The Fits d’Anna Rose Holmer

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Dès les premiers plans de The Fits, on comprend qu’on assiste à la naissance d’une nouvelle cinéaste qui va devenir importante.
L’histoire paraît simple, une fille (Toni incarnée avec intensité par Royalty Hightower) s’entraîne à la boxe dans un centre sportif avec son frère mais veut intégrer un groupe de danseuses qui répète dans une autre salle. Est-ce qu’elle va réussir à s’adapter, est-ce qu’elle va devoir quitter la complicité qu’elle partage avec son frère, on présuppose un récit d’initiation, ça pourrait être le sujet du film, c’est un peu ça mais ce n’est pas vraiment ça parce que justement ce n’est pas un film à sujet et heureusement. On est plutôt en empathie avec une héroïne qui observe un nouveau terrain de jeu, qui observe les autres filles et aussi son propre comportement par rapport à elles, comment elle s’approprie un nouvel espace, des nouveaux codes et comment son corps rentre en interaction avec cet espace et ces codes. Mais là aussi, la cinéaste ne donne pas toutes les clés, on ne sait pas trop si elle s’adapte ou reste extérieur, ou si elle explore sa propre voie.
Nous sommes dans une bulle, les parents restent en retrait, l’aspect social apparaît en filigrane.
La cinéaste ouvre de nombreuses pistes d’interprétations possibles (est-ce que c’est un film sur la séparation genrée, sur l’appartenance à un groupe, sur les rituels de passage, la cinéaste ne tranche pas) tout en étant très physique, très ancré dans des lieux (une salle de sport, une cité), dans des pratiques (la boxe, la danse avec à chaque fois une précision dans les gestes et leur captation), surtout elle est au plus proche de son héroïne, on ressent les choses à sa hauteur. Il y a une sûreté dans le regard d’Anna Rose Holmer, elle impose très vite une respiration personnelle, une fluidité, elle prend le temps de filmer l’inscription des corps dans l’espace, de filmer les regards, la peau, le trouble, les interrogations, il y a peu de dialogues, on est tout de suite au plus près de Toni et on ne va plus la lâcher. Et les événements étranges qui vont apparaître résonnent avec le sentiment d’étrangeté que Toni ressent face à un nouvel univers, ce nouveau ring qu’elle va explorer.
La cinéaste échappe à l’exercice de style par le regard attentif qu’elle porte sur ceux et celles qu’elle filme. Elle insuffle une force, un souffle, une énergie à ces personnages (et aussi à nous, spectateurs) et les plus beaux moments sont ceux où les corps se libèrent comme dans la danse finale magnifique (et casse-gueule par sa soudaine magie) ou dans cette visite du centre sportif la nuit par Toni et Beezy habillées d’uniformes scintillants. Le travail sur le rythme, sur la pulsation est impressionnant. Le film alterne des moments de stase avec de brusques accélérations comme ces plans en légère contre-plongée qui semblent aspirer par les corps qui se mettent soudainement en mouvement, comme si on avait un léger retard sur eux avant de les rattraper. La réalisatrice suit le tempo d’un entraînement, entre moments de détente, de repos et moments où l’on agit, danse, répète, les danseuses répètent les pas comme la cinéaste répète des motifs, revient sur les mêmes endroits, un pont, la façade d’un immeuble, un escalier, là aussi, on est dans l’épure, pas besoin de grand-chose pour faire exister ces lieux. L’ensemble peut paraître minimaliste mais ouvre tellement de lignes de fuite qu’on ressent une densité à chaque instant.
On peut l’affirmer ici, Anna Rose Holmer va devenir une grande cinéaste, de celles dont on va attendre les prochaines propositions avec impatience et curiosité.
The Fits d’Anna Rose Holmer, 2016, EU avec Royalty Hightower, Alexis Neblett, Da’Sean Minor…

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