L’amour de l’échec
Voir Happy Few quelques mois après sa sortie, c’est le voir après que le brouhaha soit passé, le voir en sachant que ça parle d’échangisme, qu’on y fait l’amour dans la farine, le voir en se souvenant des critiques jugeant le film raté, sociologique, artificiel, bourgeois.
Et effectivement, ça se présente comme un film à thèse, ce qui aurait tendance à faire fuir, surtout qu’Anthony Cordier met en place son histoire avec des plans très signifiants sur des regards qui s’échangent sans arriver à montrer le trouble qui monte entre deux couples qui tombent amoureux l’un de l’autre, il veut nous amener au plus vite à son sujet et déroule lourdement un programme.
Dès qu’on arrive à comment se passe concrètement cet échange, comment on fait avec le corps, l’amour, la jalousie, etc., on reste dans le théorique, ce qui pourrait être rebutant et pourtant cela devient soudainement intéressant parce qu’Anthony Cordier semble surpris de l’audace de son sujet, il ne sait plus trop comment filmer tout ça, ne sait plus où il veut en venir et ce doute nourrit le film, cela se retrouve dans le jeu des acteurs, Marina Foïs, Elodie Bouchez, Roschdy Zem, Nicolas Duvauchelle, tous très biens, qui semblent douter eux aussi mais cela croise l’histoire, on ne sait s’ils doutent de ce qu’ils ont à jouer ou s’ils jouent les hésitations de ces personnes se retrouvant à explorer de nouveaux territoires amoureux et qui semblent confrontées à l’inconnu.
On assiste à un film en train de se faire, comme ses personnages, le cinéaste tâtonne, il se met à flâner, à sortir du cadre rigide qu’il avait installé, il filme des corps, la lumière sur un lac, un enfant qu’on transfère d’une voiture à l’autre, la joie dans les yeux, sur les visages face à l’excitation des possibles, on ne sait plus trop s’il a encore envie de clôturer son histoire, s’il ne découvre pas tout d’un coup que son scenario n’est pas si passionnant, il filme contre, il se met à accepter de filmer l’inutile avec douceur, et une des bonnes idées est d’avoir éviter le drame, la trop grande conflictualité.
C’est un film raté qui expose ses failles, ses maladresses, sa balourdise comme ce qui peut être touchant dans une histoire d’amour qui commence ou qui finit, les hésitations, la découverte de l’autre, lorsqu’une fragilité chez l’autre permet de se projeter et de l’aimer encore plus.
Happy Few de Antony Cordier, Fr, 2009 avec Marina Foïs, Nicolas Duvauchelle, Roschdy Zem, Elodie Bouchez…
J’aime beaucoup ce que vous faites, monsieur Baptiste.