en revenant du cinéma http://enrevenantducinema.fr Fri, 29 Oct 2021 21:28:43 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.0.14 First cow de Kelly Reichardt http://enrevenantducinema.fr/2021/10/27/first-cow-de-kelly-reichardt/ http://enrevenantducinema.fr/2021/10/27/first-cow-de-kelly-reichardt/#respond Wed, 27 Oct 2021 16:03:33 +0000 http://enrevenantducinema.fr/?p=2438 Délicat

L’histoire de First Cow est d’une grande simplicité, dans l’Oregon où se développe un village de trappeurs, deux hommes espèrent s’en sortir en vendant des beignets fait à partir … Lire la suite...

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Délicat

L’histoire de First Cow est d’une grande simplicité, dans l’Oregon où se développe un village de trappeurs, deux hommes espèrent s’en sortir en vendant des beignets fait à partir de lait volé. C’est avant tout l’histoire d’une amitié. Les deux héros, interprétés avec grâce par John Magaro et Orion Lee, sont beaux et touchants, le premier qui semble souvent apeuré par la brutalité humaine mais qui s’illumine au contact des animaux, de la nature ou en cuisinant, et l’autre qui est un voyageur qui paraît plus cultivé, beau parleur, plus conscient du monde qui l’entoure et de sa dureté.
Ce qui se passe entre eux est d’une grande douceur.
C’est un trait qu’on retrouve souvent dans l’œuvre de Kelly Reichardt, la tendresse entre les deux anciens amis de Old joy, celle qui lie Wendy à son chien dans Wendy et Lucy, celle qu’on voit sur le visage de Lily Gladstone dans Certaines femmes (seul dans Night moves pointe un rapport plus cruel et cynique entre les héros et c’est d’ailleurs son film le moins réussi).
On retrouve aussi cet intérêt pour les laissés pour compte qui traverse ses précédents films, ce questionnement sur le capitalisme et l’idée de la frontière qu’on retrouve dans La Dernière piste.
Son travail a une grande cohérence, ainsi ici la douceur que partage les héros se retrouve dans l’extrême attention dans le regard de la cinéaste sur ceux qu’elle filme, sur leurs gestes, leurs hésitations mais aussi sur la nature, sa vibration, sa lumière, le vent qui fait trembler les feuilles, sur les animaux qui la parcourt. Elle prend le temps pour cela et nous fait rentrer dans un rythme qui nous permet de regarder les hommes et la nature autrement. Mais cette douceur n’est jamais mièvre, le monde qu’elle filme est dur, âpre, violent, un monde qui écrase toujours les plus faibles, les plus tendres, les plus inadaptés.
De même la pauvreté et le dépouillement qui caractérisent souvent ses personnages fait échos à cette apparente simplicité de la mise en scène qui paraît frontale, sans artifice, originelle pourtant il doit en falloir du travail pour arriver à faire ressentir tant d’émotions en si peu d’effets. Comme dans cette dernière scène d’une stupéfiante beauté avec cette idée lumineuse de s’arrêter à ce moment précis, de rester dans l’empathie et la fraternité.
Le film parle de l’origine du capitalisme, avec ce facteur chef qui pense qu’on peut quantifier le nombre de coups de fouet nécessaires pour rendre les travailleurs plus efficaces, qui accompagne le mythe du rêve américain, à force de travail et d’abnégation tout le monde peut s’en sortir (mais finalement non, quand tu es en bas, tu as des chances de rester en bas). Si ces thèmes qui restent actuels sont présents comme le côté mortifère de la spéculation capitaliste sur la nature, avec la baisse du nombre de castors parce qu’ils font des vêtements à la mode, cela ne voile pas l’importance des relations humaines, de l’idée de l’entraide, de la fraternité comme une résistance, la seule voie possible pour arriver à survivre.
Cela n’est jamais démonstratif ni discursif, elle nous fait vivre et ressentir cela par petites touches, juste des échanges de regards compréhensifs, une sorte de lézard que le héros remet sur ses pattes pour le laisser s’enfuir, une vache qui risque de confondre en le reconnaissant celui qui lui parle et la traie avec tant de tranquillité, un amérindien faisant une danse à travers la fenêtre, un homme qui s’allonge à côté d’un autre. C’est tout et ça crée une émotion intense.
Et cela prouve encore une fois que Kelly Reichardt est une immense cinéaste *.

*N’en déplaise à Michel Ciment qui ne comprend pas l’engouement actuel pour elle, mais nous sommes heureux de ne pas comprendre le cinéma de la même façon que lui.
Il suffit par exemple de voir la dernière partie de Certaines femmes pour comprendre l’importance de cette cinéaste aujourd’hui, les plans de la balade à cheval sont parmi les plus beaux vus ces dernières années.

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Drive my car de Ryusuke Hamaguchi http://enrevenantducinema.fr/2021/10/08/drive-my-car-de-ryusuke-hamaguchi/ http://enrevenantducinema.fr/2021/10/08/drive-my-car-de-ryusuke-hamaguchi/#respond Fri, 08 Oct 2021 10:58:54 +0000 http://enrevenantducinema.fr/?p=2433 Sur une route balisée

Ce film était un des principaux favoris au festival de Cannes pour la palme d’or, la plupart des critiques l’ont décrit comme un chef-d’œuvre et le … Lire la suite...

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Sur une route balisée

Ce film était un des principaux favoris au festival de Cannes pour la palme d’or, la plupart des critiques l’ont décrit comme un chef-d’œuvre et le public a suivi mais on peut être surpris par cet unanimisme.
La première partie de Drive my car est séduisante dans sa mise en place, ce prologue avec le surgissement de la scène adultérine, la mort soudaine de la femme du héros, et le départ vers Hiroshima. C’est très sec, efficace et traversé d’une étrangeté qui éveille l’attention.
Une fois arrivé à Hiroshima où le héros, Yûsuke Kafuku va mettre en scène Oncle Vania, on devine assez vite où on nous emmène. Le héros va devoir être emmené par une chauffeuse douée et effacée. Si la rencontre avec cette conductrice est plutôt touchante, l’impression de suivre une voie toute tracée s’intensifie au fur et à mesure, on comprend que ces deux personnages renfermés vont finir par se dévoiler, se confier et qu’alors adviendra une émotion forte, etc., tout semble aller dans ce sens. Le cheminement est fléché et le film ne dérogera pas au programme qu’il s’est fixé.
Tout est censé faire sens, aucun élément ne semble là au hasard mais chacun doit signifier quelque chose à un moment ou à un autre, et cela devient étouffant, ainsi que cette caractéristique très à la mode de donner l’impression de peu expliquer tout en soulignant tout.
Deux exemples parmi d’autres. Le premier, Kafuku et sa conductrice sont tous les deux dans la voiture, un rapprochement se fait, il lui permet alors de fumer une cigarette, ce qui lui refusait avant, on voit la voiture de face dans un plan large et tremblant, elle tend son bras par l’ouverture du toit pour que la cigarette n’abîme pas la voiture, il fait de même. Le plan est beau, furtif, comme volé, ça pourrait s’arrêter là, mais dans le plan suivant, on voit les deux mains en gros plan pour ceux qui n’ont pas compris ce qu’on devait ressentir et penser à ce moment-là sur cette complicité qui se construit. Deuxième exemple, dans la même voiture, lorsque le héros parle de l’âge qu’aurait sa fille disparue soit le même que celui de la conductrice (ce qui n’est pas non plus d’une grande subtilité), on nous montre bien son regard dans le rétro pour ceux qui n’auraient pas fait la connexion.
Elle a perdu ses parents, il a perdu sa fille, etc. Dans Hiroshima la ville du deuil, alors qu’il joue une pièce sur la vie, la mort, le temps qui passe, etc. Il a un glaucome après avoir vu sa femme avec un autre homme. Le héros a engagé l’ancien amant de sa femme pour jouer son rôle, et on attend la discussion entre les deux qui est au final qu’un monologue à la fois mystérieux et signifiant. Il ne veut plus jouer Vania suite à la mort de sa femme, mais cette place se libère, va-t-il la reprendre, etc.
Lorsque ces éléments disparates finissent par s’assembler, le film met à nu sa mécanique volontariste.
Ainsi tout devient empesé, jusqu’à la dérive finale entre la conductrice et son passager avec des dialogues qui sont de longues tirades pendant lesquelles ils expliquent leur trauma respectif et, acmé émotionnelle pour faire pleurer dans les festivals, arrive ce moment si peu surprenant où les deux se serrent l’un contre l’autre, acceptant la réalité du deuil et sa part de culpabilité. Dans un paysage enneigé, la neige comme symbole, encore un, de ce qui est enfoui. Cela sonne alors comme plaqué, non vécu, non ressenti. Cela n’existe pas parce qu’on sent l’intention du cinéaste en permanence. Pour finir par ce dernier plan sur cette femme muette jouant en langage des signes avec le héros qui a évidemment choisi de revenir jouer Vania au théâtre. C’est très beau, très élégant, très bien pensé mais ça ne vit pas. C’est fait pour plaire, pour qu’on pense que ce plan est beau, et il faut croire que ça a fonctionné vu les éloges que le film a reçus, c’est un film qui suit des rails, qui le fait très bien, mais qui ne prend pas de risque.
Bien sûr, Hamaguchi a du talent, de nombreux plans sont d’une grande force, ainsi ces plans de neige dans le silence, ces plans de circulation, ces entrées dans les tunnels, la route qui serpente proche de la mer, cet arrêt dans la déchetterie, cette séquence d’audition du jeune Koji , etc. Ainsi que cette séquence de répétition dans un parc avec la conductrice en arrière-plan est belle, comme apaisée. Mais là aussi la scène était annoncée en amont par le désir énoncé de la conductrice de voir les répétitions. Tout est calibré, bien construit, mais pour qu’il y ait une émotion, il faut qu’on soit surpris, qu’il y ait des chemins de traverse, des sorties de route, que ça bifurque, déborde.
Pour être bouleversé par un film sur le deuil, dans le sens aussi d’être bougé, mieux vaut aller voir Serre-moi fort de Mathieu Amalric, mais pour cela il faut accepter de se perdre, d’oublier ses repères. Tout ne paraît pas aussi maîtrisé et cela émeut profondément de ne pas savoir où l’on va.

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90’s de Jonah Hill http://enrevenantducinema.fr/2019/05/16/90s-de-jonah-hill/ http://enrevenantducinema.fr/2019/05/16/90s-de-jonah-hill/#respond Thu, 16 May 2019 13:24:21 +0000 http://enrevenantducinema.fr/?p=2423 Faire face

Jonah Hill est un de ces grands acteurs que la comédie étasunienne des vingt dernières années a révélé (comme Ben Stiller, Owen Wilson, Paul Rudd… parmi tant d’autres) … Lire la suite...

