidéo à l’arrache devient une sorte d’alibi pour filmer encore plus mal qu’une obscure série Z, avec en plus une grande prétention auteuriste (déjà ce titre, Pietà, il faut oser).
Ça pourrait être du grand n’importe quoi vaguement barré mais moralement, c’est indéfendable. Ça commence par des images chocs, un type qui se suicide, le héros qui se masturbe dans son lit puis on voit un couple qui a des crédits à rembourser, qui se mettent à baiser, excités par la peur, à ce moment là on se dit que ça va être un film subtil, on n’est pas déçu.
Mais comment peut-on tourner cette scène ou un homme se fait humilier par le héros, reçoit des claques alors que sa mère est présente, elle crie et pleure, comment peut-on décider de la filmer avec de petits soubresauts de caméra comme si nous prenions les claques nous-mêmes ? Comment peut-on filmer cette mèche de cheveux qui reste sur la chaîne après le suicide du fils (il faudrait que le cinéaste recopie cent fois l’article de Rivette sur Kapo) ? Comment peut-on filmer ainsi en gros plan l’urine d’un handicapé sur sa chaise roulante qui pisse de peur ? On pourrait parler aussi de la façon de filmer en plongée comme un insecte apeuré un homme qui vient de se prendre un coup de couteau, on pourrait aussi écrire sur cette scène de viol qu’on pense incestueuse, cette insistance pour mettre mal à l’aise… L’abjection est là, pas dans ce qui est montré mais dans le regard du cinéaste, dans son œil. Partir de la fange, faire le chemin de la cruauté à la rédemption, pourquoi pas ? mais pour cela il faut avoir un regard, une vision humaine qui élève, là le regard est un regard qui abaisse, qui avilit ceux qui sont filmés (cette humanité vue uniquement comme imbécile ou grimaçante) et qui avilit le spectateur qui endure ça, qui se sent complice. La distance est grande entre la compassion ou la révolte et la pure complaisance dans laquelle baigne ce film.
On sait ce que les défenseurs de ce genre de cinéma peuvent en dire : que c’est un cinéma qui bouscule, qui fait réagir, qui n’est pas tiède, un cinéaste qui fait des films « chocs », rentre dedans comme si ça suffisait, comme si ça justifiait tout. Répétons qu’il n’y a rien de plus facile que de provoquer, que c’est à la portée du premier petit malin venu, filmer des scènes violentes, crues, filmer un viol, l’inceste, la scatologie et n’avoir rien à en dire, regarder tout ça et mettre une petite morale à la fin, dire ensuite que c’est un film sur la vie, la mort, le capitalisme, peu importe du moment que l’on tombe dans le panneau comme l’a fait le jury du dernier festival de Venise (comment ont-ils pu ?)… la complexité est de faire quelque chose de ce matériel boueux, Kim Ki-duk en semble incapable.
On imagine ce que peut faire un cinéaste comme David Cronenberg de ce type de sujet, il pourrait partir de ce thème sans en cacher la violence pour en faire un film perturbant et vibrant parce que c’est un artiste, parce qu’il a quelque chose à dire sur ce que c’est de vivre dans ce monde, parce qu’il sait filmer un corps, que celui-ci soit violenté, blessé ou caressé. Rappelons pour finir ce que David Cronenberg disait dans un entretien avec Serge Grünberg (aux Éditions Cahier du cinéma) « Je sais donc que je peux facilement choquer les gens avec un de mes films, obtenir une réaction très forte, mais ça ne veut pas dire grand chose. Vous savez, il suffit de montrer à l’écran un chien qui se fait trancher la gorge et des tas de personnes vont devenir folles. Mais enfin, est-ce qu’on peut en être fier ? Je ne peux donc me bercer de l’illusion que le simple fait de mettre les gens mal à l’aise justifie le film. Peut-être un petit peu, à un certain niveau, mais je n’ai jamais fait de films pour choquer les gens. »
Pietà de Kim Ki-duk, 2013, Corée du Sud avec Lee Jung-Jin, Min-soo Jo…
Effectivement déçu par son dernier opus, votre critique est parfois juste mais cette phrase « je ne peux que plaindre ceux qui ont vu toute sa filmographie » est franchement à côté. Je vous assure, il a été possible de passer de grands moments avec ce cinéaste.
