Summer d’Alanté Kavaïté

summerLa tendresse du regard

Une histoire d’une grande simplicité, deux adolescentes, une bourgeoise et dépressive, Sangaïlé, une plus pauvre et solaire, Austé (jouées respectivement par Julija Steponaityte et Aistė Diržiūtė, toutes deux impressionnantes de présence) qui lors d’un été vont vivre une histoire d’amour qui va permettre à la première de se libérer de nombreuses angoisses. Ça pourrait être simpliste comme opposition mais celle-ci importe peu, on est loin d’un film ancré dans une réalité sociale qu’un certain grand public appelle de ses vœux, non, Alanté Kavaïté fait du cinéma et prend ainsi un canevas classique pour le déconstruire et s’intéresser essentiellement aux émotions.
On pourrait craindre seulement un film de photographe en écho au personnage de photographe d’Austé, avec ce travail sur la lumière, la perspective, ces couchés de soleil, ces contre-jours, et ça l’est parfois un peu trop mais cette beauté des plans n’écrase jamais les actrices et ce qui se passe entre elles. Dans ces plans très construits, elles donnent à voir un frémissement permanent.
L’histoire est réduite à quelques traits pour laisser place à une mise en scène qui marche par rimes poétiques, par un montage qui travaille sur la sensation, par des très gros plans soudains sur la peau, par des tremblements, par le son parfois en décalage avec l’image, etc.
Plus qu’à un rapport riche/moins riche on assiste à un apprivoisement, Austé choisit Sangaïlé dès qu’elle la voit et elle l’apprivoise non pas pour la manipuler, pour la dominer mais par amour, pour la protéger et la sauver. Comme on apprivoise un chaton sauvage avec patience et tendresse. Et c’est ce qui intéresse Alanté Kavaïté, les gestes d’approche, l’attente, le désir, l’excitation, le relâchement, etc. comme cela passe de l’une à l’autre et comment la déflagration amoureuse les emporte.
Par exemple la scène de la prise de mesure pour un vêtement pourrait être juste théorique, comment l’une prend la mesure de l’autre, mais l’effleurement et la tendresse dont fait preuve Austé est surtout bouleversante, ainsi quand elle découvre les scarifications de Sangaïlé mais ne dit rien pour ne pas la brusquer et continue à la regarder avec la même tendresse, et par la même acquiert sa confiance.
Il y a de nombreuses idées de cinéma, mais ce ne sont pas des idées pour faire des effets mais pour se rapprocher du cœur du film, de son tempo, le tout a une grande cohérence. Elle fait toujours le pari de la mise en scène, de dire les choses par le montage, le mouvement de caméra, la profondeur de champ, très rarement par le discours, c’est un film où on parle très peu, et qu’on en parle, on va très vite au but.
De même dans la scène où les deux héroïnes font l’amour sur des robes incandescentes, ça pourrait juste être jolie mais l’artifice féerique renforce la force sexuelle de la scène, à l’inverse d’un Abdellatif Kechiche échouant dans La Vie d’Adèle à rendre vivante la scène d’amour centrale par sa trop grande volonté de réalisme qui rend paradoxalement la scène artificielle, ici, la cinéaste jette le naturalisme aux oubliettes et l’onirisme dont elle fait preuve décuple l’émotion qui naît de ces échanges.
On pourrait décrire de nombreuses autres scènes puissantes, des retrouvailles dans un champ de myrtilles, le déséquilibre sur un toit de Sangaïlé avant qu’Austé n’arrive pour la soutenir, la scène dans la cuisine après une séparation où Austé ressemble à une geisha enfarinée, etc.
Bien sûr, Alanté Kavaïté tente beaucoup de choses et c’est parfois un peu trop symbolique (l’élévation, le passage à l’age adulte, le vertige de la vie, etc.) mais les quelques défauts n’enlèvent rien à la puissance sensuelle et esthétique de ce film…
Le rôle de la photographe est une métaphore du cinéma, Austé regarde Sangaïlé comme la réalisatrice, et nous à travers elle, regarde ces corps, ces mouvements, ce qui se passe à l’intérieur. Le cinéma pour Alanté Kavaïté, c’est être attentive à ceux et celles qu’elle filme. Et elle le fait magnifiquement.
Summer d’Alanté Kavaïté, Lituanie, France, 2015 avec Julija Steponaityte, Aistė Diržiūtė, Jūratė Sodytė…

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