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Faire face

Jonah Hill est un de ces grands acteurs que la comédie étasunienne des vingt dernières années a révélé (comme Ben Stiller, Owen Wilson, Paul Rudd… parmi tant d’autres) du beau Supergrave aux jouissives reprises de 21 Jump Street en passant par d’autres films importants comme Le Loup de Wall Street. Acteur de la démesure, pouvant être à la fois drôle, tendre et inquiétant, on ne pouvait qu’être curieux de voir le film qu’il réaliserait, surtout qu’il se frotte au film de skate visité par des cinéastes reconnus (Gus Van Sant, Larry Clark…).
Mais si ce sujet est traité, ce qui intéresse vraiment Jonah Hill, c’est de filmer le passage à l’âge adulte comme dans d’autres films et séries qui ont marqué le cinéma étasunien à partir du début des années 80 (Freaks and Geeks ou Breaking Away par exemple). Si en tant qu’acteur, il est souvent confronté au débordement, son film 90’s arpente ce territoire balisé du teen-movie avec minimalisme.
On pourrait craindre un film sociologique édifiant tendance Sundance, avec beau discours humaniste et rédemption, mais ce n’est pas cela qui, heureusement, motive le réalisateur. Si 90’s raconte la vie de jeunes en marge qui trouvent dans le skate une échappatoire, cela apparaît en filigrane, le cinéaste ne cherche pas tant à dire quelque chose qu’à filmer les choses comme elles sont, il regarde avant tout et laisse vivre les plans, c’est l’instantanée d’une époque avec la musique ad hoc (Pixies, Nirvana, Cypress Hill, etc.), rien de plus qu’une tranche de vie. Le film n’est pas le portrait de quelqu’un qui apprend à faire du skate mais quelqu’un qui veut devenir adulte de façon accélérée pour laisser derrière lui une enfance où il est martyrisé et qui pour cela va rencontrer des alter ego qui ont le même but que lui, avec cette idée que l’adolescence c’est avant tout fuir son enfance et les enjeux familiaux qui vont avec. La situation familiale du héros est exposée en peu d’évènements, un homme qui s’en va, les mots d’un frère devant un jeu vidéo, Jonah Hill fait confiance aux spectateurs pour construire ce qui manque et remplir les blancs. De même le background des membres de la bande est défini en quelques phrases par Ray qui suffisent pour comprendre ce que tous recherchent dans ce groupe et cette pratique.
Jonah Hill préfère prendre le temps de filmer ces corps en mouvement, ces adolescents qui cherchent la bonne posture, ces jeunes tout en arrogance factice, l’avachissement, les jambes écartées, les épaules rentrées, la démarche élastique dans des baggys, les visages butés sous des bonnets, la parole flottante et enfumée. Ces corps le plus souvent affalés et dégingandés qui grâce au skate prennent de la vitesse, s’envolent gracieusement, prennent leur envol.
À l’aide de mouvements de caméra fluides, le cinéaste s’attache à tous les détails, aux échanges de regards comme dans ces skatesparks improvisés où tout le monde s’observe, s’étalonne, où ceux qui sont en bas de l’échelle se croisent, se mélangent (latinos, blancs, noirs). La question n’est pas de faire une belle figure de skate mais surtout d’avoir la bonne attitude, de respecter les codes parfois absurdes de la masculinité naissante.
Cette fluidité est heurtée par des accès de violence filmés avec une grande sécheresse, la rage violente du frère, un accident de voiture résumé en un flash sidérant, violence qui sous tend le film même quand il ne se passe rien. La violence n’est pas édulcorée, les coups portent et pourtant le film est exempt de pathos, parce que le héros ne subit pas, il prend les coups, chute et suit son chemin avec une volonté inébranlable et un sourire permanent, et aussi parce que cela est compensé par la bienveillance qui circule entre les différents membres de la bande de skateurs (et il faut être fort pour nous la faire ressentir de façon aussi intense avec une telle économie de mots et de situations). Même si quelques jalousies ou rancœurs émergent, ils ne peuvent que rester ensemble, le monde extérieur ne veut pas vraiment d’eux, le skate leur permet de rencontrer l’altérité, de se faire une place, de prendre territorialement cette place qu’on ne leur donne pas (une école, une dalle devant un tribunal, etc.).
Ainsi la réussite de ce film tient surtout à la justesse du regard du cinéaste qui permet à tous les personnages d’exister en très peu de plans, de la bande au frère mutique et violent, à la mère qui fait ce qu’elle peut (la réconciliation finale n’est pas appuyée, avec cette mère qui réveille Ray d’une pression douce de la main, cela est simple et beau). On oubliera pas facilement les visages de Sunburn, de Fuckshit, de Ray, de Fourth Grade, de Ruben ou du frère violent du héros. Jonah Hill, cinéaste débutant, ne se met jamais en surplomb, il est vraiment avec eux, à la bonne distance, celle qui nous permet de les regarder avec une empathie sincère et de ne pas les oublier.
90’s de Jonah Hill, États-Unis, 2019 avec Sunny Suljic, Na-Kel Smith, Katherine Waterston, Lukas Hedges…

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Mektoub my love : Canto Uno d’Abdellatif Kechiche http://enrevenantducinema.fr/2018/04/24/mektoub-my-love-canto-uno-dabdellatif-kechiche/ http://enrevenantducinema.fr/2018/04/24/mektoub-my-love-canto-uno-dabdellatif-kechiche/#respond Tue, 24 Apr 2018 20:12:53 +0000 http://enrevenantducinema.fr/?p=2408

Tant de choses à voir

Difficile de savoir si Mektoub my love est le film le plus abouti d’Abdellatif Kechiche mais c’est en tout cas celui où il semble se … Lire la suite...

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Tant de choses à voir

Difficile de savoir si Mektoub my love est le film le plus abouti d’Abdellatif Kechiche mais c’est en tout cas celui où il semble se mettre le plus à nu. Il balaie ce qui parfois pouvait être gênant dans son cinéma dans la distance qu’il avait par rapport à ceux et celles qu’il filmait comme par exemple dans la longue scène sexuelle de La Vie d’Adèle où il faisait preuve paradoxalement d’une soudaine pudeur mal placée. Avec le personnage centrale d’Amin photographe timide, évident double du cinéaste, il trouve un relais à l’intérieur du film pour nous faire partager ses obsessions, il nous fait comprendre et ressentir ce qu’il cherche, il semble libéré et nous emmène avec lui en assumant totalement ses désirs, ses questionnements.
On arrive à toucher ce que le cinéaste travaille depuis ses débuts, et ce dès la scène de sexe inaugurale entraperçue par Amin. Tout le film se jouera sur ce positionnement, ce trouble, cette envie et cette gêne de voir, avec la question de qui regarde, le héros, le cinéaste ou nous, spectateurs.
L’histoire se déroule à Sète, on suit un groupe de jeunes hommes et femmes qui se cherchent, se frôlent, boivent, se baignent, dansent, mangent, discutent. Il ne se passe pas grand-chose d’autre et pourtant on a le sentiment d’un mouvement incessant, d’un élan permanent. Peu de cinéastes savent autant filmer la circulation des corps et cela dans des séquences dont il étire la durée pour voir ce que ça peut rendre. Une caméra alerte passe de l’un à l’autre, on se sent immergé dans une ronde, on ne voit pas le travail, pourtant il faut une grande maîtrise pour donner cette impression de légèreté, de fluidité, de foisonnement, prenant sur le vif les émotions furtives. Il filme la peau, les fesses qui bougent, les torses sous le soleil, s’arrête sur les corps charnues, musclés ou voluptueux, comme dans ces plans sur le corps allongé d’Ophélie à une distance qui englobe une partie des fesses, il prend le temps pour cela, insiste, ne détourne pas le regard, en écho à Amin qui semble fasciné par ce qui l’entoure. Amin regarde ce monde avec l’envie d’en faire partie et une incapacité à cela, toutes les personnes qui l’entourent veulent le faire participer à ces échanges multiples (sa mère, ses amis, etc.) mais lui refuse, on le devine secrètement amoureux de son amie, mais ce n’est pas la seule raison, on sent qu’il aime être en bordure, à la fois à l’intérieur et en dehors, il aime avant tout observer.
Il y a au centre de Mektoub my love, une scène comme une métonymie de tout le film, Amin va dans une bergerie pour photographier des agneaux venant de naître. Le héros qui attend le bon moment, c’est aussi Kechiche qui attend, on voit le film qui est en train de se faire, le photographe Amin comme le cinéaste Kechiche doivent patienter, et cette séquence nous met nous aussi dans cette position d’attente. Être là quand quelque chose se passe, la naissance d’un agneau, comme le rouge venant sur les joues de Céline, comme le sourire, les hésitations dans un moment de séduction, attraper ce qui n’est pas prévu, ce qui surgit.
De même, Kechiche a toujours aimé filmer la bouffe, la morve, les pleurs, la sueur, la chair. Cette scène de la bergerie montre que pour lui la vie naît dans cet aspect gluant de l’accouchement avec ces agneaux juste nés nettoyés délicatement par leur mère, la vie est dès le départ en lien avec les fluides corporelles, elle est définie par ça, loin d’un monde qui s’aseptise.
On sent qu’il aimerait aller voir plus loin, sous la peau s’il le pouvait. Voir ce qui se passe, ne pas évacuer une certaine vulgarité par exemple, ainsi dans la scène de la boîte avec alcool à flot, twerk, lap dance, etc., il n’embellit, ni ne juge, la vie déborde et c’est ce qui importe. De la même façon il filme un hédonisme forcené où l’idée de fidélité en prend un coup mais ne cache pas ses aspects machistes et sa cruauté pour ceux et celles qui ne suivent pas le mouvement.
S’il magnifie les corps, leur rapprochement, éloignement, affaissement, il sait saisir la parole avec la même sensualité, les dialogues sont étincelants, d’apparence simples mais souvent à double sens, avec sous-entendus, différents tiroirs, hésitations, mensonges, séductions, hypocrisies, etc. là aussi il y a du jeu et une drôlerie plutôt rare chez Kechiche.
Les acteurs s’emparent de cette matière avec délectation. L’arrivée d’Hafsia Herzi conforte cette sensation de voir un film en train de se faire, elle entre dans le film comme une actrice visitant un endroit qu’elle a déjà parcouru après La Graine et le mulet, cela se ressent dans son jeu, elle semble dire avec grâce et royauté, je reviens sur mon territoire voir ce qu’il est devenu et cette proximité avec le réel renforce le trouble, mais les autres acteurs ne sont pas en reste, de la maladresse d’Amin à la gourmandise d’Ophélie, sans oublier le fanfaron séducteur Tony, ils sont tous magnifiques de présence, se prêtent au jeu, on sent un réel plaisir à bouger, échanger, un réel plaisir à jouer avec ces mots. Ils participent à cette joie, cette soif de vie, qui émerge du film et qui se communique au spectateur.
Mektoub my love : Canto uno d’Abdellatif Kechiche, 2018, France, avec Shaïn Boumedine, Ophélie Bau, Salim Kechiouche, Lou Luttiau, Hafsia Herzi…

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Le Journal d’un Cinéphage – Épisode 2 (Février 2018) http://enrevenantducinema.fr/2018/03/02/journal-dun-cinephage-episode-2-fevrier-2018/ http://enrevenantducinema.fr/2018/03/02/journal-dun-cinephage-episode-2-fevrier-2018/#respond Fri, 02 Mar 2018 07:32:35 +0000 http://enrevenantducinema.fr/?p=2355

 

Cinéphiles, cinéphiles, mes chèr-e-s compatriotes,

Au menu de cet épisode, une grande déception et un grand cri d’amour. Comment ça, « c’est tout ? ». Euh, j’avais prévu aussi de vous causer … Lire la suite...

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Cinéphiles, cinéphiles, mes chèr-e-s compatriotes,

Au menu de cet épisode, une grande déception et un grand cri d’amour. Comment ça, « c’est tout ? ». Euh, j’avais prévu aussi de vous causer d’un livre et d’une série télé, mais ça attendra. Déjà, je me suis fait sermonner par mon coreligionnaire il y a deux semaines sur le mode : « Tu te rends compte qu’en rajoutant quelques bricoles par-ci, par-là, tu pouvais faire trois articles au lieu d’un ? ». Ensuite, si je ne me garde pas sous le coude des sujets « faciles et déconnectés de l’actualité » pour alimenter cette rubrique les mois de dèche cinématographique et/ou de flemme caractérisée, cette grande et belle aventure humaine risque de finir en eau de boudin. Allez, j’arrête de vous raconter ma vie – enfin, je dis ça –, en vous souhaitant une bonne lecture.

 

Cro Man, de Nick Park

Vous n’imaginez-pas à quel point je l’attendais, ce film. En 2015, Shaun le Mouton avait mis fin à une période catastrophique pour le département longs-métrages du studio anglais Aardman, et avec la manière s’il-vous-plaît. Dans la foulée, la mise en chantier de Cro Man s’annonçait sous les meilleurs auspices : le créateur surdoué de Wallace & Gromit aux manettes, des personnages originaux, un projet ambitieux… Non, vraiment, sur le papier, les aventures préhistoriques de Doug, l’homme de l’âge de pierre en pâte à modeler avaient tout pour plaire.

La séquence d’ouverture est géniale : un bout de générique sur fond noir qui fera vaciller la santé mentale de votre projectionniste, l’image à l’écran présentant les défauts caractéristiques de la pellicule. La terre apparaît, vue de l’espace, bientôt remplacée par un paysage volcanique en pleine activité et un combat titanesque entre un T. Rex et un tricératops – réalisé en stop-motion « vintage ». La caméra recule et nous montre une bataille rangée entre deux tribus d’hommes préhistoriques, quand soudain tout ce petit monde se fige en levant les yeux au ciel : une météorite surgit et vient percuter le sol dans une explosion atomique. Lorsque les cendres retombent, les primitifs survivants découvrent un étrange objet noir venu d’ailleurs. Un objet… de forme sphérique. Tout ce que j’aime chez Aardman se trouve résumé ici : la technique, déjà, qui atteint un niveau d’excellence proprement hallucinant. L’humilité, ensuite, parce que Nick Park sait d’où il vient et ce qu’il doit à ses prédécesseurs. La cinéphilie, enfin, avec la référence au classique des classiques en matière de mise en scène de la préhistoire – et non, je ne parle pas de La Guerre du Feu. Sans oublier l’indispensable touche d’humour so british : les sous titres de la séquence qui situent l’action près de Manchester, à l’heure du déjeuner, un cafard qui sort ses mini-lunettes de soleil pour admirer l’explosion nucléaire et le monolithe de Stanley Kubrick qui prend ici la forme… d’un ballon de football.

