Sans contrefaçon…
On peut prévoir que Céline Sciamma devienne un des grands auteurs du cinéma, c’est entendu. Dans Tomboy, la tenue des plans, leur durée, le travail sur le son, le travail sur le surcadrage dans l’appartement, est puissante sans chercher à en imposer, la nature, l’eau, les immeubles tout est magnifié en montrant ce qui est là, sans chercher à le transformer, à l’embellir, de même la captation de la peau, des mimiques, des inflexions de voix, des regards des acteurs est impressionnante. Certaines séquences ont une grande force émotionnelle comme celle où Mickaël attend dans le hall de l’appartement de sa copine Lisa, c’est très simple, mais on est au plus près des sentiments contradictoires, de la violence subie du personnage, ce n’est pas la seule séquence qui nous transporte, Céline Sciamma est toujours très juste dans sa mise en scène.
Ce qui est plus problématique, c’est la problématique. Je m’explique : lorsque son précédent film Naissance des pieuvres est sorti, j’avais la même réticence, il y a un sujet, l’éveil à la sexualité, le désir lesbien et le sujet devient le centre de la mise en scène. Le film Et toi t’es sur qui ? De Lola Doillon sorti à la même époque partageait avec Naissance des pieuvres le thème de l’adolescence, la relation amoureuse, mais si la mise en scène paraissait plus lâche, le sujet disparaissait pour qu’on puisse vraiment partager l’émotion des acteurs, on n’était plus dans l’analyse mais avec eux.
Dans Tomboy, on retrouve les mêmes travers, on y parle d’ identité sexuelle, d’un garçon qui a le corps d’une fille, elle aborde cela frontalement, ça pourrait être une qualité, mais cela est posé dans des scènes parfois explicatives, la couleur bleu ou la couleur rose, aux mâles joueurs de foot succède un plan de la petite sœur qui danse en tutu, comment faire si on se retrouve en maillot de bain, etc. plusieurs fois, on se dit qu’elle n’a pas besoin de ça, et on aimerait que le sujet soit inclus dans un ensemble plus vaste. Ainsi les moments les plus forts sont ceux de la relation amoureuse entre Mickaël et Lisa parce que ce qui se joue entre les actrices dépassent l’énoncé. Alors bien sûr, elle évite la dramatisation à outrance, le jeu de la petite sœur par exemple apporte une touche drôle et touchante, la famille est bien campée grâce à des acteurs qui ont une présence évidente (de la magnifique Zoé Héran aux parents incarnés par Mathieu Demy et Sophie Cattani)
Pour Arakki avec Kaboom, à l’image d’un Xavier Dolan, d’un Christophe Honoré… ces questions de genre ne sont plus le sujet central mais une donnée dans un récit, dans une imbrication de sentiments divers. Là le nœud dramatique, ce qui crée la tension est essentiellement est-ce que ça va se savoir ? est-ce que les autres vont découvrir son secret ? c’est intéressant d’un point de vue théorique, l’idée que c’est l’extérieur, la société qui crée un problème là où il n’y en pas, il s’appelle Mickaël et pourquoi pas ? Sauf qu’au niveau du déroulement du récit, elle en fait une question, un enjeu émotionnel et donc aussi un problème, et elle fait participer le spectateur à ce jeu là, vont-ils le découvrir, à quel moment, etc.
Bien sûr ces questions ne sont pas souvent traitées et c’est heureux que Céline Sciamma s’en empare, mais ce qui qui sera encore plus heureux, ce sera quand ces questions ne seront plus traitées comme telles mais comme une réalité dans un film qui parlera d’autre chose, d’amour, de relations, de famille, de la vie, de la tristesse, etc.
Un film important par sa mise en scène mais il me plairait de voir un film de Céline Sciamma où sans changer d’univers, sans cesser d’aborder ces questionnements, plus d’air passe, où elle ferait plus confiance à son regard (elle peut se le permettre) sans qu’elle sente la nécessité de se camoufler derrière une idée théorique.
Tomboy de Céline Sciamma, France, 2011 avec Zoé Héran, Malonn Lévana, Jeanne Disson, Sophie Cattani, Mathieu Demy
En te lisant, je comprends ta réticence. Et j’aimerais voir arriver un film qui aborde, entre autre chose, ce genre de sujet sans que ça ne soit « un effet dramatique ». Ici j’aime cette simplicité dans la mise en scène et dans le jeu des acteur-trices. J’ai beaucoup aimé le film.