Eden de Mia Hansen-Løve

edenA côté, tout proche.

Certains films ne se donnent pas d’emblée, il faut aller les chercher, Eden est de ceux-là, il semble se présenter comme la description d’une époque, les heures de gloire de la french touch vues par un DJ, Paul. On s’imagine qu’on va se retrouver immergé dans l’effervescence d’un mouvement artistique, suivre ses acteurs avec la musique, la nuit, les drogues, les rencontres, etc., bref un film sex, drugs and rock’n’roll ou le rock’n’roll serait remplacé par la musique garage qu’aime le héros. Tout est là et pourtant quelque chose cloche, rien n’accroche vraiment, le héros paraît palot, presque fade, son comparse DJ aussi. Ça commence avec des jeunes qui se plongent dans une nouvelle culture, une radio, des fanzines, on entre dans une rave, un vieux bâtiment, musique forte, stroboscopes qui emportent mais ça ne dure pas, l’inertie s’impose. On a l’impression d’être tenu à distance.
Le film parcourt une longue période de temps mais les scènes semblent se répéter, comme s’il n’y avait aucune progression, comme ces personnages dont la carrière ne décolle pas.
Par exemple, Mia Hansen-Løve filme presque toutes les raves de la même façon, de loin, d’au-dessus, avec des danseurs qui lèvent les bras, chantent les paroles, des spots lumineux sur eux, ces scènes paraissent interchangeables, presque pauvres stylistiquement. On pensait être emmené par cette pulsation et ce n’est pas le cas. L’entourage du héros semble absent (hormis le personnage d’Arnaud auquel Vincent Macaigne apporte un peu de légèreté), une bande d’amis qu’on voit par fragments, des personnages qui sont juste ébauchés avec leur vie hors-champ, il en est de même pour les femmes que croisent le héros, qui paraissent des faire-valoir, dont la présence ou l’absence n’a pas d’influence sur le cours des choses (avec des actrices qui ont pourtant d’emblée une présence particulière), à part Louise qui lutte pour exister aux yeux de Paul, pour partager quelque chose avec lui, incarnée avec force et combativité par Pauline Étienne. Tout paraît inhabité, désincarné dans un film volontairement de basse-intensité, peuplé de fantômes..
Nous sommes désemparés et comprenons le projet du film avec la deuxième partie, la chute du héros, confronté au renoncement, à l’échec et qui par miroir apporte du relief à l’histoire qui précède. Toute la première partie était comme un rêve cotonneux, que le héros a traversé sans être présent, à part la musique qui le fait vibrer, il n’a rien vu, rien compris à ce qu’il vivait. Il est ballotté, se drogue mais sans excès, s’enfonce dans des problèmes d’argent sans le vivre d’une façon dramatique, sans qu’il se rebelle. Le film est travaillé par la pulsion de mort, par la compulsion de répétition qui fait que la tension est absente, le héros la cherche mais ne la trouve pas, la répétition rend tout vide.
Ainsi c’est un portrait de quelqu’un qui n’est pas là, ni avec lui-même, ni avec les autres (on peut trouver des ressemblances avec le très beau Saint-Laurent de Bonello qui filmait aussi, avec des choix de mise en scène plus forts, le portrait d’un Yves Saint-Laurent en retrait du monde, comme un biopic en négatif).
Et la mise en scène suit ce chemin, elle est au plus près de Paul, elle voit le monde par lui. On comprend que le héros est une surface plane qui n’imprime rien, que les personnes (et en particulier les femmes) que le héros rencontre n’existent pas parce qu’il ne les voit pas, ne peut les rencontrer réellement, d’où le déchirement qui l’emporte dans une très belle scène où il se rend compte qu’il est à côté de la plaque.
On le sait, Mia Hansen-Løve aime faire des ellipses sèches, par blocs, sans scènes de transition, faisant confiance au rythme interne du film, elle utilise de nombreux jump-cut qui donnent l’impression d’un mouvement permanent, d’une grande fluidité mais sans aspérité, elle travaille beaucoup en creux, par petites touches, au risque parfois de l’insignifiance, avec quelque chose de très minimaliste dans sa mise en scène comme dans ses dialogues, très frontaux.
C’était casse-gueule d’aller autant sur un versant déceptif, de refuser ainsi l’intensité facile que le monde de la french touch aurait pu apporter, on s’en trouve dérouté et pourtant étrangement cela sédimente en nous, travaille et des jours après la vision du film, une douce mélancolie persiste.
Eden de Mia Hansen-Løve, France, 2014 avec Félix de Givry, Pauline Étienne, Hugo Conzelman, Vincent Macaigne…

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