Le début du film n’est pas déplaisant, jusqu’à la chasse au lapin. Mais dès que les premiers enjeux dramatiques pointent le bout de leurs museaux de plasticine, c’est la douche froide. Oh, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : on est loin des catastrophes industrielles qu’étaient Souris City et Mission Noël, et l’ensemble reste regardable. Mais bon sang de bois, qu’est-ce que ça manque d’ambition et de saveur ! Et quelle idée saugrenue d’utiliser le football pour illustrer le sempiternel combat du pot de terre contre le pot de fer. Franchement, le coup des amateurs-pas-bien-doués-mais-qui-jouent-unis contre des professionnels-ultra-forts-mais-tellement-individualistes, à notre époque du foot-business pourri jusqu’à la moelle par le fric et les enjeux de pouvoir, mais que c’est agaçant ! Au final, on se retrouve devant un produit déceptif, à peine un cran au dessus du très moyen Les Pirates ! Bons à rien et mauvais en tout. Reste la performance technique, toujours aussi impressionnante, mais ça ne suffit pas.

 

Les Garçons sauvages de Bertrand Mandico, avec Vimala Pons, Diane Rouxel, Pauline Lorillard, Anaël Snoek et Mathilde Warnier

 

Cher monsieur Mandico,

Si je me m’adresse directement à vous, en plus de résoudre le problème qui m’enquiquine depuis le 13 de ce mois et que je résumerai par : « mais comment diable vais-je bien pouvoir retranscrire l’état dans lequel ce film m’a laissé ? », c’est pour vous remercier le plus sincèrement du monde des tortures cinéphiliques que vous m’infligez depuis que j’ai failli faire connaissance avec votre œuvre. Mais si, rappelez-vous, c’était à Grenoble, en 2016, pendant les Maudits Films.

À l’époque, je faisais partie de l’organisation du festival, soit le meilleur moyen pour transcender le simple plaisir de spectateur… et ne plus avoir le temps d’assister aux séances. J’étais donc coincé dans le hall qui jouxte notre belle salle Juliet Berto, à tenir boutique pour faire rentrer quelques sous dans les caisses de l’association. De l’autre côté de la porte – tout un symbole – avait lieu la projection de votre Hormona, dont les effluves sonores parvenaient jusqu’à mes chastes oreilles grâce à une isolation phonique approximative. Je n’avais d’yeux que pour l’affiche du film, punaisée juste en face moi. Plus la séance avançait, plus ma curiosité était mise à l’épreuve, jusqu’à ce que je n’y tienne plus. Lectrices, lecteurs, Bertrand – vous permettez que je vous appelle Bertrand ? –, je vais dévoiler ici l’un des secrets les mieux gardés de la Cinémathèque de Grenoble 1. Dans le mur commun avec la salle, à hauteur de regard warrenien – c’est à dire un tout petit peu en dessous de la moyenne – et à peine dissimulé au commun des mortels, il existe un genre d’œilleton permettant de voir ce qui se passe à l’écran. L’image est déformée, le verre teinté et la luminosité exécrable, mais combiné aux bribes sonores que j’évoquais plus haut, on devine vaguement où en est la projection. Tel un papillon de nuit irrésistiblement attiré par un lampadaire un soir d’été, je me suis retrouvé sans trop savoir comment l’œil rivé au minuscule orifice, dans la position délicieusement indécente du voyeur de peep-show, c’est à dire quelque part entre excitation et culpabilité. Pour être parfaitement honnête, je ne me souviens plus de ce que j’ai vu, ni même de combien de temps ça a duré. Ce dont je me rappelle par contre, c’est le violent retour à la réalité, cette voix dans mon dos qui a brisé la magie de l’instant par un tonitruant : « Alors, c’est bientôt fini ou j’ai le temps d’aller m’en griller une ? ».

Notre seconde rencontre s’est faite un peu plus tard, au cours d’une émission hors-les-murs de l’indispensable Mauvais Genre 2. Chez vous donc, dans tous les sens du terme, avec le charme incomparable du reportage radiophonique qui recrée les images au seul son de la voix. Et dieu sait qu’il y avait des choses passionnante à voir, dans votre antre, même si une bonne partie de vos références m’échappaient, mon parcours culturel étant celui d’un gentil garçon un peu trop sage. Vous me direz, tant mieux : avec tout ce qu’il me reste à découvrir, je ne risque pas de me lasser du septième art avant plusieurs vies. Un an après, la bande-annonce fantasmatique de vos Garçons sauvages enfonçait le clou. À défaut d’Hormona – ça serait bien qu’un éditeur se penche sur son cas, d’ailleurs –, j’ai fait l’acquisition de vos courts-métrages 3 que je savoure comme un grand cru, à petites gorgées. Boro in the Box m’a logiquement amené sur les traces de Walerian Borowczyk, au risque de me brouiller définitivement avec ma banquière 4. La boite de Pandore était ouverte, ma cinéphilie à jamais bousculée, condamnée à évoluer au sens cronenbergien du terme, c’est à dire à devenir plus organique, plus monstrueuse aussi, et foutrement plus ambiguë.

Lorsque nous nous sommes retrouvés dans la grande salle du cinéma le Club, ce 13 février, j’étais littéralement mort de trouille. Et si je m’étais trompé ? Et si mes espoirs étaient déçus ? Imaginons un instant que le film soit raté, comme le dernier Guy Maddin par exemple. Ou pire, que cela soit trop tard ? La cinéphilie, c’est un peu comme l’histoire : on n’évalue pleinement la puissance du moment présent qu’à la lumière du temps qui s’est écoulé. La première fois que je m’en suis rendu compte, avec le cinéma étasunien des années 90 que j’adore, j’ai été pris de panique. Ce recul nécessaire, rien ne dit que je l’aurai à nouveau. Les années s’accumulent et me rapprochent irrémédiablement du Grand Nulle Part, je vis dans l’angoisse permanente de passer à côté de quelque chose, d’un réalisateur, d’un mouvement, ce qui crée chez moi une sensation parfaitement irrationnelle de manque. Comme beaucoup de mes petits camarades, lorsque je suis confronté à de jeunes passionné-e-s de cinéma qui me renvoient immanquablement à celui que je fus, je cache cette fêlure sous une façade de certitudes et d’avis tranchés ; mais ne vous y trompez-pas, derrière le côté je-sais-tout se cache un genre de jalousie bienveillante et…

Et soudain, les lumières s’éteignent, l’écran s’illumine et nous voilà partis pour cette île qui sent l’huître et qui change les mauvais garçons en mauvaises filles. La magie opère instantanément, les doutes sont balayés, la rencontre se fait dans un rapport de parfaite égalité. C’est essentiel, ça, le rapport qui s’instaure entre le film et son public. Entre ces réalisateurs qui vous prennent de haut ou pire, ceux qui vous prennent pour un con en usant et abusant du plus petit dénominateur commun, rares sont ceux qui vous traitent en égal. Ici, le respect est total. La forme reprend ses droits, sans jamais se substituer au sujet ou à la narration. Le tournage sur pellicule, les effets réalisés sur le plateau, ces actrices délicieuses qui se travestissent, rien n’est de l’ordre de la pose, tout est au service du film et de son propos qu’on pourrait résumer simplement par : dans la vie, rien n’est vraiment figé.
Je pourrai sortir la bonne vieille trousse à outils du critique en mal d’inspiration pour disséquer votre film plan par plan, histoire de camoufler mes émotions, monsieur Mandico. Mais à quoi bon ? Devant vos Garçons sauvages, je suis redevenu ce môme qui ne manquait jamais l’occasion de voir un film à la télé, qui pensait naïvement que tous les américains portaient des Stetson et ressemblaient à John Wayne ou que Jean Marais avait vécu au temps des mousquetaires. J’étais sur la défensive, je m’étais préparé avec appréhension à être bousculé, et c’est tout l’inverse qui s’est produit : je me suis coulé dans votre film et, comme les étranges plantes animales et sensuelles qui peuplent l’île aux huîtres, j’ai fini par en faire partie, à ma manière. Et ce n’est pas terminé, loin s’en faut. Depuis le 13 février, j’attends avec une douloureuse impatience de pouvoir m’embarquer à nouveau sur le navire du Capitaine. Avec la musique du film en fond sonore, du matin au soir. Délicieuse torture, j’ai laissé mûrir ce texte depuis, repoussant chaque jour sa rédaction tant je redoutais l’exercice. J’en profite pour m’excuser platement auprès de nos lecteurs qui en attendaient peut-être autre chose. Mais que voulez-vous, c’est comme ça. J’espère seulement vous avoir donné envie de voir ce beau film, et qu’il vous touchera autant que moi.

Quant à vous, mon cher Bertrand, j’ai hâte que nos chemins se croisent à nouveau, au détour d’une salle obscure, d’un festival ou même d’un verre, tiens. En vous souhaitant d’ici-là bonne continuation.

 

1 S’il devait m’arriver malheur ces prochaines semaines, ne cherchez pas le coupable : c’est un coup du fantôme de Michel Warren, fondateur et grand ordonnateur de la Cinémathèque de Grenoble qui nous a quitté en 2015
2 L’appeau aux chimères : rencontre avec le cinéaste Bertrand Mandico, diffusée sur France Culture le 18 février 2017.
3 Mandico in the Box, chez Malavida (2 DVD).
4 Coffret Walerian Borowczyk, édité par Carlotta (8 DVD + 3 BRD gavés de bonus, plus deux livres).

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Cinéphiles, cinéphiles, mes chèr-e-s compatriotes,

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Cinéphiles, cinéphiles, mes chèr-e-s compatriotes,

Après vous avoir lâchement abandonné-e-s en plein milieu du bilan de l’année dernière, me voici de retour sur cet écran pour une énième tentative de rubrique régulière. Au menu de ce Journal d’un Cinéphage 1, heu… rien de bien original en fait : trois chroniques de films vus dans le mois, en l’occurrence un qui m’a laissé froid, un autre qui m’a réchauffé le cœur et un dernier qui a fait ressurgir, à son corps défendant, de bien vilaines frustrations cinéphiles. Et pour finir en beauté, un peu de placement de produit en lien avec ma plus grosse attente pour un mois de février qui s’annonce foutrement hallucinatoire.

 

Last Flag Flying de Richard Linklater, avec Steve Carell, Bryan Cranston et Laurence Fishburne

Face à Last Flag Flying, deux cas de figure : soit vous avez vu La Dernière corvée (The Last Detail, 1973), soit non. Hélas, j’appartiens à la première catégorie, et impossible d’aborder le nouveau film de Richard Linklater autrement qu’en le comparant à celui d’Hal Ashby. Basés tous deux sur des romans de Darryl Ponicsan, on comprend aisément que le réalisateur de Boyhood ait été attiré par le projet : les deux livres proposent, à 44 ans d’intervalle, une variation sur le même thème, soit trois personnages façonnés par l’armée et la guerre qui traversent les états-unis, mais à des époques différentes ; et si les protagonistes de Last Flag… ne sont pas exactement les même que ceux de The Last Detail, ils leur font écho par leur caractérisation et les années de plus au compteur.
Premier agacement : Dans le film de 1973, pur produit du Nouvel Hollywood, Ashby proposait un contre-champs assez déroutant à la guerre du Vietnam. Le road-movie traversait une Amérique fantomatique, sans repères après la guerre idéologique totale entre conservateurs réactionnaires et utopies libertaires qui s’est cristallisée autour du conflit, laissant au final les deux camps moribonds. Pas très original pour l’époque, me direz-vous ; sauf qu’en empruntant le regard de trois militaires de carrière désabusés qu’on aurait toutes les peines du monde à rattacher à l’un ou l’autre camp, le réalisateur proposait un éclairage pour le moins original. Et plus le film avançait, plus on prenait conscience de l’étendue des dégâts, avec un sentiment désagréable de gâchis et d’impuissance. Las, le film de Linklater a toute les peines du monde à confronter ses personnage à autre chose que la grande supercherie de la chose militaire, qu’ils vont d’ailleurs finir par embrasser à nouveau après l’avoir rejetée viscéralement en revenant du Vietnam. Et si le spectateur ressent à nouveau une impression de gâchis, c’est parce que le réalisateur a choisi de laisser hors-champs l’Amérique de George W. Bush que les personnage traversent sans jamais vraiment s’y confronter.
L’autre problème du film, c’est d’avoir casté Steve Carell. Soyons clairs : je trouve que c’est un acteur de comédie épatant, et je soutiens sans réserve ses incursions dans un registre plus sérieux 2 ; sauf lorsque ces deux aspects se télescopent. La séquence du train, où nos trois vétérans, hilares, partagent leurs souvenirs avec un jeune soldat, m’a fait littéralement décrocher du film. L’espace d’une scène, c’est le personnage débile que l’acteur incarnait avec brio dans les deux Anchorman d’Adam McQuay qui ressurgit, détruisant de fait la crédibilité de son jeu pour le reste du métrage. À côté de ça, même si la performance de Nicholson dans The Last Detail reste inégalée, celles de Bryan Cranston et Laurence Fishburne n’ont pas à rougir de la comparaison.

