90’s de Jonah Hill

Faire face

Jonah Hill est un de ces grands acteurs que la comédie étasunienne des vingt dernières années a révélé (comme Ben Stiller, Owen Wilson, Paul Rudd… parmi tant d’autres) du beau Supergrave aux jouissives reprises de 21 Jump Street en passant par d’autres films importants comme Le Loup de Wall Street. Acteur de la démesure, pouvant être à la fois drôle, tendre et inquiétant, on ne pouvait qu’être curieux de voir le film qu’il réaliserait, surtout qu’il se frotte au film de skate visité par des cinéastes reconnus (Gus Van Sant, Larry Clark…).
Mais si ce sujet est traité, ce qui intéresse vraiment Jonah Hill, c’est de filmer le passage à l’âge adulte comme dans d’autres films et séries qui ont marqué le cinéma étasunien à partir du début des années 80 (Freaks and Geeks ou Breaking Away par exemple). Si en tant qu’acteur, il est souvent confronté au débordement, son film 90’s arpente ce territoire balisé du teen-movie avec minimalisme.
On pourrait craindre un film sociologique édifiant tendance Sundance, avec beau discours humaniste et rédemption, mais ce n’est pas cela qui, heureusement, motive le réalisateur. Si 90’s raconte la vie de jeunes en marge qui trouvent dans le skate une échappatoire, cela apparaît en filigrane, le cinéaste ne cherche pas tant à dire quelque chose qu’à filmer les choses comme elles sont, il regarde avant tout et laisse vivre les plans, c’est l’instantanée d’une époque avec la musique ad hoc (Pixies, Nirvana, Cypress Hill, etc.), rien de plus qu’une tranche de vie. Le film n’est pas le portrait de quelqu’un qui apprend à faire du skate mais quelqu’un qui veut devenir adulte de façon accélérée pour laisser derrière lui une enfance où il est martyrisé et qui pour cela va rencontrer des alter ego qui ont le même but que lui, avec cette idée que l’adolescence c’est avant tout fuir son enfance et les enjeux familiaux qui vont avec. La situation familiale du héros est exposée en peu d’évènements, un homme qui s’en va, les mots d’un frère devant un jeu vidéo, Jonah Hill fait confiance aux spectateurs pour construire ce qui manque et remplir les blancs. De même le background des membres de la bande est défini en quelques phrases par Ray qui suffisent pour comprendre ce que tous recherchent dans ce groupe et cette pratique.
Jonah Hill préfère prendre le temps de filmer ces corps en mouvement, ces adolescents qui cherchent la bonne posture, ces jeunes tout en arrogance factice, l’avachissement, les jambes écartées, les épaules rentrées, la démarche élastique dans des baggys, les visages butés sous des bonnets, la parole flottante et enfumée. Ces corps le plus souvent affalés et dégingandés qui grâce au skate prennent de la vitesse, s’envolent gracieusement, prennent leur envol.
À l’aide de mouvements de caméra fluides, le cinéaste s’attache à tous les détails, aux échanges de regards comme dans ces skatesparks improvisés où tout le monde s’observe, s’étalonne, où ceux qui sont en bas de l’échelle se croisent, se mélangent (latinos, blancs, noirs). La question n’est pas de faire une belle figure de skate mais surtout d’avoir la bonne attitude, de respecter les codes parfois absurdes de la masculinité naissante.
Cette fluidité est heurtée par des accès de violence filmés avec une grande sécheresse, la rage violente du frère, un accident de voiture résumé en un flash sidérant, violence qui sous tend le film même quand il ne se passe rien. La violence n’est pas édulcorée, les coups portent et pourtant le film est exempt de pathos, parce que le héros ne subit pas, il prend les coups, chute et suit son chemin avec une volonté inébranlable et un sourire permanent, et aussi parce que cela est compensé par la bienveillance qui circule entre les différents membres de la bande de skateurs (et il faut être fort pour nous la faire ressentir de façon aussi intense avec une telle économie de mots et de situations). Même si quelques jalousies ou rancœurs émergent, ils ne peuvent que rester ensemble, le monde extérieur ne veut pas vraiment d’eux, le skate leur permet de rencontrer l’altérité, de se faire une place, de prendre territorialement cette place qu’on ne leur donne pas (une école, une dalle devant un tribunal, etc.).
Ainsi la réussite de ce film tient surtout à la justesse du regard du cinéaste qui permet à tous les personnages d’exister en très peu de plans, de la bande au frère mutique et violent, à la mère qui fait ce qu’elle peut (la réconciliation finale n’est pas appuyée, avec cette mère qui réveille Ray d’une pression douce de la main, cela est simple et beau). On oubliera pas facilement les visages de Sunburn, de Fuckshit, de Ray, de Fourth Grade, de Ruben ou du frère violent du héros. Jonah Hill, cinéaste débutant, ne se met jamais en surplomb, il est vraiment avec eux, à la bonne distance, celle qui nous permet de les regarder avec une empathie sincère et de ne pas les oublier.
90’s de Jonah Hill, États-Unis, 2019 avec Sunny Suljic, Na-Kel Smith, Katherine Waterston, Lukas Hedges…

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *