La guerre des moutons
– Chérie, si on allait au ciné ce soir ?
– Voir quoi ? J’te préviens, j’ai pas envie de me prendre la tête !
– Je regarde le programme… Ah, c’est marrant, ils repassent La guerre des boutons ! c’est bien le film en noir et blanc avec le squelette ?
– Nan, ça c’est Les disparus de Saint-Agil, rien à voir ! La guerre des boutons, c’est avec P’tit Gibus, « si j’avais su j’aurai pas venu », les gosses qui se bagarrent tout nus…
– Ah d’accord ! Apparemment, ils l’ont ressorti, mais en couleur… Putain, elle est si vieille que ça, Mathilde Seigner ?
– T’es con, c’est pas le même film, ils l’ont refait ! J’te préviens, je veux pas voir ça !
– Moi non plus !
– Du coup, ils passent quoi dans la salle 2 ?
– Attends, je regarde… Ah merde ! La nouvelle guerre des boutons, avec Kad Merad… Euh, finalement je crois qu’on va pas aller au ciné ce soir…
En 1962, Yves Robert donnait sa version du roman écrit par Louis Pergaud au début du siècle dernier. Sans aucun doute le meilleur film d’un modeste artisan qui œuvra principalement dans le cinéma populaire. En le revoyant aujourd’hui, on ne peut s’empêcher de le rapprocher des Quatre cents coups, sorti trois années plus tôt. Si la mise en scène est quelconque, les thématique abordées renvoient directement au chef-d’œuvre de François Truffaut : le fossé abyssal qui sépare le monde de l’enfance de celui des adultes, et cette jeunesse en quête de liberté, asphyxiée par une société normative. Société urbaine pour Antoine Doinel, société rurale pour Lebrac, aussi castratrice l’une que l’autre. La violence, l’incompréhension, l’impuissance, rien n’était éludé dans la version d’Yves Robert. Le seul adulte qu’il sauvait, c’était l’instituteur dont on devinait implicitement un parcours identique à celui du jeune rebelle. Pas un monument du septième art, donc, mais un film honnête dont les dialogues savoureux sont passé à la postérité*.
Passons sur l’adaptation de Yann Samuell dont l’unique mérite est d’avoir tenté de couper l’herbe sous le pied de Christophe Barratier. C’est la version de ce dernier, n’en doutons pas, qui va emporter le morceau. Il faut dire que rien n’a été laissé au hasard. D’abord, on transpose l’histoire dans un cadre historique ultra-référencé : la seconde guerre mondiale. Plus précisément mars 1944, soit quelques mois avant la libération. Tout le monde connaît, la victoire est proche et c’est suffisamment vieux pour permettre d’arrondir les angles : les villageois sont tous de gentils résistants, et si le maire bois le coup avec les miliciens, il reste un collabo passif, donc excusable. Les vichystes sont soit d’horribles miliciens, tous jeunes**, soit des personnages caricaturaux dessinés à la hache, comme ce gardien de musée s’extasiant devant une statue grecque, donc forcement présenté comme un homosexuel refoulé. En tout cas, les méchants habitent tous en ville, et les gentils à la campagne. Pour enfoncer le clou, Barratier joue la carte « Anne Frank » en inventant Violette, jeune-fille juive cultivée qui se cache après avoir été séparée de ses parents, qui tient un journal, et tombe sous le charme de Lebrac. Là où le film d’Yves Robert ne tentait jamais de rapprocher les univers des enfants et des adultes – on se copiait, mais on gardait toujours ses distances – le réalisateur de l’indigeste Les choristes franchit allègrement le pas en mettant en parallèle la guerre des gosses et celle des grandes personnes. Ainsi, le père de Lebrac, brutal, vulgaire et haïssable au début, devient un héros le jour où son fils découvre qu’il est résistant ! Pire, il crée pour l’instituteur – insupportable Guillaume Canet – une romance parallèle à celle de Lebrac avec… la mercière qui a pris la jeune fille juive sous son aile ! Et évidement, enfants et adultes s’allient à la fin du film afin de permettre leur fuite au nez et à la barbe des miliciens… Ouf ! Sans oublier le post happy-end qui nous précise que si la jeune Violette ne retrouva jamais ses parents, elle revint quelques mois plus tard, à la libération, avec la mercière pour s’installer au village. Il ne manque que le carton : « tiré d’une histoire vraie »…
Passons rapidement sur la pudibonderie de cette version. Les enfants ne fument plus et ne se battent plus à poil, mais en sous-vêtements. C’est plus correct, il ne faut choquer personne. Passons sur certaines scènes dont le sens est purement et simplement inversé : En 1962, le drapeau blanc était hissé afin de soigner un animal blessé, ce à quoi s’employaient les enfants des deux villages. En 2011, les Velrans ignorent le symbole de paix et en profitent pour humilier Petit Gibus, les salauds. Plus grave encore que la simplification historique – rappelons que les derniers mois de l’occupation furent parmi les plus troubles de le seconde guerre mondiale –, le film fait preuve d’un révisionnisme cinématographique déplorable : en se référant au cinéma dît de qualité française, Barratier nie sciemment l’influence de la Nouvelle Vague qui illuminait le film d’Yves Robert. Même si il passe rapidement dessus, Yann Samuell a au moins situé sa version pendant la Guerre d’Algérie – qui hanta notamment le cinéma de Jacques Demy. La nouvelle guerre des boutons emprunte le courant nauséeux qui voudrait faire de la Nouvelle Vague un détail de l’histoire du cinéma, quelque chose dont il faut se débarrasser au profit d’un conformisme pantouflard et rassembleur. Et malheureusement, le public suit. Plus que jamais, il est essentiel de défendre des films comme Les bien-aimés, L’Apollonide et La guerre est déclarée qui proposent un cinéma moderne, complexe et surtout réaliste. La société va mal et le cinéma doit en offrir au spectateur une image juste. Pas lui mettre des œillères en lui murmurant à l’oreille que jusqu’ici, tout va bien, ou que c’était mieux avant.
*A noter que les deux productions ont demandé à la veuve du réalisateur le droit d’utiliser, entre autre, le mythique « si j’avais su, j’aurai pas venu » du Petit Gibus. Elle les aurait poliment rembarrés en leur suggérant d’inventer leurs propres dialogues…
**Toute similitude avec le quotidien décrit par le grand documentariste Jean-Pierre Pernaut à 13h sur TF1 serait fortuite, cela va de soi… Des gentils enfants ? Des gentils vieux ? Des méchants jeunes ? Nan, aucun rapport…
La nouvelle guerre des boutons de Christophe Barratier, France, 2011, avec Guillaume Canet, Lætitia Casta, Kad Merad, Gérard Jugnot
Les deux dans le même panier : sans moi !
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