Night moves de Kelly Reichardt

nightmoveS’enfoncer dans les flots

On retrouve dans Night moves le geste de Kelly Reichardt, son attention pour les détails, ses plans à la simplicité apparente, sa puissance formelle. Nul doute que cette cinéaste est une des grands stylistes d’aujourd’hui.
En accord avec son écriture cinématographique minimaliste, tous ses héros tracent un chemin qui les extrait d’une certaine civilisation, l’îlot bucolique d’Old Joy, le dépouillement contraint de Wendy et Lucy, la disparition dans le désert de la Dernière piste.
Si Night moves apparaît comme un film plus frontalement politique que ses films précédents, c’est une fausse piste. L’engagement politique n’est pas tant la question, le débat qui pourrait avoir lieu entre l’utilité de l’action radicale face à la construction d’une alternative est vite expédié et ne semble pas vraiment intéresser la cinéaste. Ce qui intéresse la cinéaste est le mouvement de personnages qui ne se sentent pas bien dans le monde dans lequel ils sont et qui cherchent autre chose, comment trouver une raison de vivre. Là, ce n’est pas tant le résultat de l’action qui importe que la volonté de s’immerger dans un espace (magnifiques plans dans la nature), dans un moment de stase, que d’agir pour ne plus appartenir à ce monde qui les dégoûte, où certains sont obligés de se déguiser en vache pour vendre des produits laitiers. Ils s’isolent, ce qui fait contrepoint avec cette coopérative où les gens arrivent à interagir, à être ensemble, à se parler, à danser, eux ne se sentent bien qu’en se perdant. Cette première partie du film est nettement la plus forte, la préparation de l’acte est aussi la suite d’une mise à l’écart, détruire un barrage, c’est espérer que ça circule à nouveau, que quelque chose, n’importe quoi, se passe alors que tout est bloqué, mais que faire ensuite une fois le but atteint. Très belle scène dans la voiture suite à l’attentat, où se reflètent sur le visage des acteurs le doute, la satisfaction, l’excitation, l’angoisse face à ce qui va se passer et ce en un même mouvement.
L’immersion vers l’attentat est un modèle de précision, le travail sur le son, cette nature silencieuse qui met en valeur les bruits de l’eau, le travail sur le rythme, la lumière quand le bateau s’approche du barrage qui apparaît comme une bâtisse massive et écrasante. De nombreux cinéastes de film d’action devrait prendre en exemple la scène de la bombe à retardement, pas besoin de millier de plans, de musiques redondantes, de dramatisation à outrance, là, l’épure décuple la tension.
La deuxième partie semble par contre trop théorique, fidèle à sa manière, Kelly Reichardt ne veut pas expliquer les motivations des uns et des autres, peu de discours, juste des actes, des paroles de peur. Ainsi elle explore l’idée de la culpabilité mais on peut aussi penser qu’ils paniquent de revenir au monde, de sortir de la bulle dans laquelle ils étaient lors de la préparation de l’attentat. On pourrait souscrire à cette vision du cinéma qui nous laisse libre d’imaginer les raisons des uns et des autres, sauf qu’ici les événements s’enchaînent de façon dramatique et cela paraît un peu forcé (ainsi que les réactions des protagonistes) en l’absence de sous-texte politique et psychologique. Si la forme reste limpide, on sent une intention scénaristique qui enferme les personnages alors que jusque là nous étions avec Josh et Dena malgré leur mutisme. Kelly Reichardt perd en fluidité en suivant plus une idée qu’en faisant vivre ses personnages.
Night moves de Kelly Reichardt, EU, 2014 avec Jesse Eisenberg, Dakota Fanning, Peter Sarsgaard…

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