 

Pentagon Papers de Steven Spielberg, avec Meryl Streep et Tom Hanks

Le film se situe dans au début des années 70, mais nous ne sommes pas dupes : un président paranoïaque et roublard, la liberté de la presse menacée, le sempiternel combat entre le droit à l’information et le secret d’état, c’est de l’Amérique contemporaine qu’il s’agit. Avant de plonger au cœur du sujet, permettez-moi une petite digression. J’ai grandi dans les années 80, au milieu des blockbusters réalisés ou produits par Steven Spielberg. Ce qui explique à la fois une affection particulière pour le cinéma populaire étasunien et un rejet viscéral des premières velléités historicistes du réalisateur. Non, définitivement, l’idée saugrenue de filmer la Shoah en utilisant les codes du cinéma d’entertainment, ou la représentation du Débarquement en mode « la guerre comme si vous y étiez », très peu pour moi. Beaucoup d’eau aura coulé sous les ponts avant que je ne me laisse à nouveau séduire par son cinéma, jusqu’à ce que Lincoln enfonce le clou : Steven Spielberg est devenu un grand cinéaste américain, dont le regard compte autant que celui de Clint Eastwood.
Ce qui fascine d’emblée avec Pentagon Papers, c’est que le réalisateur refuse avec malice les codes du film de presse à l’américaine. Point de grandiloquence ici, le Post de Meryl Streep, dirigé par Tom Hanks, démarre la course au scoop avec une bonne longueur de retard, et n’entre réellement dans la danse qu’après les déboires judiciaires du New York Times. Et avec un tout petit peu d’opportunisme, pour ne rien gâcher. Spielberg préfère travailler en marge de son sujet, et s’il représente la contre-culture et les mouvements contestataires sous forme de clichés un tantinet agaçants, il accorde une place essentielle à ses personnages féminins. Évidement, il y a celui de Meryl Streep, qui va devoir s’émanciper de son temps et de son milieu en affrontant les fantômes de son père et de de son mari, leurs encombrantes amitiés politiques et une armada de conseillers mâles qui entendent lui dicter sa conduite. Comme on s’y attend, le personnage de Tom Hanks va l’accompagner dans cette quête, mais pas en la prenant par la main. C’est sa patronne, il travaille pour elle en tant que rédacteur en chef, et cette situation ne lui pose pas le moindre problème tant que chacun tient sa place. Et pour le coup, ce n’est pas l’expression du machisme de l’époque, bien au contraire : son personnage est le seul à ne pas la ramener à sa condition de femme, et s’il est aussi dur avec elle au début du film, c’est seulement qu’elle n’assume pas – encore – son rôle de patronne de presse. On passera sur quelques maladresses, comme cette stagiaire qui l’accompagne dans les couloirs du tribunal et l’admire un peu trop ouvertement, ou sur la haie d’honneur féminine qui l’escorte à sa sortie. Rappelons tout de même que le film a été mis en images plusieurs mois avant que l’affaire Weinstein n’éclate, au cas où des bien mal-pensants souhaiteraient taxer Spielberg d’opportunisme. Et cinématographiquement, quelle riche idée de nous avoir épargné la traditionnelle scène de procès. C’est dans la salle de rédaction que les journalistes apprendront, de la bouche de l’unique rédactrice du journal, le verdict de la Cour Suprême. Une scène magnifique, du même tonneau que la conclusion de Lincoln.

 

Fireworks, d’Akiyuki Shimbo et Nobuyuki Takeuchi

Tiens, puisque je parlais plus haut de découvrir un film à travers le prisme d’un autre, la sortie française de Fireworks résume assez bien le chemin de croix de l’amateur de cinéma japonais contemporain. Entendons-nous bien : je n’ai rien ni contre le film d’Akiyuki Shimbo et Nobuyuki Takeuchi, ni contre son distributeur, la société Eurozoom qui a toujours été un grand défricheur dans ce domaine. Le problème, c’est qu’ils doivent se sentir bien seuls. Très à la mode au mitan des années 90, avec en fer de lance les œuvres de Kitano et du studio Ghibli, on constate, vingt et quelques années plus tard, que le vent a tourné. Le cinéma Coréen l’a progressivement supplanté dans le cœur des distributeurs – et donc, des spectateurs –, et aujourd’hui, on se retrouve dans une situation pour le moins embarrassante : le seul cinéma japonnais qu’on peut voir sur grand écran est totalement déconnecté de ce qui se passe là-bas. Pour limiter les risques, les distributeurs misent sur les vieilles gloires festivalières qui, à l’exception du prolifique Kiyoshi Kurosawa, n’ont plus grand-chose d’intéressant à dire sur leur époque et leur pays. Vous trouvez que j’exagère ? Sérieusement, Naomi Kawase a-t-elle fait un bon film depuis l’envoûtant Shara ? Le nombrilisme kitanienne intéresse encore quelqu’un ? Doit-on réduire l’animation japonaise au moralisme takahatien, qui, depuis quelques années, a contaminé le cinéma de son coreligionnaire et celui des « héritiers » du studio Ghibli, Mamoru Hosoda en tête ?
Vous allez me dire, c’est la dure loi de la distribution : si on met de côté les cinématographies qui rapportent (en gros, le francophone européen et l’étasunien), le nombre de créneaux qui restent pour le tiers-monde du septième art (Amérique du sud, Asie, Afrique, Europe) est sacrément limité et incite à la prudence. Résultat des courses, la poignée de doux-dingues qui s’intéresse au cinéma japonais d’aujourd’hui n’a plus qu’à se tourner vers le marché de la vidéo. Mouais, sauf que là aussi, c’est un peu la misère. À l’exception des pachydermes sus-cités, peu de films originaux sortent chez-nous, et pas forcément dans les meilleures conditions. Non, franchement, pour avoir une idée de la production récente, il vaut mieux sortir son dico et traverser la Manche ou – et dieu sait que ça me fait mal de le dire – se rabattre sur le téléchargement illégal.
Mais revenons à nos moutons. À ma grande surprise, j’ai découvert dans Les Cahiers du Cinéma 3 que Fireworks était en fait le remake d’un téléfilm des années 90, encore très populaire au pays du soleil levant. Mieux, la séquence centrale du métrage, celle de la gare où les rêves adolescents viennent se fracasser sur la réalité du monde adulte, est une reprise plan par plan de l’original. Voilà. Comment, c’est tout ? Oui, sauf que ce n’est pas la première fois : il y a deux ans, j’ai découvert que le très sympathique Hana et Alice mènent l’enquête de Shunji Iwai, distribué par… Eurozoom, évidement, était en fait le prequel d’un film live de 2004, les deux actrices d’origine prêtant leurs voix aux doubles animés de leurs personnages. Inutile de préciser qu’il n’est jamais sorti chez nous, du moins légalement, et qu’il apporte un éclairage et une profondeur essentiels au film de 2016.
Sinon, bien qu’un cran en dessous de Your Name, Fireworks travaille avec bonheur les même thématiques, celles de la confrontation du temps réel aux « autres temps », qu’ils surgissent du passés ou, comme ici, qu’ils appartiennent aux chemins non empruntés du présent. Et croyez-moi, c’est autrement plus passionnant que la nostalgie réactionnaire du dernier Miyazaki 4.

Un peu de merchandising :

Connaissez-vous les univers joyeusement vénéneux de Bertrand Mandico ? En attendant avec une impatience folle la sortie en salle de son premier long-métrage le mois prochain (voir bande-annonce ci-dessous), et d’ici à ce qu’un éditeur nous propose une belle édition d’Hormona que j’ai lamentablement raté il y a deux ans, c’est le moment idéal pour se plonger dans ses premières œuvres. Pour une somme modique, vous pouvez acquérir un double DVD malicieusement appelé Mandico in the Box qui renferme, sinon son âme, au moins quelques aspects de sa personnalité déjantée. Les courts-métrages du réalisateurs sont d’une beauté proprement foudroyante et ouvrent tout un tas de portes dérobées sur l’autoroute de la cinéphilie mainstream. Bref, Mandico in the Box, c’est indispensable – et toujours disponible chez l’éditeur, Malavida, ce qui ne saurait durer !

Prochainement sur cet écran :

 

1 Toute ressemblance avec un fanzine moribond consacré au cinéma de genre n’est bien évidement pas fortuite pour un sou.
2 Il est épatant dans le Foxcatcher de Benett Miller, aux côtés de Channing Tatum et Mark Ruffalo.
3 Les Cahiers du Cinéma n°740 – janvier 2018, p.43. Sur le foisonnement du jeune cinéma japonais, on se reportera à l’état des lieux dressé par Stéphane du Mesnildot dans le n°715 (octobre 2015).
4 C’est ce qu’on appelle l’art de se faire des ami-e-s !

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Un Beau soleil intérieur de Claire Denis http://enrevenantducinema.fr/2017/11/03/beau-soleil-interieur-de-claire-denis/ http://enrevenantducinema.fr/2017/11/03/beau-soleil-interieur-de-claire-denis/#respond Fri, 03 Nov 2017 17:13:14 +0000 http://enrevenantducinema.fr/?p=2311 Passages nuageux

Un beau soleil intérieur est le portrait d’une femme, Isabelle, empêtrée dans sa vie sentimentale et sexuelle. On perçoit ce que voulait faire Claire Denis, un film qui … Lire la suite...

