Une délicate détresse
Damsels in distress se passe presque entièrement sur un campus étasunien avec ses associations, ses fraternités, un groupe de filles qui s’occupent d’une association pour prévenir les suicides dissertent sur la vie, l’amour, etc. Tout paraît familier mais tout est décalé, les héroïnes essaient d’empêcher les suicides grâce à des donut ou des savons, des étudiants qui se forment au métier d’enseignant ratent leur suicide en sautant du premier étage de leur université, un étudiant cinéphile converti au catharisme ne pratique que la sodomie pour être conforme avec sa religion, un autre ne sait pas reconnaître les couleurs parce que ses parents élitistes lui ont fait sauter les classes où il aurait dû les apprendre.
On pourrait être dans une comédie mais le cinéaste ne cherche pas le gag, il cherche l’absurde, les personnages ne cessent d’échafauder des théories, les discussions s’enchainent sans avoir vraiment de sens évident. Le ton est léger alors que le fond est sombre, les héroïnes regardent ce qui les entourent avec détachement comme blasées, trop lucides sur ce qui les attend dans la vie. Il faut beaucoup de talent aux actrices pour rendre émouvantes ces étudiantes absentes à elles-mêmes. La mise en scène fluide et élégante caresse ces visages en douceur.
Ce qui intéresse le cinéaste c’est de créer un monde irréel, le film paraît intemporel, il a gommé tous les signes de modernités (écrans, téléphones, etc.), les tenues pourraient dater des années 60, voir être plus anciennes, nous sommes dans un lieu clos qui apparaît comme un éden, ainsi lorsque Violet (incarnée par Greta Gerwig, déjà impressionnante dans le Greenberg de Noah Baumbach) s’échappe du campus, un plan la montre descendre un escalier qui s’enfonce sous terre, puis un plan la montre remonter cette escalier avant le retour au campus, l’ailleurs n’existe pas vraiment. La luminosité et les couleurs vives du film renforcent cette impression paradisiaque.
Ce lieu clos n’est pas un espace réel c’est un espace mental, l’espace de la cinéphilie, le titre du film emprunte celui d’un film de George Stevens avec Fred Astaire, deux personnages s’embrassent devant Baisers volés de Truffaut, on y parle de la nouvelle vague mais on pense aussi aux comédies musicales de Demy, de Minelli… Le film s’inscrit aussi parmi une famille de cinéastes contemporains comme Wes Anderson qui partage son dandysme, la même minutie dans la composition des plans et cet humour déceptif très particulier, ces étudiantes, qui marchent dans leur robe claire, baignées de soleil, rappellent les sœurs de Virgin Suicides (avec le thème du suicide abordé d’un autre angle) de Sofia Coppola, on peut retrouver le Kaboom de Gregg Araki… On pourrait parler d’une famille de cinéastes pop, qu’on retrouve en France dans le Mods de Serge Bozon. Ces films ont en commun le même regard délicat sur des personnages en inadéquation avec la société, qui ne se révoltent pas et cherchent à créer leur propre univers à côté en assistant à la décadence du monde.
Toutes ces références ne sont pas là pour donner des signes de reconnaissance aux cinéphiles, elles sont le sujet du film, face à l’ennui, à la tristesse, le cinéma est le lieu qui permet d’accepter de vivre, qui permet de respirer, de s’échapper, Violet parle des claquettes comme du meilleur moyen pour sortir de la dépression, on peut voir cela comme la métaphore du cinéma pour Whit Stillman. C’est pourquoi ces scènes de comédie musicale qui clôturent le film sont particulièrement émouvantes, elles sont le moyen de s’extraire de la pesanteur des choses.
Damsels in distress de Whit Stillman, EU, 2012 avec Greta Gerwig, Analeigh Tipton, Carrie MacLemore, Megalyn Echikunwoke…
Tu parles d’un « monde irréel » créé par le réalisateur, j’aurais presque dis surréaliste, tant il nous emmène dans un univers poétique où ses personnages tentent de changer la vie, de l’embellir. Le début du film parait presque classique, comme si le réalisateur ne voulait pas nous bousculer tout de suite mais nous introduir subtilement dans son unviers absurde et décalé jusqu’au point final du film : la comédie musicale. C’est parfaitement mené et jamais ridicule, filmé avec légereté. Il pose un filtre sur l’aburdité de cette vie, les deux coéxistent, je suis bien d’accord avec lui! Et avec toi aussi pour le coup!