Fighter de David O. Russell

On choisit pas sa famille

Honnêtement, je n’arrive pas à comprendre pourquoi la boxe passionne mes contemporains. L’idée de deux brutes se mettant sur la tronche pour qu’une bande de profiteurs s’en colle plein les fouilles à leur dépend me laisse perplexe. Autant les arts martiaux, je peux comprendre – l’idée sous-jacente d’élévation, la maîtrise de soi – autant la boxe anglaise me parait être, avec la télévision, le plus court chemin vers l’abrutissement des masses. Ceci posé, l’imagerie qui s’y rattache à quelque chose de fascinant. Sport des classes défavorisées par excellence, catalyseur de haine et de rage, école de vie aussi, des pulps du début du siècle au Rocky Balboa de Sylvester Stalone, la culture populaire américaine a toujours su mettre en parallèle le chemin de croix de ces gladiateurs modernes avec le parcours de tout un chacun dans les méandres de la vie. Et Fighter ne parle que de cela.
Issu des quartiers populaires de Boston, Micky Ward est un jeune boxeur dont la carrière ne décolle pas. Il est constamment dans l’ombre de son demi-frère Dicky à qui il doit sa passion pour le noble art, et qui a eu son heure de gloire des années plus tôt lors d’un combat pour le titre. Après un ultime plan foireux, il décide de couper les ponts avec sa manageuse de mère, castratrice en diable, et son entraîneur de frère, accro au crack et voyou pitoyable. Il pense ainsi pouvoir relancer sa carrière pendant qu’il lui reste une chance.
Dans le rôle du demi-frère survolté, Christian Bale livre une performance hallucinante et mérite amplement son Oscar. La même chose pour Melissa Leo, étonnante en matriarche azimutée. La mise en scène de David O. Russell, d’une sobriété exemplaire, mérite également notre attention. Sa caméra est toujours à la bonne distance, ni trop loin de ses personnages pour les affadir, ni trop près pour les étouffer – un grand merci au passage à Darren Aronofsky d’avoir laisser tomber le projet en cours de route. Le réalisateur esquive élégamment l’écueil des combats de boxe, faisant le choix de les filmer en vidéo à la manière de la chaine HBO dans les années 90, pour ce concentrer sur le véritable sujet du film : comment se construire quand tout ce qui vous entoure tend à vous étouffer. Dicky, le fils préféré, n’est jamais allé au bout de son rêve. Cet échec, il le cache derrière un moment de gloire illusoire, quand il a envoyé Sugar Ray Leonard au tapis. Jamais il n’est fait allusion à l’issue de ce match, et à la lente déchéance du boxeur. Pour ses proches, la vie de Richard Eklund s’était arrêtée à son « exploit », quitte à se voiler la face et refuser la triste réalité, la violence, la drogue, les coups foireux. Micky n’est pas mieux loti : sans arrêt comparé à son demi-frère, cela ne tourne pas souvent en sa faveur. Si il réussit, c’est grâce à Dicky ; si il se plante, c’est parce qu’il n’a pas écouté Dicky. Le personnage est incapable de prendre une décision par lui-même. Pas parce qu’il manque de caractère mais juste parce qu’il n’a jamais eu besoin de le faire au sein d’une famille sur-protectrice. Le clash attendu à lieu, encore une fois sous l’influence d’un tiers, sa petite amie Charlène : il « profite » de l’incarcération de son demi-frère pour couper le cordon et s’occuper de « sa » carrière. Rideau ? Trop facile : de son côté, Dicky se prend la réalité de sa déchéance en pleine face et décide lui aussi de se reprendre en main. Et Micky se rend compte qu’il a besoin de lui pour aller au bout de ce qui est devenu leur rêve commun, conquérir le titre de champion du monde. Sans la rédemption de son frère, Micky ne peut gagner. Le combat que Dicky mène en sortant de prison est encore plus beau que celui qui oppose son frère à Gatti à la fin du film. Lui doit affronter sa honte, le rejet de son frère, ses vieux démons, Charlène et surtout le regard de son fils.
Un mot enfin sur le montage du film. En 2005, Mark Wahlberg tombe sur le scénario et sait qu’il tient là le rôle de sa vie, au sens propre : l’histoire de Micky et Dicky, c’est la sienne et celle de son frère Donnie. L’acteur commence dès 2006 un entraînement intensif afin d’être crédible physiquement et techniquement. Aronofsky vient se greffer au projet en 2007, et c’est le début des galères : grève des scénaristes, crise financière, studio soudain réticent, défection du réalisateur en 2009, l’acteur continue malgré tout à s’entraîner chaque matin. Finalement, il contacte David O. Russell qui l’avait dirigé en 1999 dans l’excellent Les rois du désert, et la situation se débloque. Un sacré combat là aussi. Coup de chapeau donc à Mark Wahlberg pour sa ténacité et son intelligence : c’est lui qui a insisté pour que l’histoire de Micky soit racontée à travers son entourage, et que son personnage soit mis en retrait. Un grand monsieur.
Fighter
(The fighter), de David O. Russell, EU, 2010 avec Mark Wahlberg, Christian Bale, Melissa Leo

Un commentaire :

  1. Plutôt formel mais plutôt réussi. La prestation de C. Bale est à mettre en avant et sa récompense aux oscars fut méritée (enfin!).

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