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Passages nuageux

Un beau soleil intérieur est le portrait d’une femme, Isabelle, empêtrée dans sa vie sentimentale et sexuelle. On perçoit ce que voulait faire Claire Denis, un film qui travaille la parole, le discours et l’accaparement de ce discours par le pouvoir qu’il soit celui de l’homme et/ou celui de la bourgeoisie. Ainsi on assiste à différents types de paroles, celle brutale d’un banquier ignoble, hésitante d’un acteur ou condescendante d’un ami, etc., et l’héroïne se trouve prise dans ces différents discours sans savoir ce qu’elle veut vraiment, elle hésite, en perd ses mots, prend le discours du pouvoir. Le projet aurait pu être intéressant théoriquement mais le film s’empêtre au diapason de l’héroïne.
Le début est très écrit jusque dans les hésitations surjouées, et puis on se dit que ce côté théâtral est volontaire, que ça travaille le faux, le trop, avec aussi un certain humour, on pense ainsi au personnage incarné par Katerine et au voyage dans le Lot (où sont tournées les meilleurs scènes, où on devine le film, drôle, cruel et absurde, que Claire Denis voulait peut-être faire), on se dit, ok, c’est un jeu de massacre, une farce, alors il aurait fallu aller plus loin dans cette direction mais la cinéaste revient très vite au film démonstratif qu’il était au départ. Claire Denis hésite entre la peinture proche du pamphlet d’un petit milieu, une comédie sentimentale, un film fantaisiste, une démonstration théorique mais ne choisit pas vraiment. On aime les films bancals, flottants, mais le problème est que là, ce non-choix fait que le propos initial se perd voire devient très confus.
Ainsi l’héroïne a différents partenaires sexuels mais veut trouver le grand amour, alors que les hommes, eux, ne pensent qu’à tirer un coup, à profiter d’elle, si on choisit dès le départ, la caricature pour bousculer les clichés, pourquoi pas, mais le fait de vouloir dire quelque chose de plus profond sur le monde tout en gardant aussi un ton badin de comédie donne l’impression d’avaliser cette idée que les hommes ne pensent qu’au sexe et que les femmes sont avant tout sentimentales, ce qui n’est pas le discours le plus transgressif et révolutionnaire qui soit de nos jours. Ce qui est renforcé par le fait qu’Isabelle (incarnée avec intensité, ce qui n’était pas évident, tant le personnage est chargé, par Juliette Binoche) semble toujours triste, toujours la larme à l’œil, victime bringuebalée.
Prenons un exemple, Isabelle a une relation avec un homme au rsa, un pauvre donc, et se retrouve ensuite à discuter avec un ami ou collègue du même monde qu’elle (elle est peintre et appartient à une certaine classe moyenne intellectuelle), ou plutôt elle subit son discours sur le fait qu’il n’est pas possible d’avoir une relation avec quelqu’un d’un autre milieu, mais le discours qu’il tient est tellement simpliste et explicite qu’on ne peut que se demander pourquoi elle ne réagit pas, il faut qu’elle soit quand même bien naïve pour s’y laisser prendre. On entend la critique d’une classe sociale étanche et méprisante sauf que le film redouble cela en ne laissant qu’une petite place à ce personnage de rsaste, qui drague, lui évidemment sans parler, juste par le corps, alors que tous les autres se noient dans les mots (ce qui est, là aussi, très stéréotypé) mais c’est la cinéaste et le scenario qui le dessine ainsi, et pas seulement le discours du personnage joué par Bruno Podalydès, c’est Claire Denis qui le cantonne derrière la porte comme elle cantonne aussi Isabelle dans une posture passive.
Ainsi, ce film s’intéresse à un milieu qui semble être celui de la réalisatrice, un monde culturel arrogant mais si ce milieu est critiqué, on n’en sort pas vraiment et la présence d’acteurs, actrices qui sont aussi souvent réalisateurs qui viennent faire une apparition (comme Valeria Bruni-Tedeschi par exemple) comme des voisins qui passeraient dire bonjour, accentue cette impression d’un entre-soi qui est pourtant censé être brocardé. Il y a alors un écart étrange et gênant entre un propos qui se veut cruel sur la violence symbolique du discours et une façon d’envoyer tout ça promener en se disant que finalement, ce n’est pas si grave comme la dernière tirade de Gérard Depardieu semble le souligner.
On sait que Claire Denis est capable de très beaux films, et justement, de savoir aller explorer différents univers (de Beau Travail à 35 Rhum en passant par White Material), c’est une cinéaste importante mais qui là, même si elle garde tout son talent pour filmer simplement les corps, la peau, etc. nous paraît taper à côté, en donnant l’impression de ne filmer qu’un petit monde mesquin refermé sur lui-même sans avoir grand-chose, finalement, à en dire.
Un Beau soleil intérieur de Claire Denis, France, 2017 avec Juliette Binoche, Xavier Beauvois, Alex Descas…

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Good Time de Ben et Joshua Safdie http://enrevenantducinema.fr/2017/09/27/good-time-de-ben-joshua-safdie/ http://enrevenantducinema.fr/2017/09/27/good-time-de-ben-joshua-safdie/#respond Wed, 27 Sep 2017 15:47:48 +0000 http://enrevenantducinema.fr/?p=2301 En surchauffe

Deux frères, un, Nick dont le cerveau semble au ralentit, au corps massif qui cache une tristesse profonde, l’autre, Connie, qui va trop vite, qui semble toujours en … Lire la suite...

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En surchauffe

Deux frères, un, Nick dont le cerveau semble au ralentit, au corps massif qui cache une tristesse profonde, l’autre, Connie, qui va trop vite, qui semble toujours en mouvement, aux aguets, en colère. L’alliance de ces deux êtres qui s’aiment et se soutiennent va les entraîner dans le mur.
Connie, en bon adepte du rêve américain comme il se découvre dans un discours énervé sur les losers, veut quitter la misère, il essaie de s’en sortir en s’activant mais plus il s’active, plus il s’enfonce comme pris dans des sables mouvants. Il y a un certain humour dans cette plongée dans la mouise, un humour grinçant mais jamais cynique, on ne rit (nerveusement) pas contre les personnages, on est avec eux. Connie ne semble pas comprendre ce qui lui arrive et finira hébété comme les spectateurs. Il pensait pouvoir réussir mais il reste un loser, il n’y a pas d’issue. Les héros de Good Time sont pour la plupart des marginaux, ça se passe la nuit au milieu des perdants d’une société violente et inégalitaire. Le monde est poisseux, dur, ça se bat, ça gratte, ça palpite, ça gueule, ça cogne, ça saigne, ça s’aime. Les héros sont dans une logique de survie, et ceux qu’ils croisent sont dans la même logique, ça se débrouille, deale, vole. Il n’y a pas de jugement, tout le monde fait ce qu’il peut. Peu de cinéastes savent filmer la rue et ses marges avec autant de justesse et de puissance que les Safdie, ils filment la pauvreté, la démerde, sans jamais chercher à l’embellir ni à la mépriser, sans discours moral surplombant, sans humanisme rassurant, ni complaisance, ni condescendance, on est juste là où ça se passe, où ça vibre, on est juste là en empathie avec les personnages (comme avec l’héroïne voleuse de The Pleasure of Being Robbed, avec le père perdu de Lenny and the Kids où les amoureux drogués et autodestructeur de Mad Love in New York, les précédents films indispensables des cinéastes) et de prendre des acteurs célèbres comme Robert Pattinson ou Jennifer Jason Leigh, comme le fait de se coltiner au genre du film de braquage, ne change rien à leur regard sur le lumpenproletariat. Ils regardent ce monde avec suffisamment d’amour pour ces paumés magnifiques pour qu’on soit profondément touché par ce qui leur arrive.
Parfois le filmage à l’arrache, à l’épaule tient lieu d’unique choix de mise en scène pour certains cinéastes peu imaginatifs voulant faire du cinéma coup de poing, tripale, ce n’est pas le cas ici, la mise en scène paraît au premier abord brute, rêche, au plus près des corps, des visages, toujours en mouvement mais il y a beaucoup plus que ça, il y a un travail sur les couleurs, sur leur saturation, sur le trop qui correspond à ce qui se passe dans la tête de Connie, où tout semble toujours aller trop vite, des couleurs primaires vives, du rouge, du jaune, du bleu, en aplat, des couleurs baveuses et pimpantes dans la noirceur d’une nuit qu’on ne quitte qu’à quelques instants, le travail sur la lumière est vraiment très beau, des reflets venant des téléviseurs, des feux rouges, la peinture qui éclate dans une voiture, des vitraux apparaissant en arrière-fond d’un couloir d’hôpital, ou les néons d’un parc d’attraction, etc, il y a une vraie recherche picturale qui n’est jamais ostentatoire. Le travail sur le son est tout aussi impressionnant, une musique omniprésente qui n’accompagne pas le film mais qui est une partie aussi importante que la partie visuelle, une musique stridente, qui crée une tension permanente et qui s’arrête parfois et là aussi la captation des sons, comme ceux des machines d’un hôpital par exemple, est très précise.
Le montage est tendu, on est comme en apnée, on a du mal à respirer au diapason d’un héros en surchauffe, qui semble fourmiller d’idées, on sent une pulsation dans le corps des acteurs (tous justes et intenses), on la sent presque physiquement. Les Safdie savent jouer sur les ruptures de rythme, tourner une première partie sous la forme d’un thriller sous amphétamine, ultra efficace pour ensuite prendre des chemins de traverse où la vie explose de partout, comme dans cette appartement où le héros se réfugie, il en faut peu par exemple pour faire exister ce personnage d’adolescente fataliste, on pourrait parler aussi de ce mini film (qui semble en vitesse accéléré) dans le film quand une personne rencontrée (de façon accidentelle) raconte comment il s’est retrouvé à l’hôpital. Et la dernière scène emporte tout, en écho à la toute première, elle est déchirante, ce retour au calme suite à la course folle de Connie est d’une tristesse et d’une noirceur infinie, tout est rentré dans l’ordre, tout le monde est à sa place, les désirs sont entravés, doit-on s’en réjouir ? Cette scène finale alors que le générique défile et que la voix d’Iggy Pop nous bouleverse, aurait pu mériter à elle-seule qu’on donne la palme d’or à Good Time, mais tant mieux, ils n’ont pas besoin de ce genre de distinction pour être aujourd’hui des cinéastes majeurs.
Oui, les frères Safdie sont bien les enfants bâtards de Cassavetes (comme tous les cinéastes étiquetés comme mumblecore) et Scorcese (on pense parfois à After hours entre autres), on peut trouver pire comme parrains. Ce ne sont pas les seuls rejetons de ces cinéastes mais ils en sont, assurément, les plus talentueux, tant ces influences évidentes ne les empêchent pas d’avoir un univers et un style très personnel qui nous foudroient.
Good Times de Joshua et Ben Safdie, EU, 2017 avec Robert Pattinson, Ben Safdie, Jennifer Jason Leigh, Taliah Webster, Buddy Duress…

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Les Fantômes d’Ismaël d’Arnaud Desplechin http://enrevenantducinema.fr/2017/05/25/les-fantomes-dismael-darnaud-desplechin/ http://enrevenantducinema.fr/2017/05/25/les-fantomes-dismael-darnaud-desplechin/#respond Thu, 25 May 2017 18:27:30 +0000 http://enrevenantducinema.fr/?p=2297

Plutôt la vie

Les Fantômes d’Ismaël entrelace plusieurs histoires pour ensuite les faire exploser en puzzle.
On entre sans avoir le temps de respirer dans un film d’espionnage avec un … Lire la suite...

