La pluie, le vent, la neige, tout ça.
Il y a quelque chose de « trop » dans les derniers films de Won Kar-wai, un montage qui enchaîne trop de plans, de ralentis, la musique omniprésente, des reflets, des transparences, des mouvements de caméra élégants, un train très très long… et ce dès le début, avec ce combat sous une pluie d’un gris métallique où le cinéaste joue sur la lumière, sur ce qu’on voit et sur ce qu’on ne voit pas, ne cherchant pas la clarté, la lisibilité de l’action, il nous perd dans le mouvement.
L’histoire suit la biographie d’Ip Man, un homme qui va devenir un grand maître du kung-fu, et croise des prétendants avec leur rivalité et leurs différentes techniques. Le film s’étale sur plusieurs époques, avant, pendant et après la seconde guerre mondiale. Won Kar-wai ne sait pas trop mener son histoire, qui est un peu explicative, sans véritable enjeu de scénario et manque de véritables tensions, il ne sait pas mener cette histoire ou plutôt ça ne semble pas l’intéresser réellement, il s’intéresse plus à comment filmer chaque scène.
Et tout d’un coup ce « trop » apparaît comme de la générosité, surtout que ça fait de très beaux moments, un enterrement magnifique au milieu d’un territoire enneigé, avec les vêtements blancs du deuil, les fanions qui sont soulevés pas le vent, la procession, le visage dur de Zhang Ziyi au milieu de visages pleurant… Très belle aussi est la scène de confidences entre Gong Er et Ip Man, ce champ contre-champ décalé par rapport à la parole de chacun, grâce aussi à la puissance de ses acteurs (Zhang Ziyi et Tony Leung) qui arrivent à faire vibrer des émotions tout en gardant un visage presque fixe… Le cinéaste montre qu’il sait filmer un simple dialogue aussi bien que le très beau combat entre ces personnages, tout en frôlement, en rapprochement, ou leurs deux corps en l’air pourraient presque s’embrasser.
Won Kar-wai est resté totalement fétichiste, il n’est pas redescendu depuis In the mood for love, il se passionne pour les vêtements, entre les robes de prostitués, les kimonos des maîtres de kung-fu, les uniformes des militaires japonais, les fourrures qui entourent le visage de Zhang Ziyi, il aime filmer les chaussons qui glissent sur le parquet, mais il fait quelque chose de ces étoffes, imaginées comme des peaux liés à l’époque, filmé aussi comme de la peau qui se déchire, comme ces vêtements lacérés qui laissent s’échapper des morceaux de tissu ressemblant à des viscères…
L’époque serait plutôt à l’épure, à la pose qui vire parfois à la toute puissance, à l’illusion de la maîtrise, du coup il y a quelque chose de joyeux dans ce trop plein, dans sa fougueuse énergie, le cinéaste rajoute de la chantilly sur la chantilly, c’est parfois écœurant mais ça flatte les sens. Alors oui, Won Kar-Wai n’est peut-être pas le grand maître (le Grandmaster) que ses premiers films semblaient annoncer et peut-être que c’est tant mieux, c’est juste un cinéaste qui aime se faire plaisir et nous donner du plaisir.
The Grandmaster de Wong Kar-wai, 2013, Chine avec Tony Leung, Zang Ziyi, Chang Chen…