Faites en une approche différente avec printemps, été, automne, hiver .. printemps.
Cordialement
Merci du conseil pour « printemps, été, automne, hiver… printemps ». J’ose espérer que si Kim Ki-duk est apprécié par certains cinéphiles, c’est qu’il a dû faire de meilleurs films que ce Pietà.
Cordialement.
Ne pas généraliser à partir de ce film.
Ces dernières semaines, j’ai découvert un des précédent, Locataires, datant de 2004, et je l’ai apprécié au point de le voir deux fois et d’aller voir Pieta malgré les critiques négatives…
J’ai eu tort certes, mais de là à tout jeter: Non !
D’autre part, faire la liste des « comment peut-on tourner telle ou telle scène » pour convaincre du cynisme ou de la « putasserie » du réalisateur relève d’un argumentaire très très subjectif.
A propos d’urine, comment a-t-on pu tourner le tout début de Ridicule ?
Comment a-t-on pu tourner la scène de torture de Django dans Django Unchained ? Ou, toujours dans Django, celles d’esclaves fouettés ?
Le cinéma ne manque vraiment pas de scènes ignobles que l’on peut forcément accuser d’être racoleuses.
Discuter sur l’insistance avec laquelle elles sont filmées et montrées et qui correspondrait au degré de cynisme ou de putasserie du réalisateur me semble relever de la plus pure subjectivité.
Parce que Kim ne nous épargne rien il serait ignoble tandis que Sir Alfred qui se débrouille pour ne rien montrer mais nous faire croire que l’on a tout vu serait un génie d’une grande moralité ?
Un meurtre est un meurtre.
Ce qui fait le manque d’intérêt de Pieta est la vacuité de son sens.
Ces images qui s’enchaînent ne mènent à rien. Elles ne sont le prétexte à rien de positif, de constructif, de satisfaisant pour l’esprit ou le cœur.
C’est pour cela que l’on peut être en colère après le visionnement d’un tel film : nous avoir montré des horreurs sans un prétexte intellectuel ou moral, avoir fait de nous de purs voyeurs. C’est vexant !
Pour ma part j’ai quitté la salle bien avant la fin.
Mais je n’avais pas dans la bouche un goût plus amer qu’après avoir vu Pulp Fiction…
Je suis d’accord avec vous, j’aurais pu expliciter plus, je citais la scène du gros plan sur l’urine de handicapé mais c’est effectivement la façon de le filmer et le fait de ne rien en dire qui importe, c’est ça qui rend la scène abjecte, elle n’a pas de sens à part celui de provoquer, de dire « regardez ce que j’ose faire »
Après, tout est subjectivité…
Je me souviens d’une très belle scène de J’embrasse pas de Téchiné, où d’après mes souvenirs, Emmanuelle Béart et Manuel Blanc incarnent des prostitués, ils sont tous les deux arrêtés par les flics, en attente au commissariat, elle se pisse dessus, elle pourrait être humiliée, mais l’amour et la solidarité de Manuel Blanc, le geste qu’il a envers elle, et le regard de Téchiné sur ces personnages transforment cette scène qui pourrait être obscène en un moment d’humanité très fort.
Je n’ai pas lu… que les premières lignes…. (J’évite de lire les critiques…) Cela dit, je suis peut-être d’accord : je ne l’ai guère aimé non plus !
Pourtant Kim Ki-duk est un de mes cinéastes favoris !
Je conseille à la place… non pas Printemps, été, etc. mais Bad Guy, Locataires, Adresse inconnue… ou peut-être encore mieux ses premiers, indisponible en DVD mais que j’avais pu télécharger : Crocodile, Birdcage Inn ou même le décrié Wild Animals, son film le plus fou. (Attention : Tous ces films, sauf Locataires, sont très violents ou plutôt agressifs…)