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Plutôt la vie

Les Fantômes d’Ismaël entrelace plusieurs histoires pour ensuite les faire exploser en puzzle.
On entre sans avoir le temps de respirer dans un film d’espionnage avec un montage très brut, des ellipses rapides, donnant une impression de mouvement qui nous perd de suite. Des hommes en costard parlent d’un personnage s’appelant Dedalus, (jamais aussi bien nommé que par rapport à ce film), dont le passé semble obscur. On découvre vite que cette histoire d’espionnage est un film que tente d’écrire Ismaël (joué avec fièvre par Mathieu Amalric, le double récurrent d’Arnaud Desplechin), on suit alors ce réalisateur dans une maison au bord d’une plage, où revient un être aimé pensé disparu, on change alors de ton, le film se fait ostensiblement théâtral, puis ensuite sèchement, on passe à autre chose.
Le cinéaste est très fort pour nous désorienter, à chaque fois qu’on croit savoir vers quoi va le film, il prend une tangente rapide pour nous emmener ailleurs. À cette narration labyrinthique se rajoute un film truffé de références, parce que c’est avant tout un film sur le cinéma en général (même si on y trouve des références à d’autres arts, théâtre, peinture, etc), et sur le cinéma de Desplechin en particulier ou plutôt sur un double de Desplechin utilisant le cinéma pour combattre ses fantômes.
On trouve des références évidentes à Hitchcock (de Vertigo à Rebecca), on pense aussi à Bergman dans le discours final (qui n’est pas la meilleur partie du film) avec des réminiscences de Saraband, on pense au Woody Allen de Harry dans tous ses états dont la thématique est assez proche, etc.
En parallèle, ça abonde de référence à la propre œuvre du cinéaste, avec comme souvent des noms et prénoms qu’on trouve dans ses précédents films, de Dedalus évidemment à Sylvia, Esther, Ismaël, Ivan, etc. Il fait aussi jouer des acteurs qui semblent reprendre de précédents rôles, de l’Hippolyte Girardot de Rois et reine au Bruno Todeschini de La Sentinelle en passant par Laszlo Szabo figure paternel dans nombre de ses films, là aussi, les références se multiplient et finissent par nous engloutir.
On a parfois l’impression de plonger dans un délire obsessionnel dont le film Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle) (film générationnel pour de nombreux cinéphiles dont il a déjà fait un préquel avec Trois souvenirs de ma jeunesse) serait la pierre angulaire (de sa filmographie, de sa vie?).
Tout cela pourrait être vain si ces références n’étaient pas en même temps le sujet du film, Carlotta, incarnée par Marion Cotillard revient après avoir disparu 21 ans soit, grosso modo la période qui sépare Comment je me suis disputé donc (où l’actrice apparaît brièvement) et ce film, comme si hors de son cinéma elle disparaissait, comme si pour le cinéaste, ses films étaient une tentative de tisser une continuité, une cohérence, comme si son malheur était l’impossibilité de vivre hors de ce monde qu’il a lui-même crée, ce monde dont il a l’impression d’avoir la maîtrise.
C’est ainsi le portrait d’un cinéaste qui peuple son film de fantômes (un frère absent entre autres), de souvenirs pour accepter la vie avec son lot de perte, de séparation, de deuil. L’œuvre qu’il crée devient son unique réalité, que ce soit les personnages qu’il invente, les acteurs et actrices qui jouent pour lui, ou les références qui le nourrissent.
Ça mélange ainsi cette idée que le cinéma c’est essayer d’arrêter le temps, de vouloir que rien ne bouge, vouloir fixer les souvenirs et en même temps c’est être confronté à cette impossibilité, « le présent c’est de la merde » dit Ismaël.
C’est brillant, foisonnant, superbement filmé mais, et c’est déjà ce qu’on pouvait ressentir dans d’autres films récents de ce cinéaste, on a parfois l’impression qu’il se laisse envahir par cette intellectualité, que ce foisonnement référentiel, auto-référentiel, théorique, ces mises en abîmes successives camouflent une difficulté de plus en plus importante à laisser vivre une histoire, des personnages, des rencontres.
On objectera que c’est justement ça le thème, un cinéaste qui n’arrive pas à finir son film parce qu’il n’arrive pas se confronter au deuil, parce que ça le terrifie mais là ça va vite, trop vite d’un sujet, d’une idée à l’autre.
Quand on aime ce cinéaste, on se souvient de l’émotion intense dans la magnifique dernière heure d’Esther Khan, on se souvient encore et toujours de nombreuses scènes de Comment je me suis disputé (le coup de téléphone final pouvait arracher des larmes), ou on pouvait se sentir atteint par la violence du père de Rois et reine par exemple.
Si on ne retrouve pas cette émotion, de nombreuses scènes excitent quand même notre imaginaire, celles où Ismaël raconte à son producteur exécutif le film en train de se faire sont les plus belles, Desplechin arrive alors à nous faire ressentir la passion de la création, avec un montage entre des scènes filmées et des scènes où Ismaël nous raconte à l’aide d’objets divers ce qu’il imagine, c’est très fort, on reconstruit nous-mêmes, comme si on les voyait, les scènes manquantes.
Sont trop courtes hélas les scènes dans le train emmenant Ismaël dans le Roubaix de son enfance, on sent alors une tristesse qui affleure, on aimerait qu’il s’y arrête plus (même si le thème était déjà traité dans Conte de noël), là aussi, on a l’impression d’approcher quelque chose de touchant, mais le cinéaste s’en désintéresse.
Ainsi Les Fantômes d’Ismaël est ludique, intelligent, impressionnant mais juste on aimerait qu’Arnaud Desplechin se remettre à croire à la vie qui peut surgir d’une scène et pas seulement à la puissance narrative de son imagination et à la fluidité évidente de sa mise en scène, on aimerait parfois qu’il aille au cœur des choses, qu’il ne conçoive pas chaque scène en imaginant comment on peut la structurer, la déstructurer, la désosser ou l’orner de différentes références (ainsi par exemple la scène de sexe entre Carlotta et Ismaël manque singulièrement de sensualité parce que trop pensé, ne vivant pas par elle-même). Le cinéaste est lucide sur cette inflation intellectuelle, quand on voit Ismaël travaillant sur un projet de film sur la naissance de la perspective dans la peinture, (comme le héros du Spider de Cronenberg) tissant des fils entre des peintures, il semble alors en plein délire.
Il est évident qu’Arnaud Desplechin est un grand metteur en scène, que Les Fantômes d’Ismaël mériterait plusieurs visions pour voir tout ce qui est caché, que chaque tiroir qu’on ouvrirait révélerait quelque chose de neuf. Mais on voudrait lui dire comme on voudrait le dire à son héros, ralentis, respire, laisse advenir ce qu’il y a à advenir.
Les Fantômes d’Ismaël d’Arnaud Desplechin, France, 2017 avec Mathieu Amalric, Charlotte Gainsbourg, Marion Cotillard, Hippolyte Girardot, Laszlo Szabo…

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Le Blues du critique (épisode 11) http://enrevenantducinema.fr/2017/03/02/blues-critique-episode-11/ http://enrevenantducinema.fr/2017/03/02/blues-critique-episode-11/#respond Thu, 02 Mar 2017 14:42:02 +0000 http://enrevenantducinema.fr/?p=2224

Le Facteur humain

Au risque de passer pour une midinette en mal de glamour, j’éprouve une sincère affection pour la Cérémonie des Oscars, et ce depuis une certaine nuit de … Lire la suite...

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Le Facteur humain

Au risque de passer pour une midinette en mal de glamour, j’éprouve une sincère affection pour la Cérémonie des Oscars, et ce depuis une certaine nuit de mars 1995. Au-delà du frisson de la compétition, des aspects politiques qui accusent systématiquement un train de retard, et du côté grand-messe cathartique célébrant dans une parfaite indécence l’entre-soi et la consanguinité d’un milieu un tantinet détaché des réalités, ce qui m’avait fasciné à l’époque, et qui me pousse encore à m’intéresser à l’événement, c’est l’inévitable facteur humain.

Revenons en 1995, si vous le voulez-bien. Je me revois encore, à 3 heures du matin, les yeux au milieu de la figure, attifé comme l’as de pique, une canette de Coca dans une main et mes pronostics dans l’autre, terrifié à l’idée qu’un insomniaque squatte la salle télé de la résidence universitaire, à siroter de la mauvaise bière devant une rediffusion d’Histoires Naturelles. Ah, quelle époque ! J’étais jeune, j’étais beau, et je découvrais ma cinéphilie. Au-delà de la terrible bataille entre Zemeckis et Tarantino, qui tourna rapidement en eau de boudin pour le réalisateur de Pulp Fiction, le moment fort de la soirée fut sans conteste le discours de Martin Landau, oscarisé dans la catégorie du Best Supporting Actor pour Ed Wood – le meilleur film de Tim Burton avant sa tragique disparition artistique à l’orée des années 2000. C’est que je l’avais totalement oublié celui-là, alors que minot, je dévorais religieusement les épisodes de Cosmos 1999 chaque samedi. Quel plaisir de retrouver cet émouvant soixantenaire, s’efforçant de remercier toutes celles et ceux qui l’avaient accompagné tout au long de sa carrière ; parce qu’à son âge, recevoir ce prix, c’était un peu l’équivalent d’un Oscar d’honneur. Mais voilà que retentit l’insupportable musique, ce garde-fou imbécile dressé contre ces foutus saltimbanques, incapables de respecter le minutage imposé avec leurs remerciements à rallonge et leurs débordements lacrymaux. « Eh Coco, t’es bouché ou quoi ? On a dit : ‘coupez !’ Le credo de l’industrie, c’est : le temps, c’est de l’argent ! Y’a les annonceurs qui trépignent en coulisse, et vu les taraux mon petit pote, t’es gentil, tu prends ton jouet et tu dégages fissa de mon plateau que je lance la pub ! ». À l’époque, j’ai trouvé ça d’une violence inouïe, mais comme je vous l’ai avoué plus haut, c’était ma première fois. Là où on a touché au sublime, c’est un peu plus tard dans le déroulé de la retransmission. Comme vous le savez sans doute, la remise des prix est suivie pour les lauréats d’un photoshoot officiel dans les coulisses, histoire de ne pas parasiter le déroulement du show. Et pour ne rien gâcher, ça permettait de meubler les temps-morts du direct avec des inserts glamour sur des reines de beautés se pavanant avec l’équivalent du PIB d’Haïti sur le dos. Et là, moment magique entre tous, la caméra y retrouve l’ami Landau, micro en main, fier comme Artaban au pied du podium, à terminer tranquillement son discours de remerciement devant un parterre de journalistes.

Cette année, la cérémonie avait lieu dans la nuit du 26 au 27 février, mais j’ai sagement attendu quelques jours avant de la visionner. Vous comprenez, à mon âge, ça n’aurait pas été raisonnable de m’infliger les commentaires lénifiants d’un Laurent Weil, épaulé cette fois par un déplorable sociétaire de la comédie française, le définitivement-pas-drôle Jérôme Commandeur qui eut l’insigne honneur de présenter les Césars deux jours plus tôt. Que voulez-vous, on a les maîtres de cérémonie qu’on mérite… Passons rapidement sur les généralités attendues : Rectification du tir au niveau de la représentation des minorités, volée de bois vert à l’encontre du nouveau chef du monde libre, et blagounettes entre le présentateur Jimmy Kimmel et son souffre-douleur favori, l’acteur Matt Damon1. Je ne vais pas non plus détailler le palmarès, si vous tenez vraiment à savoir qui de Robert McKenzie ou de Sylvain Bellemare à remporté la statuette du meilleur montage son, Internet est votre ami. Je vais me contenter de revenir sur trois moments que j’ai trouvé particulièrement… humains.
Commençons par l’acteur Mahershala Ali, premier récompensé de la soirée dans la catégorie Best Supporting Actor. Il concourait avec deux cadors de la profession, desservis cette année par des films médiocres : l’immense Michael Shannon et cette vieille baderne de Jeff Bridges. Lorsqu’Alicia Vikander annonce son nom, l’acteur de Moonlight, assis au premier rang, se lève pour rejoindre la scène sous un tonnerre d’applaudissements. Quand il arrive à la hauteur de Jeff Bridges, ce dernier lui claque amicalement l’épaule avec un franc sourire. Mahershala met un instant à réaliser, rebrousse chemin et échange avec l’acteur de Comancheria une poignée de main empreinte d’un profond respect. Un geste d’une grande classe.
Autre moment
en apesanteur, la remise de l’Oscar pour le meilleur mixage son. Alors oui, je sais, présenté comme ça, mais jugez plutôt : Cette année, le lauréat n’était autre queKevin O’Connell, récompensé pour son travail sur Tu ne tueras point, la dernière folie de Mel Gibson. Comment, vous ne connaissez pas Kevin O’Connell ? C’est pourtant une légende vivante à Hollywood ! On le considérait jusqu’ici comme le membre le plus poissard de l’Academy. Rendez-vous compte : il a fallu qu’il attende sa 21ᵉ nomination pour enfin décrocher sa statuette ! Je vous laisse imaginer l’émotion du bonhomme au moment des remerciements.
Et
comment ne pas évoquer le dénouement abracadabrantesque de la soirée ? Si vous avez manqué l’épisode, voici un rapide résumé des faits : Sur scène, Warren Beatty et Faye Dunaway, choisis pour célébrer le cinquantenaire de Bonnie & Clyde, doivent remettre l’Oscar du meilleur film. En décachetant l’enveloppe, Beatty hésite. Il montre le carton à Faye Dunaway qui croit à une mauvaise blague de son petit camarade. Elle lui prend des mains et annonce le vainqueur : La La Land. Standing ovation dans la salle, l’équipe du film monte sur scène pour récupérer son prix, sauf qu’on commence à voir débarquer sur le plateau des officiels venus des coulisses. Quelque chose ne tourne pas rond et tout à coup, le producteur Jordan Horrowitz interrompt le discours de son collègue pour annoncer, preuve à la main, que ce n’est pas son film, mais Moonlight qui a remporté l’Oscar. On se retrouve donc avec une bonne vingtaine de gens totalement éberlués sur scène, et un public médusé qui ne panne rien à rien. Warren Beatty insiste pour reprendre le micro et s’expliquer : on ne lui aurait pas remis la bonne enveloppe en coulisses, son carton indiquait « Emma Stone, La La Land ». En fait de grain de sable, c’est carrément une tempête saharienne qui s’est abattue sur le Dolby Theatre.

