Rester vertical d’Alain Guiraudie

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Un pas de côté

Rester vertical raconte l’histoire d’un scénariste qui a perdu son inspiration et se retrouve dans une impasse, il est permis de penser qu’on y trouve une part autobiographique. Rester vertical semble avoir été fait contre le film précédent d’Alain Guiraudie, le très beau et puissant L’inconnu du lac, film d’une grande maîtrise formelle liant le désir et la mort autour d’un lac qui devient un espace confiné et étouffant avec un jeu impressionnant sur la répétition. Alain Guiraudie, après ce film majeur, ne pouvait que se trouver dans une situation délicate, refaire le même film ou retourner à ses films précédents, plus foutraques et fantaisistes avec toujours des éclats magiques, il semble avoir décidé de se mettre en danger, de remettre son inspiration en jeu.
Ainsi on suit Léo qui ne semble savoir où il va et on a l’impression de regarder un film qui ne sait pas non plus où il va, ce qui en fait la beauté et la fragilité. C’est comme une profession de foi contre un cinéma formaté et prévisible, comme l’atteste cette scène au milieu du film où le producteur s’emporte sur le fait qu’il n’y a pas de scenario. Un film construit, ultra-scénarisé qui plairait à tous, ce n’est pas le genre du cinéaste.
C’est sûrement le film le plus dépressif de l’auteur, si ses films précédents se paraient de moments d’angoisse, il y avait toujours un désir qui bouleversait tout, quitte à aller dans le mur mais au moins ça valait le coup d’essayer, le héros semble ici se prendre des coups sans trop comprendre pourquoi, il ne se rebelle pas vraiment, essaie juste de bien faire, ce qui va précipiter sa chute, il va de rencontre en rencontre mais il semble déconnecté, passif, en retrait, s’accrochant à son bébé comme à une bouée et Damien Bonnard est très fort pour rendre intense ce personnage buté et dépassé, par ce qu’il vit mais aussi par le monde et sa violence. L’espace est éclaté entre différents lieux, Cévennes, Brest, etc. et le héros passe de l’un à l’autre comme s’ils étaient à côté, il donne l’impression de tourner en rond avec ces lieux qui reviennent, comme ce virage de montagne, cette rue traversée des rails du tram, il ne trouve pas d’échappatoires, comme si le film faisait du surplace.
Ainsi ce film sur l’inhibition semble un peu en deçà mais son projet contenait déjà cet en deçà.
Guiraudie n’a pas perdu pour autant sa mise en scène, les plans de la Causse sous la nuit, de Brest ou des corps que l’on rencontre sont toujours d’une beauté évidente, qui d’autres sait aussi bien capter les sons de la nature, par exemple ? Il y a toujours des moments magnifiques, un sexe qu’on caresse, une sodomie euthanasiante, un enfant appât dans la nuit, une rencontre avec des loups ou ces gueules de brebis dans une bergerie nous interrogeant du regard, pourtant l’ensemble laisse un goût déceptif, il manque le souffle supplémentaire qui emportait tout dans ses précédents films mais cela semble nécessaire à l’auteur de prendre ce chemin de traverse pour retrouver sa verve et son désir.
Quand Alain Guiraudie se perd, on est prêt à le suivre tant il est, aujourd’hui, un cinéaste important, même s’il doit batailler pour rester vertical.
Rester vertical d’Alain Guiraudie, France, 2016 avec Damien Bonnard, India Hair, Raphaël Thiéry…

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