Voyage sentimental
Ce film raconte l’histoire d’une femme, une assassin (pourquoi ce titre en anglais pour un film Taïwanais ?), qui a pour mission de tuer un ancien amour secret dans le 9ème siècle chinois.
Pour ceux qui pensent qu’un film, c’est avant tout une histoire, une histoire et une histoire, ils risquent d’être déçus, pour Hou Hsiao-Hsien, un film c’est avant tout un ensemble de sensations qui ne passent pas seulement par le déroulement efficace d’un récit.
La mise en scène joue sur ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, l’aspect vaporeux de l’histoire correspond ainsi à la construction des séquences. Par exemple ces combats dont l’issue n’est pas toujours évidente, il faut parfois un temps pour comprendre qui a gagné, ce qui s’est passé, l’important est le mouvement, un combat dans la forêt où les arbres cachent l’action, un autre qui est hors champ et dont on ne perçoit que le son des armes qui s’entre choquent. Il joue avec le genre wu xia pian, les combats sont là mais sont comme déstructurés, comme des esquisses, réduits à leur plus simple expression dans un geste minimaliste.
Une autre scène magnifique est celle au milieu de voiles et tissus transparents qui éclaircissent ou obscurcissent l’écran suivant le souffle du vent, avec une Shu Qi disparaissant et apparaissant dans le cadre, présence fantomatique qui correspond à ce personnage censé être une machine sans âme. Son jeu fait écho au film, très en retrait, elle observe, mutique et bon soldat, elle prend chair au fur et à mesure.
Le véritable sujet est la brume, qui correspond à l’état dans lequel se trouve l’héroïne, elle recouvre les lacs et les montagnes, elle est la fumée du feu, elle est partout jusqu’à cette brume magique et dangereuse, superbe apparition.
Les plans sont magnifiques, d’une étendue d’eau le matin d’où s’envolent des oiseaux, des extérieurs majestueux aux palais à l’architecture épurée. Le bruit sensuel du frottement des pas sur le bois, le souffle du feu (comme dans cette traversée d’un tunnel éclairée de torches dont le son de la flamme semble résonner sur la pierre), les multiples bruissements de la nature, le travail minutieux sur le son renforce la beauté sidérante de The Assassin.
Comme dans d’autres de ses films (en particulier Les Fleurs de Shanghai) le cinéaste cherche l’abstraction, la pureté du geste, la rime poétique plutôt que narrative. Le montage, le découpage, ainsi que le travail sur le flou, la profondeur de champ, ne cherchent pas la lisibilité mais le voyage sensitif.
Il faut accepter de se laisser emmener, porter et ne pas saisir l’ensemble, ne pas être dans la maîtrise, tout est fait pour qu’on se perde, l’important est de suivre le trajet de cet assassin qui va se laisser envahir par les sentiments, échouer à être celle qu’on attend et ainsi découvrir la vie.
La lutte politique, les enjeux semblent absurdes, vides de sens, l’héroïne assiste à cela et ne peut mener sa mission parce qu’elle refuse cette logique. Face à ces rituels, cette pesanteur politicienne et guerrière, le cinéaste fait appel à la vibration des sentiments et nous invite à changer de voie, à être à l’écoute du monde et de ses palpitations, comme le fait Nie Yin-niang à la fin de ce très beau film.
The Assassin de Hou Hsiao-Hsien, Taiwan, 2016 avec Shu Qi, Chang Chen, Yun Zhou…