Que retenir de ce qui restera sans-doute comme la plus belle bourde de l’histoire des Oscars ? Déjà, qu’il vaut toujours mieux tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de… commencer à vomir son fiel sur les réseaux sociaux. Nous vivons décidément une époque formidable, où les gens se sentent obligés de s’emballer sur tout et n’importe quoi sans que quiconque leur ait demandé leur avis, en moins de 140 caractères et à la vitesse de l’éclair. Ainsi, j’ai pu lire des commentaires parfaitement odieux sur le site d’un certain Mark Z., du genre : « C’est ce qui arrive quand on confie un boulot sérieux à un vieux pas fichu de lire correctement un nom sur un carton. » Que la douce Emma, à chaud en coulisses, explique naïvement aux journalistes que ça ne pouvait pas être son enveloppe puisqu’elle l’avait gardée, insinuant par-là que Beatty avait raconté n’importe quoi, passe encore. Elle est beaucoup trop jolie pour que je lui en veuille et visiblement, elle ignorait qu’il existe des enveloppes de secours, au cas où. Mais toi, le facebookien anonyme à l’incontinence verbale assassine, tu n’as pas la moindre excuse et je te maudis sur cinq générations. T’attaquer ainsi à Warren Beatty, figure incontournable du Nouvel Hollywood, réalisateur passionnant et engagé s’il en est, sans avoir eu la décence d’attendre que les explications tombent, je trouve ça d’une dégueulasserie sans nom. Ah, mais voilà que j’entends la musique honnie, il faut donc que je me dépêche de conclure cette chronique sous peine de me faire sauvagement couper. Au-delà des théories plus farfelues les unes que les autres qui ont fleuri un peu partout pour expliquer l’incommensurable bévue et qui, je dois l’avouer, m’ont bien fait rigoler2, j’ai surtout éprouvé un immense soulagement en apprenant cette mésaventure. Je m’explique : jusqu’ici, j’étais persuadé que c’était du chiqué, que les lauréats étaient prévenus avant la cérémonie et devaient feindre la surprise. Oh, pas forcément tous, hein, mais au moins les protagonistes du Big Five 3. Eh bien, non, et c’est une sacrée bonne nouvelle. Et puis ce genre de tuile, ça nous rappelle que malgré l’obsession du contrôle chère à Hollywood, l’industrie du cinéma reste humaine, donc faillible. Et ça aussi, c’est foutrement rassurant. Enfin, pas pour tout le monde, hein, le stagiaire chargé de remettre les enveloppes aux intervenants et qui, parait-il, était en train de twitter au lieu de faire son job, risque d’avoir un peu de mal à décrocher un CDI à la Cité des Anges

Pendants ce temps-là, dans les locaux de la rédaction…
— « Tiens, salut Baptiste ! Alors, vieux camarade, ça biche ?
— Oui, oui , « ça biche », comme tu dis. Je vois que tu as un écrit un nouvel article, et sans attendre six mois ?
— Ouais, hein ? Je me sens motivé ces derniers temps, un truc de dingue !
— C’est bien, c’est bien. Mais tu n’aurais pas oublié un truc ? Voire deux ?
— (…) Ah oui, d’accord ! Je vois ce que tu veux dire. La suite de mon bilan 2016, c’est ça ?
— C’est ça.
— Alors, tu vas rire, mais j’avais tout bien préparé, et vachement en avance, sauf que…
— … Sauf que quoi ? Le chien de ta mamie a mangé la clef USB, c’est ça ?
— Euh, comment tu as dev… ? Ah, d’accord… Je te l’ai déjà sortie, celle-là ?
— (…)
— Bon, promis-juré, je… Ben, pourquoi tu lèves les yeux au ciel ?
— Et si tu t’activais un peu, au lieu de promettre des trucs ? Je sais bien qu’on est en période électorale, mais franchement…
— OK patron, message reçu, je m’y colle de suite. »

(To be continued…)

1 Cette fausse rivalité entre l’acteur et le présentateur dure depuis plus de dix ans. Évidement, dans la vraie vie, ce sont les meilleurs potes du monde.
2 Allez, je ne résiste pas au plaisir de vous livrer la mienne, de théorie fumeuse : En fait, c’était un coup monté par Warren Beatty et les producteurs de La La Land. Ces derniers ont promis d’éponger l’ardoise de l’acteur-réalisateur après le plantage en règle de son dernier film au box-office étasunien en échange de ce coup de com’ improbable. Parce que bon, soyons honnêtes, hein ? De vous à moi, dans cinq ans, qui se rappellera de Moonlight autrement que par « Mais si, tu sais bien, le film qui a eu l’Oscar alors qu’on l’avait d’abord donné à La La Land ! » ?
3 On surnomme ainsi les cinq catégories reines de la cérémonie : Meilleur Film, Meilleur Réalisateur, Meilleur Acteur, Meilleure Actrice et Meilleur Scénario (subdivisé en deux : Meilleur Scénario Original et Meilleure Adaptation)

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The Fits d’Anna Rose Holmer http://enrevenantducinema.fr/2017/02/04/the-fites-danna-rose-holmer/ http://enrevenantducinema.fr/2017/02/04/the-fites-danna-rose-holmer/#respond Sat, 04 Feb 2017 17:03:09 +0000 http://enrevenantducinema.fr/?p=2204 Convulsions

Dès les premiers plans de The Fits, on comprend qu’on assiste à la naissance d’une nouvelle cinéaste qui va devenir importante.
L’histoire paraît simple, une fille (Toni incarnée … Lire la suite...

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thefitsConvulsions

Dès les premiers plans de The Fits, on comprend qu’on assiste à la naissance d’une nouvelle cinéaste qui va devenir importante.
L’histoire paraît simple, une fille (Toni incarnée avec intensité par Royalty Hightower) s’entraîne à la boxe dans un centre sportif avec son frère mais veut intégrer un groupe de danseuses qui répète dans une autre salle. Est-ce qu’elle va réussir à s’adapter, est-ce qu’elle va devoir quitter la complicité qu’elle partage avec son frère, on présuppose un récit d’initiation, ça pourrait être le sujet du film, c’est un peu ça mais ce n’est pas vraiment ça parce que justement ce n’est pas un film à sujet et heureusement. On est plutôt en empathie avec une héroïne qui observe un nouveau terrain de jeu, qui observe les autres filles et aussi son propre comportement par rapport à elles, comment elle s’approprie un nouvel espace, des nouveaux codes et comment son corps rentre en interaction avec cet espace et ces codes. Mais là aussi, la cinéaste ne donne pas toutes les clés, on ne sait pas trop si elle s’adapte ou reste extérieur, ou si elle explore sa propre voie.
Nous sommes dans une bulle, les parents restent en retrait, l’aspect social apparaît en filigrane.
La cinéaste ouvre de nombreuses pistes d’interprétations possibles (est-ce que c’est un film sur la séparation genrée, sur l’appartenance à un groupe, sur les rituels de passage, la cinéaste ne tranche pas) tout en étant très physique, très ancré dans des lieux (une salle de sport, une cité), dans des pratiques (la boxe, la danse avec à chaque fois une précision dans les gestes et leur captation), surtout elle est au plus proche de son héroïne, on ressent les choses à sa hauteur. Il y a une sûreté dans le regard d’Anna Rose Holmer, elle impose très vite une respiration personnelle, une fluidité, elle prend le temps de filmer l’inscription des corps dans l’espace, de filmer les regards, la peau, le trouble, les interrogations, il y a peu de dialogues, on est tout de suite au plus près de Toni et on ne va plus la lâcher. Et les événements étranges qui vont apparaître résonnent avec le sentiment d’étrangeté que Toni ressent face à un nouvel univers, ce nouveau ring qu’elle va explorer.
La cinéaste échappe à l’exercice de style par le regard attentif qu’elle porte sur ceux et celles qu’elle filme. Elle insuffle une force, un souffle, une énergie à ces personnages (et aussi à nous, spectateurs) et les plus beaux moments sont ceux où les corps se libèrent comme dans la danse finale magnifique (et casse-gueule par sa soudaine magie) ou dans cette visite du centre sportif la nuit par Toni et Beezy habillées d’uniformes scintillants. Le travail sur le rythme, sur la pulsation est impressionnant. Le film alterne des moments de stase avec de brusques accélérations comme ces plans en légère contre-plongée qui semblent aspirer par les corps qui se mettent soudainement en mouvement, comme si on avait un léger retard sur eux avant de les rattraper. La réalisatrice suit le tempo d’un entraînement, entre moments de détente, de repos et moments où l’on agit, danse, répète, les danseuses répètent les pas comme la cinéaste répète des motifs, revient sur les mêmes endroits, un pont, la façade d’un immeuble, un escalier, là aussi, on est dans l’épure, pas besoin de grand-chose pour faire exister ces lieux. L’ensemble peut paraître minimaliste mais ouvre tellement de lignes de fuite qu’on ressent une densité à chaque instant.
On peut l’affirmer ici, Anna Rose Holmer va devenir une grande cinéaste, de celles dont on va attendre les prochaines propositions avec impatience et curiosité.
The Fits d’Anna Rose Holmer, 2016, EU avec Royalty Hightower, Alexis Neblett, Da’Sean Minor…

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Bilan de l’année 2016 (1) http://enrevenantducinema.fr/2017/01/08/bilan-de-lannee-2016-1/ http://enrevenantducinema.fr/2017/01/08/bilan-de-lannee-2016-1/#comments Sun, 08 Jan 2017 18:53:10 +0000 http://enrevenantducinema.fr/?p=2157

Chères lectrices, chers lecteurs, merci de nous rejoindre pour cette première remise des prix ERDC 2016 ! Quel bonheur, quelle joie incommensurable de vous retrouver sur ce blog après une si … Lire la suite...

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Chères lectrices, chers lecteurs, merci de nous rejoindre pour cette première remise des prix ERDC 2016 ! Quel bonheur, quelle joie incommensurable de vous retrouver sur ce blog après une si longue absence. Pour être parfaitement honnête, j’avais perdu le goût. Oh, pas celui d’écumer les salles obscures, on ne se refait pas, mais celui d’écrire sur le cinéma. Allez, n’en parlons plus, une nouvelle année pleine de promesses cinéphiles commence, quelle meilleure occasion de reprendre la plume ? Je sens qu’une question vous taraude : qu’est-ce que c’est, les prix ERDC ? Eh bien, il s’agit de dresser le bilan de l’année 2016 sous la forme d’une…

— « Guillaume ? C’est toi qui parles tout seul ?
— Ah, mon Baptiste ! Quelle merveilleuse surprise !
— Ouais… Et puis c’est pas comme si tu m’avais demandé de venir…
— N’empêche, ça me fait rudement plaisir de te voir !
— Moi aussi, moi aussi… Et sinon, tu peux me dire ce qui se passe, là ?
— Ben, c’est la cérémonie de remise des prix ERDC. C’était écrit sur ton invitation.
— (…) D’accord, mais plus précisément, c’est quoi cette histoire de remise de prix ?
— Ben, c’est pour marquer la fin de l’année cinématographique. Faire le bilan, quoi.
— Tu pouvais pas te contenter d’un top ten, comme tout le monde ?
— Euh, ouais, mais tu vois, mon bilan est un peu plus compliqué que ça. Et puis bon, aligner une liste de films, comme ça, en les sortant de leur contexte… J’veux dire, déontologiquement parlant, tu m’as compris, quoi. Et franchement, le côté cérémonie, ça fait classe, non ?
— (…) Et pourquoi tu m’as demandé de venir au juste ? Parce que soyons clair, ce truc-machin de remise de bidules, ça n’est que ton avis à toi, hein, pas celui de la rédaction du site !
— Oui, oui, on est d’accord, c’est juste mon avis personnel à moi que j’ai. Mais pour la forme, vaut mieux être deux. Ça fait moins cheap
— (soupir) Et je dois faire quoi du coup ?
— Ah, mon Baptiste, ton enthousiasme me va droit au cœur ! T’inquiète, j’ai tout préparé, tu suis mes instructions et ça va le faire ! »

 

animation

Catégorie « Meilleur film d’animation »

Ah, l’animation ! Encore trop souvent considérée comme un simple « truc pour les mômes », c’est pourtant un formidable moyen d’expression pour toucher aussi bien les adultes que…

— « Euh, t’es sérieux, là ? Tu vas nous pondre une intro’ pour chaque catégorie ? Et juste pour me faire une idée, t’en as prévu combien au juste, de catégories ?
— Euh… dix.
— (…) Dix ? Comme dans top dix ?!
— Ouais, je vois où tu veux en venir. C’est plus compliqué que ça, en fait. Y’a aussi des mentions spéciales, quelques hommages, et pis parfois y’a des ex-æquo, et…
— Nan, mais c’est bon, j’ai compris. On en a pour des plombes, quoi. C’est qui, les nominés dans ta catégorie animation, du coup ?
— On dit : « c’est qui les nommés ». Alors, les nommés sont : Tout en haut du monde, Hana et Alice mènent l’enquête, Kubo et l’armure magique, Ma Vie de Courgette et Louise en hiver. Là, c’est à toi.
— (…)
— L’enveloppe, là…
— Ah oui. Bon, alors, and the winner is, roulements de tambours pendant que je décachette… Euh, tu as dû te tromper, là… Non ? T’es sûr ? (…) Bon, ben le vainqueur, c’est tous les cinq. Faudrait que je prenne deux minutes pour t’expliquer le principe d’une remise de prix… »

N’en déplaise à mon coreligionnaire, comment voulez-vous départager nos cinq lauréats ? Car oui, chères lectrices, chers lecteurs, 2016 fut une année exceptionnelle pour le cinéma d’animation.
Dans Tout en haut du monde, Remy Chayé nous propose de suivre Sacha, une jeune aristocrate Russe du XIXe siècle qui part à la recherche de son grand-père explorateur disparu alors qu’il s’attaquait au pôle nord sur un magnifique navire de sa conception. La forme surprend, les dessins intégralement composés sur ordinateur ne présentant que des aplats de couleurs, sans les contours. Le récit, forcément initiatique, est un formidable appel à l’aventure qui emprunte autant aux Voyages Extraordinaires de Jules Verne qu’aux récits de Shackleton. Sobre, parfois cruel, bouleversant, le film rappelle avec bonheur qu’on n’a pas toujours besoin de verser dans la surenchère et le fantastique pour tenir nos chères têtes blondes – et leurs parents – en haleine.

