La Dernière piste de Kelly Reichardt

A l’os

Old Joy, le premier film de Kelly Reichardt posait les jalons de son cinéma, tous ceux qui l’ont vu se souviennent d’un film très épuré sur deux anciens amis se retrouvant pour une promenade dans la montagne à la recherche d’un point d’eau, un film qui par petite touches nous faisait partager la joie mêlée de tristesse de ces retrouvailles, du temps qui passe, tout en étant très attentif à la nature, à sa présence, à ses bruits, un petit bijou qui reste dans la mémoire.
Dans la Dernière piste, film où un groupe de pionniers se perd dans les grands espaces américain, nous retrouvons toutes ces qualités, de très beaux plans de femmes en robes sur une terre aride, la roche creusée de signes indiens, le soleil écrasant, les nuages voilant la lune, bref un paysage qui vibre à chaque instant.
Kelly Reichardt travaille sur le dépouillement, qui sont aussi la thématique de ses films, dans Old Joy, deux hommes se retrouvent nus dans l’eau, atteignent et nous font partager un sentiment de plénitude, dans Wendy et Lucy nous assistions à un dépouillement, contraint par la pauvreté, d’une femme qui n’a plus rien pour vivre, qui se détache du monde et du dernier être qui la soutient encore, son chien, avant de recommencer à vivre, dans la Dernière piste plusieurs scènes montrent ces pionniers se débarrasser des divers objets qui encombrent leurs chariot, scènes révélatrices des choix de la cinéaste, une volonté d’aller au squelette, à l’essentiel, que reste-t-il quand il n’y a presque plus rien ? c’est un cinéma avec un scénario minimal, peu de scènes dramatique, pourtant la situation est extrême mais rien n’explose. Un cinéma contemplatif qui prend le temps de filmer un visage, un corps, des herbes couchées sous le vent, une simplicité qui n’empêche pas la précision par exemple au niveau du travail sur le son, toujours important chez cette cinéaste, une musique très simple, le grincement des roues des chariots qui rythme le film et l’avancée des personnages et même si la terre est sèche, on l’entend vivre, on en perçoit la chaleur.
Ça pourrait être ennuyeux mais la magnificence des plans, la tenue qui s’en dégage fait que chaque moment a son intensité propre, que les regards qui s’échangent, que les quelques paroles prononcées, que tous les gestes acquièrent une grande densité.
Le choix du western n’est pas anodin, genre majeur du cinéma qui a connu dans les années 70 des tentatives de renouvellement par une stylisation extrême, un maniérisme, un fétichisme comme savaient si bien le faire un Sergio Leone ou un Sam Peckinpah, plutôt qu’à un tel au-delà du genre, Kelly Reichardt choisit un en deça, elle choisit l’époque des pionniers, on est avant les duels, saloons, bagarres, jusqu’au format de l’image d’avant le cinémascope, si on assiste à l’origine de la colonisation des États-Unis face à ceux qui étaient là avant, on pense aussi aux débuts du cinéma, on pense à CT Dreyer, à FW Murnau par exemple.
Revenir à la nudité, à la simplicité, à l’origine comme cet indien qui disparait dans le fondu au noir de ce film, c’est le projet de cette grande cinéaste qu’est Kelly Reichardt, nous sommes prêts à la suivre.
La Dernière piste, (Meeks Cutoff) de Kelly Reichardt, EU, 2010 avec Michelle Williams, Paul Dano…

2 commentaires :

  1. Bonjour, j’ai personnellement bien aimé ce film mais il prend les spectateurs à rebrousse-poil. Pas un film facile: pas d’action ou presque, le format carré, peu de musique et surtout une fin un peu frustrante (surtout pour mon ami et quelques autres). Bonne après-midi.

    • Oui, c’est un film très épuré, il faut se laisser aller au rythme du film. Pour ma part, je trouve la fin très belle même si elle ne répond pas à l’attente du spectateur (vont-ils trouver cette eau?), cette idée que le destin de ces pionners est dans les mains de cet indien dont on ne sait pas les intentions est intéressante, et le plan de cet indien disparaissant dans le cadre m’a beaucoup touché, comme l’idée d’une civilisation perdue.

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