Morceaux Choisis : Last Days / The Bling Ring

The-bling-ring-01Last days, de Gus Van Sant

En 2005, Gus Van Sant bouclait avec Last Days une trilogie magistrale consacrée à la jeunesse américaine. Dans ce portrait à peine déguisé des derniers jours de Kurt Cobain, il filmait les ultimes soubresauts du mouvement grunge, pleinement conscient de sa récupération par à peu près tout ce qu’il entendait foutre en l’air. Au delà du discours, le film est d’une beauté renversante grâce à des parti-pris artistiques audacieux, comme celui d’illustrer les derniers jours d’une icône rock avec de la musique contemporaine. Un plan en particulier résume la démarche du réalisateur. Blake (Michael Pitt), entre dans le studio d’enregistrement de sa luxueuse propriété. La caméra, placée à l’extérieur du bâtiment, face à la baie vitrée, va capter une improvisation du personnage / acteur. Pitt – lui-même musicien – passe tour à tour derrière la guitare, le micro, la batterie, scandant des phrases musicales qui, par le truchement des boucles, finit par devenir un morceau cohérent. Le plan subjugue, par sa longueur et par son apparente fixité. Jusqu’à ce que le spectateur se rende compte que la caméra zoome de manière quasi-imperceptible vers la maison. Pourtant, l’essentiel du mouvement est créé par les déplacement rageurs du personnage, comme emprisonné dans les limites du cadre. Mais il est également insufflé par les boucles musicales qui suivent leur créateur comme autant d’échos et brouillent nos sens. Le plan devient alors une véritable installation dont le filmage ne serait qu’une composante parmi d’autres. Une habile métaphore de la situation du réalisateur, partagé entre classicisme hollywoodien et expérimentations formelles.

Last days de Gus Van Sant, EU, 2005 avec Michael Pitt, Asia Argento, Lukas Haas…


The bling ring
, de Sofia Coppola

Huit années ont passé. Gus Van Sant n’a jamais retrouvé la virtuosité de Last Days – même si Promised Land est une des belle surprise de ce début d’année. La société américaine se complaît dans le conformisme et manque cruellement d’ambitions. La télé-réalité a transformé la banalité du quotidien en climax, fabriquant au passage de nouvelles idoles prêtes à toutes les bassesses pour s’assurer leur quart d’heure de gloire. Alors qu’on admirait le travail des stars en fantasmant sur leurs caprices, on érige aujourd’hui les mondanités et les frasques des people en performance artistique. Et au milieu de tout cela, la jeunesse continue de s’auto-détruire dans un ennui et un désœuvrement qui font peine à voir. Justement, la réalisatrice de The bling ring n’a jamais cessé de construire son cinéma sur l’ennui et le désœuvrement, traités tour à tour comme une maladie – Virgin Suicide (1999) –, un remède – Lost in translation (2003) –, une malédiction – Marie-Antoinette (2006) – ou une constante sociétale – Somewhere (2010). Et son dernier film ne parle que de ça. A Los Angeles, des lycéens friqués s’amusent à cambrioler les maisons des personnalités qu’ils admirent (Paris Hilton, Lindsey Lohan, etc.). Passionnés de mode et de faits-divers, l’argent qu’ils récoltent au passage sera toujours secondaire par rapport aux trophées qu’ils dérobent et collectionnent religieusement. Surtout, c’est en prenant possession du lieu de vie de leurs victimes ou en reproduisant leurs frasques judiciaires qu’ils ont l’impression de donner un sens à leur existence dramatiquement vide. Si le personnage de Blake dans Last Days avait pleinement conscience du caractère auto-destructeur de sa démarche, la jeunesse dorée de The bling ring ne mesure jamais la portée ses actes. Autres temps, autres mœurs, autre culture. Pourquoi mettre ces deux films en parallèles ? Parce que le plus beau plan du film de Sofia Coppola fait écho à celui de Gus Van Sant évoqué plus haut : Extérieur, nuit. Dans le cadre, une maison de star toute en baies vitrées. La caméra est fixe. Rebecca et Marc investissent les lieux et visitent méthodiquement les pièce l’une après l’autre. Pas de musique d’accompagnement, juste les bruits de la nuit et celui, plus lointain, de la circulation – nous sommes dans une zone résidentielle, sur les collines. Cette ambiance sonore contraste avec le reste du film, où la musique est omniprésente. On se rend compte alors que la caméra n’est pas immobile, mais qu’elle zoome très lentement sur la maison. Les déplacements successifs des protagonistes renvoient aux boucles musicales de Blake, mais si les séquences du musicien s’ajoutaient les unes aux autres pour composer un ensemble, chaque pièce visitée par les deux cambrioleurs est immédiatement abandonnée pour la suivante. Lorsque le couple quittera la maison, elle retournera à son point de départ, un espace vide, où il ne restera aucune empreinte de leur passage. Leur action n’existe que dans l’immédiateté. En reprenant sciemment le dispositif formel de Gus Van Sant, Sofia Coppola met en lumière les changements sociétaux opérés depuis une dizaine d’années, tout en évitant comme son aîné de porter un jugement sur cette jeunesse qui la fascine.
L’accueil réservé à The bling ring a été plutôt froid. On a étrangement reproché à la réalisatrice les fondements mêmes de son cinéma : son désintérêt flagrant pour le trépident et le spectaculaire au profit d’une fascination quasi-obsessionnelle pour l’arythmie et la durée. Et c’est bien là que résident la pertinence de son regard et la singularité de son travail. En prenant le temps de filmer les vides et les creux de ses personnages, elle leur donne la possibilité d’exister en dehors des attentes balisées du spectateur. Et de nos jours, c’est une qualité rare.

The bling ring de Sofia Coppola, EU, 2013 avec Katie Chang, Israel Broussard, Emma Watson…

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