Hana et Alice mènent l’enquête, du japonais Shunji Iwai, pointe du doigt les faiblesses de la distribution des films asiatiques en France. Si ce long-métrage à l’esthétique particulière1 peut se suffire à lui-même, il s’agit en fait du prequel d’un film live tourné en 2004 par le réalisateur, hélas invisible chez nous puisque jamais distribué en salle ou édité en vidéo. Les deux actrices d’origine, qui ont bien grandi depuis, prêtent leurs voix aux personnages animés, et avoir vu le premier film décuple le plaisir du spectateur2. Toujours est-il qu’Hana et Alice… nous entraîne avec délicatesse dans le sillage de deux adolescentes japonaises à peu près comme les autres. Un autre genre de récit de voyage, donc, avec ses joies, ses peines, ses difficultés insurmontables et ses moments en apesanteur. Un pur délice.

Si nous restons au pays du soleil levant avec notre troisième lauréat, c’est des États-Unis que nous vient Kubo et l’armure magique, traduction plus qu’approximative de Kubo and The Two Strings du studio Laïka. Approchez, petits et grands, approchez ! Venez donc, que tonton Guillaume vous raconte une merveilleuse histoire ! Il était une fois Travis Knight, un fils-à-papa comme on les adore en Amérique et comme on adore les détester par chez nous. Mais attention, hein, je ne vous parle pas d’un trust fund baby lambda, mais du fiston au co-fondateur de Nike. « Alors mon petit Travis, qu’est-ce qui te ferait plaisir pour noël ? » « Papa, je veux un studio de cinéma d’animation ! » Et j’arrête tout de suite de me moquer parce que le studio en question, Laïka, c’est ce que les États-Unis nous ont proposé de mieux dans le domaine depuis quoi… Pixar ? Jugez plutôt : Coraline (2009), d’Henry « L’Étrange Noël de mister Jack, c’est moi ! » Selick, le plus que recommandable L’Étrange pouvoir de Norman (2012) et le « un petit peu moins réussi, mais quand même » Boxtrolls (2014). Restait donc au patron du studio à faire ses preuves derrière la caméra. Fidèle à la stop-motion, mais en la combinant avec les dernières innovations en matière prise de vue, le film est déjà un vrai régal visuellement parlant. À une époque où les grands studios ne jurent plus que par l’animation informatisée « en 3D », on n’insistera jamais assez sur la capacité de l’animation en volumes à stimuler l’imagination et à donner – sans jeux de mot – corps aux personnages. Surtout que là, et sans dénigrer le moins du monde le savoir-faire d’Aardman ou du film que j’évoquerai ensuite, la technique atteint un niveau de maîtrise proprement incroyable. Le tout au service d’une histoire de famille passionnante et originale qui ne cède jamais à la facilité. C’est une des forces des productions Laïka : ne pas sous estimer l’intelligence de son public cible sans toutefois verser dans l’animation « pour les parents qui viendront avec leurs mômes comme alibi » chère à la concurrence.

Retour en France – en passant par la Suisse, c’est une coproduction –, mais toujours en stop-motion avec Ma Vie de Courgette de Claude Barras, tiré d’un roman de Gilles Paris et scénarisé, entre autres, par Céline Sciamma. J’ai été pour le moins surpris par l’accueil glacial que lui a réservé Les Cahiers du Cinéma où Joachim Lepastier reprochait au film son manque de prise de risques. C’est oublier un peu vite que le métrage s’adresse d’abord à des enfants de 7 ans et qu’il aborde des sujets aussi difficiles que la mort et l’enfance abandonnée. Alors oui, les personnages sont stéréotypés et tout finit par rentrer dans l’ordre, mais j’ai envie de dire : tant mieux. Pour en avoir discuté avec des spectateurs en sortie de salle, Ma Vie de Courgette a le mérite de toucher adultes et enfants, et d’amorcer entre eux des discussions pas toujours évidentes. Mais le film va largement au-delà de son sujet, que ça soit dans l’infinie délicatesse de son traitement, toujours à hauteur d’enfant comme le soulignent les choix esthétiques, et toujours équilibré entre le rire – le policier victime de bombes à eau – et l’émotion – la mort hors-champs de la maman de Courgette, le retour sur les lieux drame. Et puis entendre Les Bérus et une reprise de Noir Désir dans un film, on dira ce qu’on veut, ça fait toujours quelque chose…

Et pour clore cette année exceptionnelle, Louise en hiver de Jean-François Laguionie, nous raconte les aventures d’une vieille dame qui se retrouve toute seule dans une ville balnéaire fantôme après avoir raté le dernier train de la saison. Un récit en partie autobiographique puisque les flash-back dans l’enfance du personnage sont tout droit issus des souvenirs du réalisateur, âgé de 78 ans. Un film sur les cycles de la vie et sur la vieillesse qui, n’en déplaise à une partie du public, a l’intelligence de prendre son temps, dans tous les sens du terme. Cette langueur permet à l’imagination du spectateur de vagabonder entre les scènes et de superposer ses propres souvenirs à ceux de Louise. Ainsi, et sans jamais l’imposer, le film nous invite à réfléchir sur notre propre rapport au temps.

— « Euh, en parlant de rapport au temps, ça serait peut-être pas mal d’accélérer le mouvement si tu ne veux pas qu’on y passe la nuit…
— « Oh, l’autre ! Je lui parle de langueur et…
— C’est quoi, ta catégorie suivante ?! »

 

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Catégorie « Retour en grâce »

S’il arrive souvent de retrouver de mauvais acteurs aux génériques de bons films, c’est beaucoup plus rare de voir un réalisateur médiocre sortir de son chapeau un diamant. Bon, d’accord, en fait, ça n’est pas si rare que ça, mais c’est un foutu déchirement de l’admettre. Prenez David Fincher, par exemple. Il m’a fallu un bon moment pour dépasser ma mauvaise foi et admettre publiquement que sa carrière est devenue passionnante depuis Zodiac. Ce qui ne m’empêche pas de continuer à détester cordialement ses premières œuvres, Seven et Fight Club en tête. Mais comme je ne sais plus quelle publicité nous l’a matraqué dans les années 80, il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis.

Mademoiselle est un des plus beaux films que j’ai vu cette année, et Dieu sait si j’ai du mal avec Park Chan-wook. Que voulez-vous, c’est la faute aux Cahiers du Cinéma et à cette satanée politique des auteurs. Si j’étais tombé dans Positif à l’époque, croyez-moi, ça m’aurait grandement facilité la cinéphilie. J’ai découvert le réalisateur coréen en 2003 avec Old Boy qui m’est littéralement resté en travers de la gorge. Oh, pas au niveau de la virtuosité, je vous rassure : impossible de ne pas reconnaître les immenses qualités de mise en scène du bonhomme. La fameuse scène dite : « si j’avais un marteau » est proprement époustouflante. Mais le film a provoqué chez moi une forme de rejet quasi-physique. Je l’ai trouvé profondément et intrinsèquement malsain. Attention, hein, je ne parle pas du propos – celles et ceux qui me connaissent peuvent témoigner, je ne suis pas du genre à m’effaroucher devant la première déviance venue –, mais de son traitement que j’ai trouvé pour le moins complaisant et ambigu. Et s’il y a bien une chose que j’ai retenue au cours de mon parcours cinéphile, c’est que si un film vous met mal à l’aise sans que vous ne puissiez vous raccrocher à quoi que ce soit – second degré, naïveté ou même complaisance mercantile –, c’est qu’il y a un problème. J’ai donc immédiatement rangé le sieur Park dans la catégorie « trop louche pour être honnête » et depuis, j’ai soigneusement évité sa filmographie. Jusqu’à Mademoiselle, donc. Pour quelle raison ai-je rompu un pacte tacite vieux de 13 ans avec moi-même ? Un faisceau de circonstances, votre honneur. Une irrépressible envie de cinéma asiatique sur grand écran, déjà. Le harcèlement de certain-e-s membres de mon entourage et un article dans les Cahiers. Et l’affiche, que je trouve magnifique à une époque où c’est de plus en plus rare… Bon, d’accord, le film passait à trois cents mètres de chez moi et j’avais une place gratuite à utiliser.

Construit en trois actes qui correspondent à trois points de vue différents sur la même histoire, j’ai eu peur d’être tombé dans ce que j’appelle affectueusement un « film de petit malin », où la construction narrative et les inévitables twists mènent le spectateur par le bout du nez afin de cacher la médiocrité de la mise en scène ou du discours. Mais j’ai vite compris que cette architecture était au service de la richesse et de la profondeur du film. Chaque partie semble à la fois indépendante et indissociable à l’ensemble, un véritable exploit qui s’explique par l’attention minutieuse et égale que le réalisateur accorde à chacune. Le premier acte est d’un classicisme bluffant, le second d’une sensualité enivrante et le troisième, forcément violent et ironique, vient clore ce beau conte cruel de la plus belle des manières. Un véritable travail d’orfèvre, mais toujours au bénéfice du spectateur. J’en connais un qui va devoir réévaluer la filmographie de Park Chan-wook, moi…

— « Baptiste… Baptiste ? C’est à toi, là…
— (…) Hein ? Oh, excuse-moi, je m’étais assoupi. Faut que je fasse quoi, maintenant ?
— Faut que tu lances la séquence suivante… »

 

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Ces films que nous avons ratés…

Chaque année, des dizaines de films finissent dans les oubliettes de l’histoire. Pour la plupart, c’est un acte volontaire, politique même, qui s’inscrit dans une démarche salutaire de refus de la médiocrité. D’autres, hélas, sont victimes des aléas de la vie. Trop longs, trop loin ou victimes collatérales de plannings impossible, ils ne méritaient pourtant pas ce traitement indigne de leur stature. Si vous le voulez-bien, recueillons-nous un instant en leur mémoire…

Aquarius, de Kleber Mendonça Filho
Toni Erdmann, de Maren Ade
Un Jour avec, un jour sans, de Hong Sang-soo
Rester vertical, d’Alain Guiraudie
Ma Loute, de Bruno Dumont
Le Bois dont les rêves sont faits, de Claire Simon
Brooklyn Village, d’Ira Sachs
L’Ornithologue, de João Pedro Rodrigues

Nous ne vous oublierons pas. Enfin, je me comprends…

— « Ça y est ? C’est fini ? Je peux rentrer me coucher ?
— Euh, disons que tu peux faire une pause. C’est la fin de la première partie.
— (…) Première sur combien… ?
— Mmmm… sur trois… ? »

1 Il a été entièrement réalisé en rotoscopie, une technique qui consiste à filmer des acteurs en motion-capture, puis à « redessiner » par-dessus avant d’intégrer le résultat sur des fonds dessinés traditionnels. On obtient ainsi des mouvements très réalistes. Cette technique fut notamment popularisée par Ralph Bakshi, avec un rendu assez impressionnant – les Nazgûls de son Seigneur des Anneaux sont autrement plus inquiétants que ceux de Peter Jackson !
2 Et ne venez pas me demander de vous expliquer comment faire pour le voir, hein, bande de sacripants !

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