Tout change
Le titre, l’affiche, le thème de Habemus Papam en imposent, cela donne l’impression d’un film qui a un sujet sérieux, d’un film monument, cela peut effrayer mais nous sommes chez Nanni Moretti pas chez Théo Angeloupolos ou Wim Wenders.
Le début semble confirmer cela, le décorum du Vatican, les tenus des cardinaux, la lente procession, tout est là dans la beauté écrasante du rituel, pourtant très vite, la machine se grippe, une litanie de noms de saint s’interrompt, il y a une panne d’électricité dans la salle où sera choisi le nouveau pape, un cardinal tombe dans le noir, et tout d’un coup l’angoisse se diffuse, les cardinaux prennent peur, qu’est-ce qui se passe quand ça s’arrête, quand ça ne veut plus ?
Le film impressionne par sa capacité à lancer de nombreuses pistes de réflexion sur le pouvoir, les responsabilités et aussi sur le monde comme il ne va pas, on parle de la papauté, de ce pape qui ne veut pas l’être, ça pourrait aussi concerner un homme politique, un artiste voir n’importe qui ne supportant plus le rôle qu’on lui demande de jouer mais si les pistes sont lancés, Nanni Moretti n’est pas un professeur, il laisse à chacun la liberté d’interpréter et on peut deviner que beaucoup ne verront pas le même film, il n’est pas dans une dénonciation simpliste. Le film impressionne aussi par la façon dont Nanni Moretti mêle avec fluidité le personnel et le politique et par comment il traduit cela par sa mise en scène, ainsi cette scène où Michel Piccoli, magistral, disparaît dans la verdure du jardin du Vatican alors qu’on sent son désir de se retrancher du monde, c’est très simple, et le fait de filmer en contrepoint les gardes suisses décontenancés par sa présence inopportune, faisant comme si de rien n’était, ajoute une touche comique (le film est par moment très drôle) qui empêche la scène d’être démonstrative.
Parce que sous l’apparat d’un classicisme rappelant parfois certains Francis Ford Coppola (Le Parrain par exemple), il dynamite son film de l’intérieur, la solennité des lieux, la beauté des peintures, des décors, le tout filmé avec élégance, est sans cesse contredite par le grotesque des situations, comme cette autre moment où le porte parole du Vatican joué par Jerzy Stuhr (très juste comme tous les autres acteurs) décrit la fuite du pape à des cardinaux médusés, la scène est grave mais une partie de ces cardinaux a gardé la tunique de joueur des matchs de volley organisés par le psychanalyste interprété par Nanni Moretti, ce qui crée une étrangeté bouffonne mais jamais ironique ou méprisante.
Cette opposition est en cohérence avec le thème profond du film, la dépression de l’âge adulte avec son cortège d’obligations, son enfermement qui ne peut se résoudre qu’en passant par un retour à l’émerveillement de l’enfance et au jeu c’est à dire pour Nanni Moretti par le sport, le théâtre, la musique, les jeux de cartes et aussi le désordre, ou pour le dire plus simplement par un retour à la vie. Le nouveau pape ne veut plus assumer ses responsabilités, ne veut pas être celui qu’on attend qu’il soit et les cardinaux retranchés dans le Vatican se mettent par contamination à ressembler à des enfants dans un internat.
Plus largement, le film incite à la naïveté, à la joie face à une société de plus en plus rigide et étouffante, ainsi dans cette scène où un garde suisse logeant dans les appartements du pape et se faisant passer pour lui met un disque de Mercedes Sosa. La chanson Todo Cambia arrive aux oreilles des cardinaux qui sont emportés et se mettent à claquer dans les mains, les visages des cardinaux émerveillés, soudain heureux comme des nouveaux nés face à un son amusant, alors qu’on entend cette chanson appelant au changement personnel et sociétal qui symbolise toute une histoire de la gauche, cela est tout simplement bouleversant.
Ce n’est pas la seule scène sidérante de ce film important.
Tout se fissure, le cri de Michel Piccoli face à l’angoisse de vivre, face aux conventions sociales qui nous enserrent, traverse le film et résonnera longtemps.
Habemus Papam de Nanni Moretti, Italie, 2011 avec Michel Piccoli, Nanni Moretti, Jerzy Stuhr…
Un très beau et très grand film !