À l’abri de la tempête
Un homme dans une banlieue pavillonnaire étasunienne rêve de tornades, de violences et ses rêves contaminent son quotidien. Un film tendu qui tient sur peu de choses, sur une économie de moyen, sur une ambiance ténue. Il ne cherche pas la dramatisation, le spectaculaire, ça pourrait basculer dans la terreur, la violence avec une montée de l’angoisse parallèle au développement de ce qui ressemble à de la folie mais le cinéaste choisit d’être dans un en deçà de ce qu’on pourrait attendre. Il est très précis sur les détails et joue sur de petites choses, sur l’incapacité pour le héros de séparer ses rêves de la sensation de réel qu’ils provoquent, avec une tension sous-jacente qui éclate rarement. L’angoisse vient plus de voir le personnage construire son abri pour se protéger de la tempête, sur le soin qu’il y apporte que des cauchemars en amont, le film jouant habilement de ce qu’on voit dans l’espace du rêve et dans ce qui s’élabore dans le réel. Ce sont ces allers-retours qui rendent le film captivant et le cinéaste travaille son film pour créer une ambiance cotonneuse (les voix souvent douces, le rythme lent, des plans fixes aux lumières contrastées, une musique minérale) qui ajoute à cette impression que la frontière entre le rêve et la réalité devient poreuse pour le spectateur comme pour le personnage.
La puissance de la mise en scène en est aussi sa limite, certains plans impressionnent, le film est plastiquement d’une grande beauté avec des effets numériques saisissants, les acteurs sont tous bons (ce qui se passe entre les membres de cette famille est assez fort) pourtant l’ensemble n’emporte pas totalement. Les thèmes de Take Shelter, ce personnage hébété face à des choses qui le dépassent, ce travail sur le sentiment d’étrangeté rappellent le cinéma de Night Shyamalan, mais à la différence de Jeff Nichols, Shyamalan ne refuse pas le spectacle, l’émotion et nous transporte parfois plus loin, parce que même si ses films ne sont pas toujours aboutis, Shyamalan semble croire en ce qu’il filme, il donne l’impression de croire au surnaturel, aux fantômes ou aux super-héros, il n’a pas peur du ridicule, du spectaculaire, de l’émotion, et s’il rate parfois, s’il ne semble pas toujours savoir où il va comme dans les beaux et bizarres Signes ou La jeune fille de l’eau, il surprend plus souvent, ses films sont plus barrés donc plus humains et par là plus excitants, Shyamalan continue de voir le cinéma comme quelque chose de magique alors que dans le film de Nichols on sent les intentions, l’idée de mise en scène qui précède tel ou tel plan, on perçoit comment le film est construit, quels sont les enjeux, c’est un film intéressant, intelligent mais qui reste froid parce que trop maitrisé.
Take Shelter de Jeff Nichols, EU, 2011 avec Michael Shannon, Jessica Chastain, Tova Stewart…